Critiques au « rapport Mutsinzi » par Enoch Ruhigira
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Le rapport Mutsinzi sur l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana.
Une propagande politique ou un appel
à une enquête internationale indépendante ?

par
Enoch Ruhigira

Quand le rapport de la commission est sorti, certains média ont tout de suite loué la qualité du rapport, Braeckman dans le journal "Le Soir" (Belgique) et dans le journal "Le Temps" (Suisse), le journal "Continental" de décembre 2009, les radios comme la "RFI" et la "BBC Gahuzamiryango", … Ces louanges m’ont poussé à lire le rapport, en espérant qu’enfin j’allais connaître la vérité sur l’élément qui a plongé le pays dans la catastrophe, dans le génocide.

Finalement, je me suis demandé si nous avions lu le même rapport ou si encore une fois nous assistions à l’art de l’intoxication médiatique et de l’opinion dont le régime de Kigali est passé pour maître.

Le rapport reste malheureusement dans la même logique du régime de Kigali de se choisir les témoins « sous influence », d’arranger les récits sans aucune relation et les forcer à dire une histoire cohérente, d’utiliser les éléments de sa propagande politique qu’il force aux autres de prendre comme vérité sous peine d’être accusé de génocidaire ou révisionniste, d’isoler les faits de leur contexte pour leur prêter d’autres intentions…

Le rapport s’appuie sur les témoignages de certains militaires rwandais (557), de certains militaires belges interrogés dans le cadre de l’auditorat militaire belge sur les circonstances d’assassinat des militaires belges du contingent belge dans la MINUAR, sur l’exploitation des archives du TPIR, sur le rapport des experts anglais de l’université de Cranfield et de l’Académie militaire du Royaume-Uni et sur son interprétation du mobile de l’attentat pour désigner les responsabilités dans l’attentat.

Cependant le rapport a manqué de nous assurer que le Comité était indépendant et que sa méthodologie était objective et impartiale, de nous renseigner sur la démarche suivie dans le choix des témoins et les conditions de déposition. Les témoignages des rwandais ne se complètent pas nécessairement pour faire une histoire cohérente comme le prétend le Comité car certains témoignages parlent d’une façon générale de ce qu’ils ont entendu mais le Comité force le contexte et ce qu’ils veulent dire. Les causeries militaires et les références aux préparations militaires des FAR avant le 6 avril 1994 pouvaient se faire dans le cadre de l’attaque imminente du FPR dont les missions diplomatiques, la MINUAR, et le gouvernement rwandais se doutaient à cause des complications dans la mise en place des institutions de transition. Les projets d’assassinat du président Habyarimana pouvaient se référer également au FPR. Par ailleurs de peur que le FPR ne tire justement sur l’avion du président, les consignes de sécurité en ce moment étaient que cet avion ne pouvait pas voler de nuit.

Le FPR était en partie responsable des retards dans la mise en place des institutions de transition ayant constaté que sa crédibilité politique intérieure n’était pas possible ayant perdu les élections en septembre et en novembre 1993 dans les zones tampons qu’il contrôlait et que les partis politiques qui lui étaient traditionnellement alignés avaient des difficultés comme le MDR et le PL. Le FPR menaçait de retourner à Mulindi et de recommencer la guerre et les missions diplomatiques à Kigali et la MINUAR en sont témoins.

Les témoignages des militaires belges sont eux aussi assez généraux et posent des questions de crédibilité quand un militaire avance que à partir de la tour de contrôle il a vu de nuit que l’avion est tombé à plus ou moins 500 mètres de la résidence du président (la précision me semble exagérée à partir du lieu d’observation et de nuit [observation du caporal M. Gerlache]) ou un autre qui à partir de Rutongo prétend que de nuit et sans voir l’avion, il a noté que l’angle de tir était de 70 degrés – c’est encore une précision exagérée. Un angle est formé au moins par deux cotés et il n’est pas sûr que de nuit, l’observateur puisse bien apprécier avec certitude l’angle de tir par rapport à la colline (qu’il ne voit pas probablement à cause de la nuit) ou par rapport à un avion qu’il dit qu’il ne voyait pas. Caporal Mathieu Gerlache dit ceci : «  Je n’ai jamais vu l’avion car il faisait noir dans le ciel. Il était aux alentours de 20h00. (…) Je tiens toutefois à préciser que de l’endroit où je me trouvais, l’origine de deux tirs provenait de la gauche pour se diriger dans le ciel vers la droite. L’angle de tir était de plus ou moins de 70 degrés ». Le comité des experts de l’université de Cranfield et de l’Académie militaire du Royaume-Uni ont utilisé cette information sans aucune réserve pour tirer leurs conclusions, tout comme ces experts n’ont pas voulu valider les déclarations des témoins en les écoutant eux-mêmes dans toute indépendance et impartialité. Leurs conclusions sont douteuses étant donné les limites de leur enquête dont certaines sont reconnues par les experts eux-mêmes. 

