Rwanda-2010 : l’élément particulier du retour du roi Kigeri V dans son pays
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Résignation, lassitude et désolation : tels sont les sentiments dominants de la scène socio-politique rwandaise, à la veille des échéances électorales d’août 2010 unilatéralement annoncées par la dictature en place depuis bientôt seize ans.

–          La résignation est présente dans le cœur et l’esprit du commun des mortels rwandais face aux caprices d’une dictature imposée comme par une puissance surnaturelle. La résignation est lisible sur les visages étonnés de millions de Rwandais, que ce soit dans la capitale Kigali, que ce soit surtout au sein du pays profond de misères, que ce soit aussi dans les différents pays d’exil des Rwandais. On entend la résignation dans les divers aveux d’impuissance exprimés à voix basse par les Rwandais, partout où ils vivent.

–          Les preuves de la lassitude sont nombreuses, et à titre d’illustration je citerais : la décision de Ntaganda Bernard de braver les interdits en osant dénoncer l’instrumentalisation du génocide dans le but d’étouffer les libertés publiques ; la décision, non moins audacieuse, de madame Ingabire Umuhoza Victoire d’aller au Rwanda, pratiquement seule et consciente des contraintes du terrain, lutter pour ses droits élémentaires ; et enfin l’annonce persistante de la décision du roi Kigeri V de retourner dans son pays, après plus de 50 ans d’exil.  Certes, toutes ces décisions sont motivées aussi par une dose de patriotisme ; mais l’impulsion dominante me semble provenir de la fatigue et du dégoût inspirés par une attente interminable de voir aboutir l’époque du droit à la patrie et à une vie digne.

–          Le Rwanda d’aujourd’hui est un pays de désolation où des familles innombrables sont étreintes par le chagrin de ne jamais connaître toute la vérité sur le sort des leurs tués atrocement pour leur appartenance à l’ethnie tutsi, ou pour leur appartenance à l’ethnie jugée arbitrairement criminelle par des escadrons d’un FPR grisé par un pouvoir conquis dans le sang des innocents.  Le peuple rwandais est ravagé par une famine chronique et toutes autres misères dues aux conséquences d’une politique nationale de gestion soumise aux caprices d’une poignée d’arrivistes. 

  1. Il est juste de ne rien attendre de bon du système FPR 

L’on suggère souvent que pour être politiquement correcte, toute analyse de la situation rwandaise doit tenter de faire le parallélisme entre ce qui marche et ce qui ne marche pas,… entre les côtés positif et négatif du système FPR. A propos des réalisations positives du FPR, d’aucuns relèvent entre autres les idées suivantes : le FPR a chassé la dictature du MRND ; il a arrêté le génocide ; il a rapatrié les réfugiés de 1959 et 1973 ; il a supprimé la mention ethnique dans les documents d’identité et aurait même supprimé les ethnies au Rwanda ; il a fait de Kigali une ville moderne et propre ; il a instauré le mérite au niveau de l’accès à l’enseignement,…

Mon intention n’est pas d’affirmer que le système FPR ne fait rien de bon. Mais, je ne crois pas me tromper quand je constate que ce système est tellement mal parti, qu’il est bâti sur la mauvaise foi, le mensonge et le combat contre la vérité, que ses plus hauts responsables ont des dossiers criminels surchargés et qu’ils ont tellement des choses à cacher qu’ils n’auront d’autres choix que de s’opposer en permanence à un débat de fond sur les questions majeures qui constituent le contentieux interrwandais.  Je n’énumèrerais pas, aujourd’hui, les charges criminelles qui pèsent sur le leadership du FPR et plus précisément sa propre responsabilité notamment dans le génocide des Tutsi. Sans parler des crimes massifs qu’il a organisés et perpétrés contre les Hutu au Rwanda et au Congo, et contre le peuple congolais.

