Monsieur Charlie Rwembe,
Merci pour vos observations par rapport à mon article. Concernant vos questions, sans aller jusqu’à vous donner un cour magistral de stratégie générale ni écrire un traité d’histoire de la guerre d’octobre, je vais essayer de vous répondre brièvement.
Partout et à n’importe quelle époque, l’issue de la guerre (victoire ou défaite) est la résultante de plusieurs facteurs dont la somme fait pencher la balance d’un côté ou d’un autre. Bien entendu ces facteurs n’ont pas le même poids, mais la part de chacun peut être clairement quantifiée à l’issu du conflit.
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Les principaux facteurs d’appréciation sont :
- La direction politique de la guerre (le gouvernement d’un pays ou le leadership politique dans le cas d’une rébellion) ;
- L’outil technique : en l’occurrence l’armée ;
- La situation socio-économique ;
- L’environnement international ;
- La nature de l’ennemi.
Analysons maintenant la situation du Rwanda pendant la guerre à la lumière de ces facteurs.
1.1. La direction politique de la guerre, à savoir le gouvernement, est apparue aux yeux de tout observateur objectif comme la plus catastrophique des temps modernes. Un gouvernement ouvertement empêtré dans des querelles partisanes, incapable de dégager une perception consensuelle des enjeux de cette guerre. Certains de ses membres voyant dans la probable victoire des FAR (Forces Armées Rwandaises) comme celle de leurs adversaires politiques et donc à ne pas souhaiter, les autres ne voyant dans leurs partenaires que des pions avancés de l’ennemi. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu’une telle équipe puisse gérer une crise aussi grave que la guerre ?
Vous demandez si à l’époque les FAR ont perçu cette état de choses. Ma réponse est OUI. Qu’ont-elles fait ? RIEN. Tout le monde sait comment on appelle l’action des forces armées dans de telles situations. Cela ne s’est pas produit.
2.1 L’outil technique c’est-à-dire le bras armée du gouvernement qu’étaient les FAR.
(NB : Je n’admets pas votre qualification de « armée de Habyarimana ». Les FAR étaient bien « nationales » et pas une milice privée de qui que ce soit).
Leur réponse à l’agression du 01/10/1990 est à analyser en considérant les moyens (matériels et humains) que le gouvernement avait mis à leur disposition pour remplir leur mission de défense du pays. De ce point de vue, l’armée rwandaise n’était pas préparée et donc pas en mesure d’affronter un conflit moderne de type international.
Cette situation était-elle ressentie ? Ma réponse est OUI.Que ce qui fut fait ? BEAUCOUP. Mais ce n’est pas en quelques mois qu’on peut rattraper des décennies perdues et transformer une petite formation militaires tournée plutôt vers le maintien de l’ordre et les travaux communautaires en une grande armée moderne. Cependant, les efforts fournis dans ce sens ont quand même permis de retarder l’issue fatale. Le FPR n’a complètement conquis le Rwanda que presque quatre ans après sa première incursion. En comparaison, le grand Zaïre s’est effondré en quelques mois !
3.1. La situation socio-économique.
Pour soutenir une guerre, il ne suffit pas d’avoir une armée, si forte soit-elle. Il faut aussi que sa population puisse la supporter et que l’économie soit capable de fournir l’effort de guerre sans être paralysée. Il est apparu qu’au Rwanda, le gouvernement fut vite débordé par des problèmes divers les uns plus aigus que les autres : 1) la gestion des déplacés des zones de guerre ; 2) la crise économique et les conséquences des programmes d’ajustement structurel ; 3) la cohésion nationale qui a volé en éclat suite à la tournure ethnique qu’avait pris la guerre, etc.
Cette situation fut-elle perçue ? OUI. Qu’a-t-on fait ? Il faudrait à cet effet décortiquer les actions du gouvernement.
4.1. L’environnement international.
Sur le plan régional, le seul allié qu’avait le Rwanda était le Zaïre du Maréchal Mobutu. Or celui venait d’être déclaré infréquentable par les puissances occidentales et ses jours étaient ainsi comptés. Sur le plan international, seul la France de François Mitterrand soutenait encore le Rwanda. Mais elle ne pouvait pas aller jusqu’à s’embrouiller avec ses alliés traditionnels (USA et Grande Bretagne) pour faire plaisir au petit Rwanda. Conséquence : le soutien de la France fut conditionné aux énormes concessions que devaient faire le Rwanda, tandis que l’ennemi était soutenu sans condition par les Anglo-saxons.
Cette situation fut-elle ressentie à l’époque ? OUI. Qu’a-t-on fait ? Je ne sais pas ! Mais ce que je sais c’est que tout comme l’armée, on ne bâtit pas une politique étrangère en un jour, tout comme on ne noue pas des alliances fiables en un jour et surtout après l’éclatement du conflit.
5.1. L’Ennemi.
Sans être spécialiste de l’armée ougandaise, je puis tout de même affirmer que les combattants tutsi issus de ses rangs et qui ont attaqués le Rwanda le 01/10/1990 étaient plutôt aguerris. Au sein de la NRA (l’armée ougandaise) ils venaient de conquérir l’Ouganda plus vaste, plus forte et plus riche que le Rwanda. Leur détermination et leur motivation étaient sensiblement plus élevées que celles des FAR journellement confondues et démoralisées par des discours politiques incohérents. Ils n’avaient de compte à rendre à personne, ni sur le plan international (non tenus par aucun accord signé), ni sur le plan interne (aucune population à gérer).
Cette situation était-elle connue ? OUI. Qu’a-t-on fait ? Recueillir les renseignements et les transmettre aux décideurs (gouvernement) pour suite appropriée.
Voilà Monsieur Charlie Rwembe ce que je peux vous répondre brièvement. Il va de soi que l’analyse est lapidaire mais rassurez-vous, elle pourrait être plus développée ailleurs si le besoin se faisait sentir.
Bien à vous,
Emmanuel Neretse.
Bruxelles le 30/6/2009