« Génocidaires »
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Le terme de « génocidaire » ne figure sans doute pas encore dans le Larousse. Il a été inventé et utilisé au Rwanda à partir de 1994, pour qualifier les personnes qui ont participé au génocide. Il a depuis été largement utilisé et cette utilisation a franchi les frontières du Rwanda. Depuis son arrivée au pouvoir en juillet 1994, le régime du général Paul Kagame a élaboré une liste de génocidaires et a émis des mandats d’arrêt internationaux visant les personnes dont les noms figuraient sur cette liste et se trouvant à l’étranger.

Cependant, cette liste a évolué au fil des ans. Le pouvoir en place a eu tendance à y inclure toute personne suspecte d’opposition. Parfois même, des personnalités ayant collaboré avec le nouveau régime mais l’ayant ensuite dénoncé après s’être enfui à l’étranger se sont elles aussi retrouvées sur ladite liste. Kagame et ses alliés ont donc souvent usé et abusé du terme « génocidaires » afin de discréditer, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, toute personne tombée en disgrâce, ou coupable d’avoir critiqué les dérives du régime. Existe-t-il, en effet, accusation plus grave, plus infamante que celle d’être un « génocidaire »?

Ces accusations sont à nouveau d’actualité, depuis la visite effectuée à Kigali par le président Nicolas Sarkozy le 25 février 2010. Au cours de cette visite, le chef de l’État français a affirmé sa détermination à faire en sorte que « tous les responsables du génocide soient retrouvés et soient punis, où qu’ils se trouvent ». Quelques jours plus tard, le 2 mars, Agathe Habyarimana fut interpellée dans la région parisienne, sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités rwandaises. Présentée au parquet général de la Cour d’appel de Paris, on lui notifia la demande d’extradition la concernant. Après qu’elle eut indiqué qu’elle refusait d’être extradée, elle fut remise en liberté sous contrôle judiciaire.

Qui est cette dame de 67 ans, accusée par Kigali d’avoir planifié le génocide? Elle n’est autre la veuve de Juvénal Habyarimana, président du Rwanda de 1973 à 1994 dont l’avion fut abattu le 6 avril 1994. C’est cet événement qui déclencha, dès le lendemain, la vague de tueries de Tutsi et d’opposants, qui ensanglanta le Rwanda durant cent horribles journées. Les soldats français ont évacué Mme Habyarimana dans les jours qui ont suivi l’assassinat de son mari, et elle vit depuis en France. Sa demande d’asile politique a cependant été rejetée et elle est devenue une « sans papiers ». Cependant, le dossier d’accusation semble être vide. Les autorités rwandaises n’ont aucune preuve que la veuve de l’ancien président ait « planifié » le génocide. D’ailleurs, son propre frère, qui avait été également accusé et déféré au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) d’Arusha, a récemment été acquitté et libéré. Depuis des années, Kigali accusait Mme Habyarimana et son frère d’avoir été à la tête d’un mystérieux groupe surnommé « akazu », qui aurait préparé le génocide des Tutsi.

Agathe Habyarimana n’est sans doute pas une sainte. Elle a certainement pratiqué le népotisme, du temps de la présidence de son mari. Nombre de ses proches ont à l’époque pu occuper de hautes fonctions. C’est ainsi que ce système avait été surnommé, à l’époque, « akazu », c’est-à-dire la « petite maison », en langue locale. Les critiques du régime Habyarimana prêtaient une grande influence à cette « akazu ».

C’est après la guerre, sous le nouveau régime de Paul Kagame, que des bruits inquiétants ont commencé à courir sur l’akazu. Cette dernière aurait en fait été une officine occupée à préparer la « solution finale » visant à éliminer la population tutsi du Rwanda. Or, depuis sa création, le TPIR n’est pas parvenu à apporter la preuve qu’il y ait eu planification du génocide. Toutes les accusations de « planification » envers les hautes personnalités qui étaient jugées ont dû être retirées, faute de preuves. C’est ainsi que le frère d’Agathe Habyarimana fut acquitté en novembre 2009.

