Bilan de la visite de Michaëlle Jean au Rwanda : un camouflet
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Dans l’éditorial  « Paroles vides au Rwanda » (Le Droit, 27 avril 2010), M. Pierre Jury fait le bilan, notamment, de la visite de la gouverneure générale au Rwanda les 21 et 22 avril derniers.

Dans son analyse, l’éditorialiste, tout en reconnaissant le poids des mots que Mme Jean a prononcés au Rwanda, – d’abord en offrant des excuses pour « l’inaction du Canada   durant le génocide rwandais de 1994 » et, ensuite, en appelant de ses voeux l’émergence d’une presse libre et indépendante au Rwanda -, fait mention d’ « un trou béant » au programme de Mme Jean : une rencontre avec des représentants de l’opposition au régime rwandais.

Piqué au vif, le ministre des Affaires étrangères, M. Lawrence Cannon, dans sa réplique « Le gouvernement conservateur et l’Afrique » (Le Droit, 28 avril 2010), offre une réaction évasive aux propos de M. Jury dans laquelle le « trou béant » dans le programme de Mme Jean est soigneusement éludé.

Le ministre aurait pu saisir l’occasion pour rassurer les Canadiens d’origine rwandaise, très inquiets du pourrissement du climat politique dans leur pays d’origine. Une inquiétude d’autant plus outrageante quand on sait que les Rwandais se préparent à un scrutin présidentiel au mois d’août prochain alors que l’espace politique est complètement cadenassé. Une inquiétude d’autant plus mortifiante quand on sait, n’ayons pas peur des mots, comment la visite de Mme Jean au Rwanda s’est soldée : un camouflet diplomatique.   

Rappelons brièvement les faits. Alors que Mme Jean, – qui nous avait habitués à un discours de vérité prêchant les valeurs démocratiques -, exprimait des excuses en reconnaissant « la part de responsabilité du Canada » dans le drame rwandais, une autre dame, Victoire Ingabire Umuhoza, figure de l’opposition au Rwanda, prenait le chemin des geôles rwandaises pour avoir osé, au lendemain de sa rentrée d’exil en janvier dernier, dénoncer les dérives totalitaires du régime de Paul Kagame.

Certes, Mme Ingabire a été relâchée le lendemain mais elle demeure étroitement sous surveillance policière. Elle doit se présenter aux autorités policières deux fois par semaine et est interdite de quitter Kigali (la capitale du Rwanda). Recouvrera-t-elle sa pleine liberté? Rien n’est moins sûr. Elle qui promettait d’offrir aux Rwandais un véritable projet de société, doit redouter le pire scénario : voir son rêve – et l’espoir que les citoyens avaient placé en elle –  s’envoler au lointain firmament. À trois mois des élections présidentielles, son parti – les Forces démocratiques unifiées (FDU) – n’est toujours pas enregistré. Pendant ce temps, au Canada comme ailleurs, les autorités restent muettes sur son cas, cantonnées dans un silence où l’on entendrait une mouche voler. Nous voudrions bien croire le ministre Cannon quand il nous dit que  « l’appui du gouvernement  aux objectifs démocratiques  de l’Afrique reste inébranlable »!

De quoi Mme Ingabire est-elle accusée? De « négationnisme ». De « divisionnisme » et d’ « association avec un groupe terroriste ». Mince consolation pour Mme Ingabire : dans le collimateur des maîtres à penser du dictateur rwandais, elle n’est plus seule. Déjà, M. Déo Mushayidi, un autre opposant politique à Kagame et, de surcroît, rescapé du génocide, vient d’être écroué.

Certains supporteurs du président Kagame aimeraient sans doute que l’Histoire rwandaise soit écrite sous la dictée de ce tyran. Est-ce le prix à payer pour que les citoyens aient la vie sauve et espèrent des lendemains qui chantent? Est-ce à cela que les Rwandais doivent s’attendre sous l’oeil complaisant d’un grand pays ami comme le Canada?

Le bilan de la visite de Mme Jean au Rwanda, on vient de le voir, n’offre pas des résultats à la hauteur de ce que les Rwandais étaient en droit d’attendre d’une personnalité de sa stature. Le fait que Mme Jean n’ait pas jugé utile de rencontrer l’opposition rwandaise envoie un très mauvais signal qui résonne comme une bombe dans les oreilles des forces vives qui luttent pour la démocratie dans ce pays.

En somme, le passage au Rwanda de la gouverneure générale aura suscité plus d’interrogations que de réponses rassurantes. Que le Canada gagnerait-il par des génuflexions humiliantes, comme celle à laquelle on vient d’assister, devant une dictature qui, selon des sources bien documentées, aurait une large part de responsabilité dans le drame rwandais? Que le Canada perdrait-il en accompagnant les Rwandais dans leur difficile mais nécessaire exercice de réconciliation, en faisant pression sur le régime de Paul Kagame pour qu’il mette fin à sa dérive autoritaire? De quoi le Canada aurait-il à rougir en appuyant de façon décisive le processus de démocratisation du Rwanda?

Le ministre Cannon aurait pu être plus rassurant par rapport à ce sujet brûlant : la démocratie au Rwanda et l’emprisonnement des opposants à M. Kagame. Le Canada va-t-il appuyer de façon non équivoque le peuple rwandais à cette étape charnière de son Histoire? Si, d’aventure, cette occasion devait à nouveau être manquée, que l’on se garde de verser des larmes de crocodile en s’excusant de n’avoir rien vu venir…

Dr. Augustin Baziramwabo,  Président
Communauté des immigrants rwandais de la région d’Ottawa-Gatineau (CIRO)
Gatineau, Québec, Canada

03/05/2010

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