Toutefois, il importe que j’apporte d’emblée une nuance essentielle. Le système FPR n’est pas tombé du ciel ; il a été la conséquence des régimes qui l’ont précédés et loin de moi est la tentative d’innocenter ces derniers ou de plaider en faveur d’une moindre culpabilité de leur part. Non plus, je ne puis compter parmi ceux qui prêchent que quoi que l’on ait fait, le FPR devait obtenir une victoire militaire et mettre à l’œuvre sa politique d’asservissement des Hutu ! Je demeure convaincu que quelles qu’aient été les visées diaboliques du FPR, sa victoire lui a été offerte par des choix anti-nationaux opérés en leur temps par ses prédécesseurs, ainsi que par un appui circonstanciel dont le FPR a pu bénéficier de la part de puissances anglo-saxonnes qui visaient la sauvegarde de leurs envies expansionnistes.

Le système FPR a échoué sur deux terrains existentiels :

  1. Sur la réalité du contentieux hutu-tutsi :

Face à un problème de société aussi important que le différend hutu-tutsi, le régime FPR a choisi le jeu de mots pour occulter le débat sur ce sujet. Il a préféré se fourvoyer dans des lectures historiographiques alambiquées, affirmant sans sourciller qu’au Rwanda les ethnies n’ont été qu’une création du colonisateur. Comme si le Rwanda est le seul pays africain à avoir été colonisé ! Ainsi, à l’issue de ses quinze ans de pouvoir, le FPR est parvenu à faire du problème hutu-tutsi un sujet tabou, il a imposé la suppression des cours d’Histoire dans toutes les écoles du pays et les a visiblement remplacés par les ingando. Il est franchement suicidaire de nier les différences entre les Hutu et les Tutsi, non sur le plan anthropologique, mais en ce qui concerne les perceptions actuelles, diamétralement opposées, des intérêts et des garanties de sécurités de ces deux composantes essentielles de notre société.  L’objectif ne serait pas non plus d’entretenir une bipolarisation éternelle entre les deux groupes, mais le moment est actuellement mal choisi pour chercher à éluder un tel sujet brûlant.

Nul n’est évidemment dupe des vraies motivations de ce choix de nier l’évidence : le FPR nie l’existence des ethnies pour mieux asseoir un système d’apartheid ethnique au sein duquel tout le monde, sauf le FPR, ignorerait l’appartenance ethnique des opprimés et des oppresseurs.  Il voulait ainsi s’assurer qu’il ne serait, à son tour, placé devant ses responsabilités de régime ethniste.

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  1. Sur la justice :

Depuis sa prise du pouvoir, le FPR a entretenu sciemment des orientations confuses en matière de justice. Il s’est montré incapable de reconnaître en tant que tel le contexte de lutte pour le pouvoir qui a prévalu au génocide des Tutsi et a voulu en faire une histoire purement de haine séculaire des Hutu envers les Tutsi. Actuellement, quinze après, le régime ne cesse de se surprendre entrain de « débusquer », comme par hasard, des « génocidaires » en son sein (un ex-premier ministre accusé sans succès, un président de l’assemblée, un sénateur,..). Tout se passe comme si, en définitive, les plus hauts leaders du FPR ne reconnaissaient pas que le crime de sang est condamnable. Ainsi, les coupables le deviennent seulement à partir du moment où ils n’ont plus les grâces de leur protecteur, lui-même réputé criminel de grand chemin. Cette règle ne concerne pas seulement les individus. Au-delà, elle s’applique aux Etats : les mises en scène actuelles sur l’amour franco-rwandais en disent long. Non seulement, un Etat souverain (la France) est gratuitement traité de génocidaire, mais aussi du jour au lendemain les rescapés du génocide en question et tout le peuple rwandais en général apprennent qu’il n’y a plus d’incident entre la France et le Rwanda. De qui se moque-t-on sincèrement ?

C’est dans celle logique de totale mauvaise foi que le régime a abusé de la naïveté de la communauté internationale en lui présentant des dossiers pour demander le financement de systèmes judiciaires magiques, les gacaca, présentés comme la panacée destinée à guérir le Rwanda des démons de l’ethnisme. Comme la démocratie, les gacaca ne peuvent réussir dans un pays où le peuple est sommé de ne désigner que les criminels d’un camp et où les témoins à décharges sont menacés tout simplement de complicité pour génocide.