J’ignore ce qu’il va advenir d’Agathe Habyarimana. Je ne pense pas qu’elle soit extradée vers le Rwanda. Par contre, elle risque fort d’être jugée en France. Un tel procès pourrait être bénéfique, car il prouverait à nouveau que le génocide des Tutsi et des opposants d’avril-juillet 1994 n’avait pas été planifié mais plutôt provoqué par la disparition brutale du président.

D’autres Rwandais vivant en France ont fait l’objet d’accusations similaires, basées sur la fameuse liste de génocidaires diffusée par le régime de Kigali. C’est ainsi qu’il y a quelques mois les médias français firent leur « Une » de la présence d’un « génocidaire » au sein de l’équipe médicale de l’hôpital de Maubeuge. L’information leur avait été communiquée par une infirmière, qui n’avait pas apprécié une réflexion du Dr Eugène Rwamucyo. Ce dernier eut beau se défendre, le mal était fait et il fut suspendu par la direction de l’hôpital.

Plus grave encore est la situation du père Wenceslas Munyeshyaka. Ce prêtre catholique subit une véritable persécution médiatique depuis 1995. Je vais tenter de résumer ici cette triste affaire.

Le père Wenceslas était vicaire de la paroisse de la Sainte-Famille de Kigali. Après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana du 6 avril 1994, les massacres commencèrent à Kigali, avant de s’étendre en dehors de la capitale. Des milliers de Tutsi affluaient à la paroisse pour tenter d’y trouver refuge. Leur nombre s ‘éleva jusqu’à atteindre 18 000! Cela est sans doute dû au fait que, durant ces terribles semaines, la paroisse de la Sainte-Famille avait la réputation d’être la plus sûre de Kigali. Chaque jour, des miliciens interahamwe tentaient cependant de s’y introduire pour y enlever des réfugiés et ensuite les massacrer. Le père Wenceslas fit tout ce qu’il put pour négocier avec les soudards, pour tenter de les amadouer en se montrant amical, dans le but de sauver les malheureux sous sa protection. Il y parvint dans une large mesure. Seul, il dut faire face à des dizaines de miliciens ivres de fureur, armés et souvent drogués. Il est malheureusement arrivé que les miliciens surexcités et intoxiqués par le chanvre et par la haine parviennent à s’introduire dans l’enceinte de la paroisse pour s’y emparer par la force de certaines personnes réfugiées à l’intérieur. C’est ce qui se produisit le 17 juin, lorsque les interahamwe réussirent à franchir la clôture et à massacrer une soixantaine d’hommes, parmi les réfugiés tutsi, malgré la présence de quatre gendarmes chargés d’assurer la sécurité.

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Le père Wenceslas circulait beaucoup avec la camionnette de la paroisse, à travers la ville où les combats faisaient rage, afin d’essayer de se procurer de la nourriture pour les réfugiés. Pour cela, il risquait chaque fois sa vie. En effet, il pouvait être exécuté par les miliciens rendus furieux par l’aide qu’il apportait aux réfugiés tutsi. Il risquait aussi de périr dans un bombardement du FPR qui pilonnait la ville avec ses mortiers. C’est ainsi que des journalistes occidentaux le remarquèrent, souvent engoncé dans un gilet pare-balle. Cela devait être ensuite utilisé contre lui car selon ses détracteurs, le fait qu’il utilisait un tel gilet prouverait qu’il était lui-même un milicien hutu. Or ces derniers n’ont jamais porté de gilets pare-balle qui étaient surtout utilisés par les casques bleus et les agents de l’ONU. Les mêmes journalistes le virent aussi discuter amicalement avec des chefs miliciens. Là encore, on devait plus tard en déduire que cela apportait la preuve de sa connivence avec les interahamwe.

À ce stade de mon récit, je me dois d’avouer qu’il m’est arrivé, moi aussi, de porter un gilet pare-balle, lorsque la situation l’imposait. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé un tel accoutrement, fort lourd et encombrant. J’ai aussi souvent discuté « amicalement » avec des criminels de guerre, dont certains sont aujourd’hui en prison. Je l’ai fait afin de tenter de résoudre des problèmes humanitaires, tels que la libération d’enfants soldats. Si un journaliste de passage m’avait vu revêtu d’un gilet pare-balle, en train de discuter avec un seigneur de la guerre, en aurait-il déduit que j’étais je ne sais quelle espèce de mercenaire?