Dans l’exploitation des archives du TPIR, le Comité ne dit pas s’il a tenu compte de toutes les informations en relation avec les faits car ces archives comportent des actes d’accusations dont le comité semble privilégier comme source d’information en négligeant les positions de la défense et des accusés eux-mêmes, les dépositions des témoins et leurs contre-interrogatoires et aussi les conclusions des jugements surtout en rapport avec les dossiers des militaires ou des personnalités politiques. Une telle exploitation des archives du TPIR, de l’auditorat militaire belge et de la commission parlementaire française par ailleurs montre le manque d’objectivité et d’impartialité du Comité surtout quand l’opinion n’est pas renseignée sur les raisons de privilégier une seule version des faits.

Le Comité a omis de préciser que le sommet de Dar-Es-Salaam était l’initiative du président Museveni qui a tout fait pour faire tarder la fin de la réunion et le Comité force les conclusions sur les interrogations entourant le voyage du chef d’état major à Dar-Es-Salaam. Les ordres de mission à l’étranger étaient signés par le président lui-même et c’était lui-même qui avait signé l’ordre de mission du général Nsabimana. Le Colonel Bagosora ne pouvait pas signer un tel ordre de mission et le président n’ignorait pas qu’il avait signé cet ordre de mission. S’il y a eu erreur d’appréciation, c’est le président Habyarimana qui devrait en porter la responsabilité.

Le Comité dit dans le rapport que le gouvernement rwandais avait commandé des missiles comme pour prouver que les Forces Armées Rwandaises (FAR) disposaient des missiles, mais le Comité ne prouve pas que ces missiles ont été livrés surtout quand le comité sait les pays qui pouvaient les fournir et disposent des archives de l’administration qui peuvent l’aider à le prouver si c’était vrai.

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L’affirmation que les missiles seraient partis du camp Kanombe n’est pas convaincante non plus car basée sur des témoignages avec des affirmations douteuses. Le comité pouvait lever un certain degré de doutes s’il avait organisé des observations de nuit avec des balles traçantes à partir des lieux d’observations des témoins pour mieux apprécier la crédibilité des différentes hypothèses dans l’impartialité et objectivité. Les affirmations des militaires dans le camp de Kanombe sont assez générales pour apprécier exactement où dans le camp, les missiles seraient tirés et certains d’autres parlent même de Masaka.

Enfin concernant le mobile de l’attentat, le comité avance que l’akazu était déterminé à tirer un trait définitif sur les accords d’Arusha. D’abord le Comité devrait mieux établir l’antagonisme, les rivalités ou les oppositions internes dans l’akazu et où chacun des membres se rangeait. Le Comité nous dit que Sagatwa faisait partie du groupe des durs avec Bagosora et l’épouse du président pour ensuite nous dire que Bagosora et Nzirorera sont responsables de la mort de Sagatwa et Nsabimana. Les observateurs les mieux avertis de la scène politique rwandaise savent que Mathieu Ngirumpatse ne faisait pas partie de ce groupe et que le colonel Bagosora n’était pas très proche de Mme Habyarimana. De plus en mars 1993, la CDR avait acceptée les accords de paix et voulait les signer. La CDR avait publié un communiqué qui disait qu’il acceptait les accords et voulait participer dans la transition mais le FPR s’y opposait. Il y avait un consensus général qu’il valait mieux avoir le FPR à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’était plutôt le FPR qui devenait un frein à la mise en place des institutions de la transition comme la communauté internationale l’avait constaté en publiant son communiqué du mois de mars 1994. De plus le FPR avait boycotté sous des faux prétextes, les cérémonies de mise en place des institutions le 5 janvier 1994 et le 25 mars 1994. Il n’appartenait pas au FPR de désigner ou d’accepter les députés ou ministres régulièrement désignés par les représentants légaux des partis politiques. L’article 60 du protocole sur la partage du pouvoir durant la transition du 9 janvier 1995 y relatif stipule ceci : « L’Assemblée Nationale de Transition est, sauf exception prévue à l’article 63 du présent Protocole d’Accord, composée de soixante-dix (70) membres dénommés « Députés à l’Assemblée Nationale de Transition ». Ils sont nommés par les forces politiques auxquelles ils appartiennent et leur mandat couvre toute la période de la Transition »