  1. Une farce électorale de trop

Je disais plus haut que le Rwanda actuel est un pays de peines extrêmes. Comme si les harcèlements auxquels il est habituellement soumis ne suffisaient pas, le peuple rwandais doit impérativement se préparer à une tempête électorale sans objet réel. 

Les enjeux du scrutin annoncé pour août prochain ne diffèrent stricto sensu en rien de ceux de 2003. En effet, dans un pays où la culture du débat d’idées contradictoires est bannie, dans un pays où la presse est harcelée et où les accusations de génocide sont prises à la légère, il est pour le moins cynique et vicieux d’induire le peuple en erreur en le conviant à participer à un vote dont les résultats sont connus d’avance.

Les différentes annonces de candidatures n’y changent rien. Après des tentatives d’ouverture de représentations de son parti à travers le pays férocement combattues par le régime, après quelques essais de conférences de presse et de meetings, après des interpellations incessantes par un sénat de désoeuvrés, le candidat issu de l’intérieur, le brave Ntaganda, a actuellement reconnu que son discours comportait des excès et a demandé pardon au forum.  Souvenons-nous qu’il était accusé entre autres d’idéologie génocidaire, de dénonciation des abus des systèmes gacaca et du bannissement de l’usage du français dans l’enseignement, de pactiser avec les génocidaires de l’extérieur, etc.

La non moins brave candidate issue de l’Europe, madame Ingabire Umuhoza Victoire, a surpris par sa détermination et par la teneur profonde des messages qu’elle délivre depuis ces derniers temps : elle part comme une femme engagée, soucieuse de rejoindre les autres pour se battre sur le terrain car, comme elle le dit pertinemment, une révolution n’est jamais octroyée ; il faut la conquérir. Elle est consciente que cela nécessitera le temps et prend son mal en patience. Il est difficile de prévoir comment la suite des performances de madame Ingabire va se dérouler, au Rwanda.

  1. Les impondérables de l’élément Kigeri V

Il est certain qu’il ne peut y avoir aucune surprise dans le Rwanda de Kagame, à la sortie des urnes. Il me semble tout aussi important de prendre en compte le poids du sentiment de lassitude qui règne parmi le peuple rwandais, et dont Ntaganda, Ingabire et Kigeri V sont les expressions vivantes. Au Rwanda, le forum des partis a fait avouer le « risque de dérapage » à Ntaganda dans son action sur le terrain. Un tel dérapage n’est en effet pas exclu d’office, dans un climat marqué par la frustration du peuple. Mais, fort de sa machine militaro-policière, le système FPR serait capable de contrôler la situation.

Néanmoins, avec l’introduction de l’élément Kigeri V dans le processus, je crois qu’il serait plus judicieux de miser moins sur le vote électorale de préparer le terrain d’une révolution

 profonde et plus patiente. Le roi Kigeri V n’est pas un acteur brillant, à l’instar du roi Juan Carlos d’Espagne, qui a contribué substantiellement à l’effondrement de la dictature franquiste. Mais, il a le mérite d’avoir un nom et de véhiculer des principes compatibles avec la sauvegarde de la culture et de l’unité nationale, et le rejet de la discrimination entre les différentes composantes de notre société. Il m’est arrivé, assez souvent, de douter de ses capacités d’Homme d’Etat et même de sa réelle volonté à pouvoir se mouiller un tant soit peu pour concourir à la rédemption de son peuple. 

Maintenant qu’il proclame lui-même qu’il est prêt à le faire, pourquoi pas ? En est-il capable ? Kagame seul le sait : je pense qu’il préfèrerait l’avoir à Washington qu’à Kigali. L’issue de l’engagement du roi Kigeri V serait-elle inévitablement l’instauration d’une monarchie au Rwanda ? Ce n’est pas la question du moment et c’est moins important que l’aboutissement de la révolution commune qui serait en vue. Rentrera, rentrera-t-il pas ? Il vaudrait mieux le lui demander continuellement.

Ndahimana Joseph
12/01/2010

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