Le père Wenceslas affirme qu’il a accueilli dans les locaux de la paroisse « un grand nombre de réfugiés tutsi qui, désemparés et affamés, fuyaient les combats de l’Est du pays et ne savaient ni où se loger, ni comment se nourrir ». Il ajoute qu’avec de très grandes difficultés, il a essayé du mieux qu’il le pouvait, de leur porter aide et assistance. « Je crois que pour un très grand nombre d’entre eux, j’y suis arrivé, ainsi que beaucoup en ont témoigné », conclut-il.

Peu avant que Kigali ne tombe complètement aux mains des forces du FPR, début juillet 1994, le père Wenceslas dut abandonner la partie et prendre le chemin de Goma, comme des centaines de milliers d’autres Rwandais fuyant l’arrivée des rebelles tutsi. En effet, s’il craignait la folie meurtrière des miliciens hutu, il redoutait autant la férocité des hommes du FPR, dont il connaissait déjà les exactions dans les zones sous leur contrôle. De plus, il savait que, pour Kagame et les siens, il était devenu un témoin gênant. En effet, le père Wenceslas avait assisté à un massacre commis par le FPR. Le 1er mai, des obus s’étaient abattus sur sa paroisse de la Sainte-Famille, faisant au moins 13 morts et une centaine de blessés parmi les réfugiés tutsi. Le général canadien Roméo Dallaire, chef des casques bleus de l’ONU, raconte cet épisode dans son livre, écrit près de dix ans après les faits: « Les analyses du cratère ont démontré que les projectiles de mortier étaient de 81 millimètres et qu’ils avaient été tirés des positions du FPR », y écrit-il1. Le père Wenceslas, témoin oculaire, a dénoncé ce crime de guerre dans des interviews radio, aussitôt après le bombardement; il n’a pas hésité à en faire porter la responsabilité au FPR. Sans doute avons-nous là l’origine de la haine tenace que lui vouent Paul Kagame et les siens.

Sa décision de fuir le pays fut aussi motivée par le drame qui s’était joué le 5 juin à Gakurazo, un village proche de Kabgayi, au centre du pays. Une partie de la hiérarchie de l’Église catholique du Rwanda s’y trouvait réfugiée, rassemblée autour de Mgr Vincent Nsengiyumva, archevêque de Kigali. Il y avait là les évêques de Byumba et de Kabgayi, un vicaire général, un ancien vicaire général, le supérieur général des Frères Joséphites et sept autres prêtres. Ils furent tous rassemblés dans une salle et exécutés sommairement par un groupe de soldats du FPR. À l’approche des troupes rebelles, ces religieux avaient refusé de prendre la fuite, préférant demeurer avec les 30 000 déplacés Tutsi qui avaient trouvé refuge auprès d’eux.

À son arrivée au Zaïre, le père Wenceslas retrouva nombre de ses confrères, dans les camps de réfugiés de Goma. Le 2 août 1994, avec 29 autres prêtres, il rédigea une lettre adressée au pape Jean-Paul II, expliquant que les horreurs commises durant ces tragiques cent jours étaient une réaction face à celles commises par le FPR. Le père Wenceslas et ses confrères ne tentaient pas de justifier l’injustifiable. Ils essayaient plutôt de le remettre dans son contexte, en expliquant l’épouvantable enchaînement qui avait abouti au bain de sang. Par la suite, les accusateurs de Kigali et leurs relais en France et ailleurs ont utilisé cette lettre à charge, en affirmant que le père Wenceslas avait envoyé une missive « négationniste » au souverain pontife.

Quelques mois plus tard, le père Wenceslas fut accueilli en France par la Conférence épiscopale et envoyé, comme prêtre coopérateur, à Bourg Saint-Andéol, en Ardèche. Dès 1995, une campagne médiatique fut lancée, en France, contre la présence de ce prêtre « génocidaire » dans une paroisse française et contre la soi-disant « impunité » dont il aurait bénéficié. Les relais français du FPR incitèrent des réfugiés rwandais de la région de Montpellier à déposer plainte contre lui. Il fut accusé d’avoir collaboré avec les miliciens hutu en leur remettant des Tutsi réfugiés dans sa paroisse, sur la base de listes préparées ensemble. Il fut aussi accusé d’avoir abusé sexuellement de femmes tutsi réfugiées. Il s’en suivit une première interpellation du père Wenceslas, suivie de sa mise en examen, en juillet de cette année-là. Placé en détention provisoire, il fut libéré deux semaines plus tard sur une décision de la chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Nîmes. Il a depuis lors répondu à toutes les convocations de la justice, participant même à des confrontations avec ses accusateurs.