La thèse du Comité suggérant que le génocide avait commencé en 1959 est une démarche politique pour protéger le FPR au cas où il serait prouvé que c’était le FPR qui avait tiré sur l’avion. Le Comité ne peut pas en même temps invoquer que le fait du génocide des Tutsi en 1994 est une réalité car reconnu comme tel par la communauté internationale et le TPIR alors que les massacres envers les Hutus ne constituent pas un génocide car ils ne sont pas encore reconnus comme tels par la même communauté internationale et le TPIR. En faisant ainsi, le Comité définit le génocide par rapport à ses propres termes et ainsi ouvre le débat sur la question du double génocide.

Le président Habyarimana ne m’a pas demandé de rédiger un communiqué annonçant la prestation de serment des membres du gouvernement et du parlement de transition le 4 avril 1994, il m’a plutôt demandé le 6 avril avant de prendre son avion que j’en discute avec Mme le Premier Ministre et qu’il voulait que les institutions restantes se mettent en place au plus tard le 9 avril 1994.

Ce rapport prouve encore une fois que nous avons besoin d’une organisation et d’un comité réellement indépendant pour s’approcher de la vérité sur cet assassinat qui a déclenché une catastrophe dans le pays. Mais qui pourra s’en occuper ? Le gouvernement rwandais vient de prouver qu’il n’est pas capable de faire avec objectivité et impartialité une telle enquête. C’est aussi compréhensible étant donné que certaines personnalités du régime sont également soupçonnées dans l’organisation de l’attentat. Le gouvernement rwandais actuel ne fera aucun effort pour demander une enquête internationale, sinon pourquoi aurait-il résisté aux enquêtes initiées par le TPIR comme Madame Carla Del Ponte en fait écho dans son livre ou Michael Hourigan l’ancien enquêteur du TPIR le dit.

Le silence du gouvernement burundais devant les conclusions de ce rapport dont pourtant l’ancien président du pays a péri dans le même attentat est révélateur de son embarras et impuissance.

Les pays voisins comme l’Uganda et la Tanzanie dont pourtant les présidents avaient participé au même sommet que les présidents rwandais et burundais ne réagiront pas sinon ils l’auraient fait déjà en 1994 en exigeant une enquête internationale pour élucider la mort de leurs collègues qui avaient participé au même sommet qu’eux. De plus le gouvernement rwandais vient d’acheter leur silence avec les médailles d’honneur décernées au Président Yoweri Museveni et à l’ancien président Julius Nyerere à titre posthume en juillet 2009.

La communauté internationale est plurielle avec des intérêts différents et souvent divergents. L’ONU est sous influence des USA et ces derniers ont toujours besoin du régime de Kigali au Soudan, en Somalie et au Congo. L’Union Africaine est juste un club des chefs d’état ayant un pacte d’entre-aide. Les pays comme la Belgique et la France qui connaissent bien le pays sont politiquement paralysés, la Belgique à cause de la politique intérieure propre à ce pays et la France au nom de la realpolitik selon B. Kouchner. Si au moins les autorités françaises permettaient et donnaient les moyens à la justice pour jouer son rôle avec les enquêtes dans les mains du juge Marc Trévidic.

La pression ne viendra que des Rwandais eux-mêmes mais ça pourra prendre du temps. Mais le jugement de l’histoire interviendra et il n’y a pas de doute. À moins qu’entre-temps, au nom du realpolitik rwandais, le gouvernement du FPR décide de nous révéler qui réellement est responsable de cet attentat. En fait de compte, que peut craindre ce gouvernement quand il contrôle l’armée, le système judiciaire, l’économie et dispose des amis puissants ? Il peut toujours inventer des circonstances atténuantes et les médias et le monde vont suivre.

Tout le rapport : fichiers attachés ci-dessous

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