Le nouveau mal rwandais
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Quand on est pris dans l’Histoire, il est en général difficile d’en détecter les tendances. Mais pour le cas du Rwanda, c’est juste le contraire. Sauf pour certains tyrans, « héros autoproclamés » et autres nomades politiques  qui, sur le balcon d’un théâtre maudit, insultent la Nation. En principe, les dirigeants sont là pour  aider leur  Peuple à   décrypter  l’avenir de leur pays et de leurs enfants  et surtout le leur préparer. On me dira que  ces dirigeants sont le reflet du peuple qui les a choisis  par voie démocratique. Cette démocratie dont on  vante les progrès, je ne la vois pas. Elle n’est qu’une dictature de l’instant. Elle n’est plus une délégation des pouvoirs, mais  un contrat révisable à tout moment, selon les humeurs du tyran et de son opinion publique.

    La politique, frappée par la  précarité, en perd sa crédibilité. Les « élus », parce que  mal élus, subissent cette dérive totalitaire. Ils  l’ encouragent faute d’ ambitions pour la combattre  en proposant un projet  collectif et social  crédible. Leur responsabilité est engagée. Un jour, quand  la Nation  se réveillera pour secouer son joug  et que les Nations libres seront conscientes des enjeux et de leur responsabilités dans ce Mal, pour l’aider dans la réprobation de l’Etat criminel  pour  le faire tomber, « les élus »  seront les premières victimes politiques de la révolte qui pointe à l’horizon. Toutefois, dans cette dérive totalitaire,  le peuple est, lui  aussi, coupable. Il ne doit pas chercher des boucs émissaires pour s’ exonérer de ses  fautes présentes et passées et oublier de balayer devant sa porte. L’ignorance n’est pas une excuse crédible, d’autant plus que ce peuple  est dirigé par ses propres fils et filles,  hommes et  femmes qu’ il a élus, tout en sachant qu’ils  sont  incapables et surtout insensibles à  sa douleur et à  sa précarité.

    Qui, en effet, a élu Paul Kagamé, présumé par tous les électeurs, coupable de crimes contre l’humanité  au Rwanda et dans les pays voisins? Qui élira demain ce même homme présumé et recherché par la police internationale dans le cadre de l’enquête sur  l’attentat contre l’avion du  Président  Juvénal  Habyarimana?  Qui a mandaté  hier  ou  mandatera demain, peut-être, des candidats présentés à l’opinion, comme  challengers des dévots  du président   Paul  Kagamé  pour   légitimer une dictature  à travers une élection pseudo démocratique  de laquelle ils sont convaincus  de sortir perdants ? Ils savent tous que  la République  finira par   se décomposer et que son cadavre servira de  festin quotidien  pour des extrémistes nostalgiques et prosélytistes de la monarchie ou de la « royauté ».  Au lieu de ressusciter le parlement, de redistribuer les mandats, de réinstaurer un pouvoir exécutif efficace  contrôlé et  équilibré par des contre-pouvoirs à  bâtir, le Rwanda se complait dans sa léthargie mémorielle. 

      On le comprend. Les électeurs sont tout le  corps social. Mais dans la vie publique comme dans la vie privé triomphe l’individualisme, l’égoïsme, la corruption, les « passe-droit » et  des exclusions réciproques. La volonté collective de changement se heurte   aux  situations acquises, aux  comportements criminalistiques et de délations et, enfin, aux crispations communautaires. Au détriment d’une politique sociale  cohérente, la justice à double vitesse renvoie  le projet national de réconciliation et la justice sociale   à des revendications aussi irrationnelles qu’inquiétantes. Les tribunaux traditionnels « gacaca », réformés pour les besoins  et  la cause d’un Etat criminel, ne sont que le miroir d’une tyrannie sanglante  dont les cerveaux cavalent du jour au lendemain.  Derrière ce miroir,  ce sont les « sans droit » qui  souffrent sans qu’on puisse entendre  leur voix agonisante.  Tout cela n’engrange, ni   sympathie ni indignation. Tout est commentaire  et notre  indignation envers un pouvoir violent  ne serait  aussi stérile que  notre légendaire indifférence à la lutte  contre la fièvre  totalitaire.  Car   engager  le peuple dans un tel   repli  sur soi   régressif, c’est  tourner le dos à l’ avenir, avouer  sa phobie  devant  un monde ouvert  et au fond, exprimer une périlleuse peur  de l’autre.

  L’ostracisme n’a jamais produit de bons résultats. Entre le Rwanda recroquevillé sur soi-même et qui s’est mis hors de l’Histoire mondiale   et  le Rwanda soumis et souffrant  mais  qui veut y participer, la balance n’a  plus  de balançoires. Le  nouveau mal rwandais  est trop pesant. La seule solution  est de répandre la vérité  sur le  Rwanda et sur le  monde. Car  il y a urgence. Il faut pointer du doigt les oppressions, dans toute la sobriété  du mal, les rendre insupportables à la communauté humanitaire internationale et à la conscience démocratique. Le bonheur, le progrès et la paix de chaque citoyen rwandais   au Rwanda, dans la sous- région  et dans le monde entier, ne pourront être atteints  tant qu’un Rwandais souffre en son pays et par la faute de son pays.

 

Alphonse Bazigira
Journaliste politique 
6 Décembre 2007

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