Depuis juin 2001, le père Wenceslas est prêtre coopérateur à la paroisse de Saint Gervais – Saint Protais de Gisors, dans l’Eure. Il occupe aussi les fonctions d’aumônier diocésain des Scouts de France, auprès du diocèse d’Évreux. Son changement de région n’a pas suffi à calmer la campagne médiatique. Des membres d’associations favorables au régime rwandais sont allés jusqu’à organiser des manifestations contre le père Wenceslas à Gisors. Nul doute qu’elles furent encouragées en cela par sa condamnation à la prison à perpétuité par un tribunal militaire rwandais, le 26 novembre 2006.

En 2007, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a estimé que la justice française étant saisie du dossier, il n’y avait pas lieu que le Père Wenceslas lui soit remis pour un procès à Arusha. Il fut à nouveau placé en détention provisoire avant d’être une nouvelle fois libéré quelques jours plus tard. Le père Wenceslas ne se cache pas. Il n’a jamais cherché à se soustraire à la justice. Il attend sereinement son procès, afin de pouvoir enfin faire reconnaître son innocence des crimes dont il est accusé et rétablir son honneur bafoué. Car certains médias n’ont pas cru devoir respecter la présomption d’innocence en relayant la campagne orchestrée depuis Kigali. C’est ainsi que la revue « Golias », qui se présente pourtant comme catholique, est allée jusqu’à le qualifier de « nouveau Touvier ». Même « le Monde » s’y est mis. Dans son édition du 25 février 2010, ce quotidien lui a consacré un long article, sous la plume de la journaliste Catherine Simon. Elle y écrit que le prêtre rwandais coule des jours paisibles en France, malgré le mandat d’arrêt du TPIR. L’honnêteté journalistique aurait dû lui faire préciser que père Wenceslas ne s’est jamais soustrait à la justice et que c’est le TPIR lui-même qui a demandé à la justice française de le juger. Le prêtre rwandais ne peut donc être tenu pour responsable de la lenteur de la justice de ce pays. De plus, la journaliste ne mentionne pas, dans son article, tout ce que père Wenceslas a fait, parfois au péril de sa vie, pour protéger et nourrir les milliers de réfugiés qui campaient dans sa paroisse.

À Gisors, les paroissiens semblent beaucoup apprécier ce prêtre venu du pays des mille collines. Un Comité de Vigilance pour la Présomption d’Innocence du Père Wenceslas a même été créé. Il a organisé dans cette petite ville du Vexin normand une soirée d’échange et d’information, le 31 août 2007, à laquelle participèrent 200 personnes. Plusieurs invités de marque y témoignèrent de l’innocence du père Wenceslas, en particulier un ancien coordinateur du Comité International de la Croix-Rouge. Ce dernier expliqua comment il avait collaboré au quotidien avec le prêtre, durant ces terribles journées de 1994, pour porter secours aux milliers de réfugiés de la paroisse de la Sainte-Famille. Il ajouta que des membres du CICR étaient présents à la paroisse en permanence et qu’aucune plainte à l’encontre du père Wenceslas n’avait jamais été reçue. Le journaliste-enquêteur Pierre Péan, auteur d’un livre sur le génocide2, y témoigna également. Il a consacré un chapitre de son livre au cas du père Wenceslas. Pierre Péan à évoqué le témoignage qu’il a recueilli de l’abbé Célestin Hakizimana. Ce prêtre rwandais était, au moment des faits, responsable de la paroisse Saint-Paul, voisine de celle de la Sainte-Famille, et il faisait partie de la même équipe sacerdotale que le père Wenceslas. Il figure au nombre des 19 héros rwandais distingués et médaillés par le gouvernement du Rwanda pour leur comportement pendant le génocide. Or, l’abbé Célestin a confié à Pierre Péan que son ami Wenceslas aurait lui aussi largement mérité de faire partie de ce groupe et de recevoir une médaille.

