Les « tribunaux gacaca » continuent de faire des ravages au Rwanda : témoignage
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Hier à 2h00 du matin j’ai reçu un appel de mon beau-frère Niyitegeka, mari de ma sœur Domina condamnée sans accusation ni procès à 30 ans de prison, en prison depuis le 07 octobre dernier.

Inutile de dire qu’un appel de nuit venant du Rwanda fait toujours peur, fait penser au communiqué nécrologique. Mais Niyitegeka qui s’est déjà résigné me parle d’une bien plus troublante situation: A Nyabikenke, tout hutu le moindrement instruit ou économiquement privilégié est dans la mire des Gacaca. 75 personnes ont été récemment emprisonnées, 425 autres attendent leurs condamnations avec ou sans procès. Bon nombre d’entre eux ont anticipé les arrestations et se sont réfugiés à Kigali ou à l’étranger. Lui, Niyitegeka, a survécu à 5 ans de prisons sans accusation ni réparation, mais il sait que bien que son nom ne se trouve pas sur la liste des 500 (TÉMOINS POTENTIELS DU MASSACRE DE KIYUMBA PAR LE FPR EN 94), il doit se préparer à rejoindre sa femme en prison sans espoir d’en ressortir.

La situation de Nyabikenke n’est pas isolée. Nyamabuye, Rutobwe, pour les cas dont nous avons des témoignages oculaires, ont précédé avec autant sinon plus de réclusions au mouroir. Tout Gitarama (renommé Muhanga pour créer une diversion et, en rendant inopérant l’éclairage par les registres ou la statistique démographique et par le recoupage des témoignages, faire obstruction à l’établissement du génocide de hutu), tout le pays subit les derniers rafles de hutu qui s’inscrivent dans l’accomplissement d’un plan de génocide jamais clairement élucidé, parce que occulté et éclipsé par le «génocide de tutsi».

Ces rafles ne sont pas isolées et ne peuvent être créditées aux égarements des tristes tribunaux dits «populaires» gacaca. On parle ici de 500 hutus éliminés de la vie sociale, normale. Mais l’exercice dure depuis que le Fpr est au pouvoir. La preuve, les collines sont de plus en plus désertes, des champs sont en jachères, des hommes hutu sont l’espèce rarissime en dehors des villes. Ces rafles sont à dessein génocidaires, car, après 15 ans de chasse aux sorcières, il ne serait subsister un seul suspect d’un moindre crime associable au «génocide» de 94.

De 90 à 94, le Fpr a dans les zones tombées sous son contrôle, massacré systématiquement les rwandais non acquis à son plan de gouvernance et de possession du pays. Ainsi il a dépeuplé Byumba pour y réinstaller d’anciens exilés rentrés d’Uganda. Kigali et Kibungo ont durant la guerre de 94 subit la même cure de nettoyage. Ceci mérite d’être rigoureusement documenté, irréfutablement confirmé.

De juillet 94 à 96, le Fpr a mis en œuvre une stratégie d’extermination sélective par légitimation des crimes. Les médias occidentaux ont largement fait état de «gâchettes faciles des loco-défense», des tueries vindicatives, de massacres de représailles. Furent tués tous ceux et celles qui furent le moindrement accusés d’avoir tué ou manifesté un sentiment anti-tutsi durant ou avant 94. Il aura suffit d’un petit doigt soupçonneux pour voir rouler des crânes. Tous ceux qui auraient pu avoir matière à procès, ont été tués. Et avec eux des innocents. On doit se rappeler, le souci n’aura jamais été de faire la lumière et rendre justice, plutôt de s’assurer qu’aucun criminel hutu n’échappe à la médecine. Ainsi, la présomption de culpabilité aura pris le dessus sur les principes du droit.

Dans chaque commune, il y en avait environ 150 avant la refonte administrative, le fpr a tué sous cette couverture de réflexe punitif, plus d’un millier de personnes. Ca en fait plus de 150,000 en tout. Rappelons qu’en janvier 94 la milice Interahamwe ne comptait que quelques 2,000 membres dans tout le pays, que les délinquants de tous ordres qui les ont rejoins dans la basse besogne ne constitueraient guère plus de 1% de la population masculine hutu en âge réactif (17-55 ans), soit  ou 15,000 ou 50% (population active) de 48% (population masculine) de 90% (population hutu) de 8 millions (population totale en 94).

Par la suite, surtout depuis la destruction des camps et les massacres de réfugiés au Congo, les prisons ont pris le relais des balles. Elles étaient partout remplies à craquer. A Butare, à Nyabisindu, à Gitarama, des murs ont même cédé, alors que les orteils tombaient des pieds de détenus entassés comme des sardines. La croix rouge et HRW en ont la mémoire intacte dans les archives. Plus de 150,000 personnes furent déclarées en détention. Ce chiffre n’aura guerre baissé, malgré les morts dont le nombre est élevé, étant données les conditions impitoyables des milieux carcéraux. Plus de 500,000 personnes y seraient passées, dont peu d’entre eux recouvreront le droit de vivre. Que ces morts de prisons ne nous fassent pas perdre de vue ceux des carnages des camps de déplacés à l’intérieur du Rwanda (Kibeho entre autres) ou les massacres de fugitifs au Congo.

Depuis les dernières mises en scènes électorales, le plan génocidaire du fpr est entré dans une nouvelle phase, par la stratégie de 800,000 mises en accusations dont le mandat fut donné aux Gacaca. Il était et il demeure clair que le but est d’exterminer sans effusion de sang, toujours sous la couverture légitimante d’un masque de justicier. 800,000 en plus de 500,000 anéantis par la voie des prisons, en plus des centaines de milliers de fugitifs massacrés sans résistance, en plus des centaines de milliers victimes de représailles, en plus des massacres durant la guerre, etc. Alors que Kigali gratte de verres le ciel avec l’argent du génocide et que ses rues foisonnent de touristes et de lobbyistes du genre Tony Blair, Bernard Kouchner, Amadou Lee et bientôt Roméo Dallaire ou Koffi Anan, les collines ne sont que des domaines de fantômes, avec des morts omniprésents mais dont on ne verra de sépulture, car les criminels au pouvoir en ont décidé ainsi et que leurs parrains comme Blair ou Kouchner leur sont solidaires.

Cette situation nous interpelle, tous.

François Munyabagisha
29/11/2009

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P.S :
« La vie et la dignité de tout humain sont sacrées. Vivre, ce n’est pas un droit, ni un dû. C’est un acquis sacré, non cessible et inaliénable.  Nul n’a le droit de tuer, et rien ne peut justifier d’enlever la vie à qui que ce soit. Nul ne peut, soit-il faible, légitimer le pouvoir ou s’arroger le droit de supprimer une vie. Tuer est aussi lâche que barbare. Qu’il faille prévenir ou punir, corriger ou venger, redresser ou modeler, l’efficacité est mille fois mieux servie (par la communication) que par le sang ».

Tiré de : François Munyabagisha, Rwanda: Faces cachées de la tragédie, Head 1998, inédit.

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