Une première à Montréal: double genèse d’un dialogue pour la vérité sur la tragédie rwandaise.
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Comme annoncée, la conférence sur la recherche de la Vérité dans le sombre dossier des horreurs rwandaises s’est bel et bien tenue au Gésù, chez les Jésuites réputés pour («qui se targuent de» *) faire des choix éthiques.

Les organisateurs ont donc réussi un beau et gros pari, à considérer l’espace médiatique sur Internet et dans la presse occupé par l’appel au boycott voire à l’interdiction. Leur réussite a été d’autant convaincante qu’à leur insu, la conférence s’est tenue en double : une grande de longs silences et une autre petite de petits aveux. A l’intérieur, dans une salle de 400 places assises et faces aux portes fermées, le climat aurait été dense et les illustres conférenciers ne l’aurait pas eu facile à cadencer la danse. Ils devaient demander aux participants de garder le silence pour écouter, et les regarder déchirer les masques de «héros» couvrant les têtes de seigneurs rwando-ougandais de Kigali. En face d’eux, au moins le tiers de cette immense auditoire délicieusement multicolore s’employait à rompre ce profond silence dans l’espoir d’en imposer un plus long aux panélistes. Quoi en dire d’autre si ce n’est que la grande conférence aurait été celle des grands silences brisées? Je ne saurais dire davantage, puisque je n’ai pu y assister.

A 13h31, soit une minute près passée l’heure annoncée de l’ouverture, j’ai vue l’entrée m’être refusée. La salle était déjà trop remplie, disait-on alors que derrière moi des voix stridentes de 2 frustrés proféraient des mots pas gentils à l’endroit de l’afro congolaise commise à l’entrée, et criaient à une escroquerie intellectuelle. «Ces mensonges nous concernent, et vous nous refusez d’entrer», pouvait-on entendre d’une oreille à l’autre. Quelques agents de l’ordre qui devaient roder à cent pas de là sont alors sorti du néant, bras ballant malgré la pesanteur visible de leurs ceintures, pour rappeler à la sagesse d’une file d’attente derrière des portes cadenassées.

Dans le hall de la billetterie, nous étions une bonne centaine, grands et petits, jeunes et plus âgés, hommes et femmes, venus de Montréal, Ottawa, Joliette, Québec, Drummondville, etc., de diverses origines en l’occurrence rwandaise, burundaise, congolaise, québécoise. J’imagine à lire les visages comme j’échoue toujours à m’en empêcher, des hutus et des tutsis, et d’autres, en tout cas au moins trois catégories indéniables de gens favorables, défavorables à la grande conférence ou simplement curieux. J’ai aperçu aussi des journalistes, dont deux de La presse. Ne pouvant pas accéder à la grande salle, ils se seraient discrètement évaporés, mais pas nous «autres». La conférence nous concernait tant que nous avions fait de longs voyages, plus d’une heure de route ou de métro et pour les incorrigibles une demie heure de google au stationnement. Nous sommes restés, calme olympique, attentifs dans le silence malgré l’échec précoce du technicien à improviser un routage audio sur la grande conférence. Nous étions ainsi là à écouter des conférenciers imaginaires silencieux, sans nul besoin de les faire taire ni la moindre demande d’eux d’observer notre silence. De temps à autres, des connaissances s’échangeaient des politesses, des hutus et des tutsis vous dirais-je mais de grâce ne demandez pas comment je pouvais savoir, dans la plus grande civilité à l’image d’une retrouvaille dans un multiple salon funéraire. Un participant prénommé Guillaume, put rafraîchir la mémoire de l’assistance en nous faisant découvrir des photos interdites d’un récent massacre de ses parents au Rwanda, par signe-t-il les soldats de Kagame. Personne ne put nier, ni douter. Une image vaut mille mots, et de toutes les façons personne ne pouvait ignorer la réalité des horreurs commises par ce sinistre personnage et sa clique de généraux.

Enfin arriva la période de questions, dans la grande conférence. Surprise, «pas de questions, la bulle s’est miraculeusement dégonflée», fit laconiquement Joyal qui prit plaisir à découvrir notre sorte de mini sommet visiblement cosmopolite et décousu. Alors que dans la salle ça sentait le silence, le nôtre se rompait. Autour de Joyal comme modérateur, un Lester assagit, notre mini conférence commençait. «L’attitude des rwandais est déconcertante. La même personne applaudit et hue à la fois. Vous ne verrez pas ça ici, dans les sorties souverainistes ou fédéralistes. C’est je crois parce que vous refusez d’assumer la honte des crimes de votre groupe ethnique», tonne l’indéboulonnable Joyal. Sur ce thème improvisé, spontanément quelques voix s’expriment, poliment et librement, comme dans une conférence-débat. Sans tarder, tous convenons  d’une chose : le «plus jamais ça» doit inclure les 100 jours du génocide de tutsis en avril 94, et les 18 années d’un autre génocide dirigé contre les hutus, entendu que nous ne pinaillerons pas sur les mots, tragédie qui n’a jamais été arrêtée depuis. Dans la foulée, la volonté d’ériger comme soubassement du «plus jamais ça» l’inaliénabilité absolue, la sacralisation et la protection indéfectible de la vie humaine, est réaffirmée. Aussi, nous confessons nos faiblesses éhontées, ethnocentristes. Pouvons-nous si nous sommes hutus rougir des crimes commis contre les tutsis et si nous sommes tutsis de ceux commis à l’endroit des hutus ? A y voir clair, ces crimes ne sont pas imputables aux groupes ethniques. Leurs auteurs qui constituent des minorités extrémistes (on parle à date d’une centaine d’individus identifiés), ne sont pas des mandataires des ethnies, quand bien même c’est ce qui a été publicisé pendant et après les carnages. Nous devons donc éviter l’amalgame, les populations hutue et tutsie n’en sont aucunement liées au point d’en avoir honte, plutôt devons-nous tous en rougir et agir pour faire arrêter la tuerie, celle encore en cours aujourd’hui loin des caméras et dans le pénombre de tours en verre du progrès.

Heureux de cette inédite expérience, un jeune admirateur de Kagame conclut : «nous avons besoins d’une autre tribune pour poursuivre ce dialogue, dans un sincère jeu de miroir inter-rwandais permettant à chacun de prendre le pouls de la douleur de l’autre». Et au modérateur Joyal de renchérir : «je crois que la prochaine grande conférence sera la vôtre, après tout elle vous appartient cette difficile vérité tant recherchée et il vous appartient d’en faire bonnes usages».

A la prochaine, Conférence Vérité et Réconciliation à Montréal, le temps de recycler nos pancartes de manifestants négationnistes anti-négationnistes.

Francois Munyabagisha
Drummondville

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*Ecrivait non sans plume d’ironie Isabelle Hachey dans l’édition du 20 mars courant de La Presse.

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