Dans cette triste affaire comme dans d’autres, la présomption d’innocence et le droit à l’équité devraient être respectés. Or, dans le cas du père Wenceslas, ils ont été bafoués. Le fait que des citoyens français aient cru devoir relayer, avec la plus grande virulence, des accusations suscitées par le dictateur de Kigali est indigne. Il reste maintenant à espérer que le père Wenceslas Munyeshyaka pourra rapidement avoir le droit à un procès équitable, en France, loin des pressions et des manipulations du général président Kagame et de ses hommes de main.

Ne nous méprenons pas. Mon propos n’est pas d’exonérer les véritables génocidaires, qui doivent être recherchés, jugés et punis. D’ailleurs, beaucoup l’ont déjà été. Depuis 1994, des dizaines de milliers de présumés génocidaires ont rempli les prisons rwandaises. Le fondateur et principal dirigeant des interahamwe a été fusillé en public, dans le plus grand stade de Kigali, en juin 1998. Depuis la création du TPIR, au lendemain du génocide, 81 personnes ont été arrêtées à travers le monde, sur mandat de ce tribunal international. Parmi elles, 23 ont déjà été définitivement condamnées et sont en train de purger leur peine. 8 accusés ont été acquittés et libérés, 26 sont en cours de procès tandis que 2 autres sont encore en attente de procès. Toutes les personnes accusées appartenaient au camp des vaincus. À ce jour, aucun criminel de guerre issu du FPR n’a été inquiété.

En accusant le père Wenceslas, c’est toute l’Église du Rwanda que le régime de Paul Kagame cherche à atteindre. Le prêtre de la Sainte-Famille n’est d’ailleurs pas le seul ecclésiastique à être attaqué par les autorités de Kigali. Un prêtre français, le père Gabriel Maindron, figure aussi sur la liste des « génocidaires » diffusée par le gouvernement rwandais. Ce prêtre a passé 34 années au Rwanda. Au moment du génocide, il se trouvait dans une paroisse de la région de Kibuye, proche du lac Kivu. Témoin de l’horreur, il est parvenu à sauver de nombreux Tutsi d’une mort certaine. Le journaliste Nicolas Poincarré a d’ailleurs consacré un livre à la tragédie vécue par ce prêtre3. Un total de onze prêtres catholiques figurent sur la liste de « génocidaires » que le gouvernement rwandais diffuse dans le monde entier grâce à internet. Certes, la tragédie rwandaise constitue une blessure terrible pour cette Église, et aussi un constat d’échec. Les vieilles haines tutsi/hutu ont souvent pris le pas sur les paroles d’amour de l’Évangile. Des catholiques ont massacré d’autres catholiques et des protestants ont massacré d’autres protestants. Des prêtres et des pasteurs ont su se montrer héroïques, allant jusqu’à donner leur vie pour en sauver d’autres. Par contre, certains membres des clergés catholique ou protestant ont cédé aux vieux démons de la haine ethnique, et ils ont collaboré avec les massacreurs. Avant le génocide, l’Église Catholique du Rwanda comptait 400 prêtres. 130 ont été tués durant cette terrible période.

Le régime de Kagame, ses relais en France ainsi que certains anti-cléricaux de toute obédience ont utilisé ce drame épouvantable pour prétendre que l’Église, en tant qu’institution, aurait participé au génocide. Il n’y a rien de plus faux. Des prêtres rwandais et des missionnaires ont sauvé des milliers de persécutés, des milliers d’orphelins abandonnés et traumatisés. Nombre d’entre eux ont pour cela sacrifié leur vie. Que l’Église ait compté en son sang des brebis galeuses, au Rwanda comme en Irlande ou ailleurs, cela est indéniable. Mais ces égarés ne devraient pas cacher le rôle souvent héroïque de tous les autres.

©Hervé Cheuzeville
(05.03.10)

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1« J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda », par Roméo Dallaire, éditions Libre Expression, 2003, page 459.

2« Noires Fureurs, Blancs menteurs. Rwanda 1990-1994 », éditions Fayard, 2005.

3« Gabriel Maindron, un prêtre dans la tragédie », collection « Les artisans de la Liberté », Les Éditions de l’Atelier, 1995.

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