Mission possible : la réconciliation nationale au Rwanda
+

Introduction

“A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire” (Pierre Corneille, Le cid).

Le président Paul Kagame du Rwanda a gagné le scrutin présidentiel de 2003 en supprimant d’un trait de plume le parti MDR, en mettant des bâtons dans les roues à son candidat Faustin Twagiramungu qui se présentait en outsider et, enfin, en lui volant des voix parce que, en fait, c’est Faustin Twagiramungu qui avait remporté les élections présidentielles de 2003.

Sept ans après, Kagame récidive, mais à une échelle plus agrandie. Il a refusé l’admission du PS –Imberakuri au nombre des partis politiques agréés au Rwanda et il a mis en prison son leader, Me Bernard Ntaganda qui s’était déclaré candidat aux présidentielles du 9 août dernier. Pire encore, Paul Kagame n’a pas eu le courage d’affronter une femme, “un bout de femme” comme il l’appelle ; “une poignée de cendre (IVU)”, comme disait une certaine presse inféodée au même Kagame pour désigner Madame Ingabire Victoire Umuhoza, leader du FDU-Inkingi. Son parti n’a pas été agréé, elle-même a subi des tracas policiers et administratifs avant de finir en résidence surveillée.

C’est de cette manière que Paul Kagame a pu “vaincre sans péril” et qu’il a déjà commencé à “ triompher sans gloire”. La réflexion suivante est une invitation qui lui est lancée pour que, à défaut de légitimer un pouvoir mal acquis, il le mette au moins au service de nobles objectifs, au premier rang desquels se trouve la réconciliation.

Réconciliation I : Premiers obstacles à surmonter : cupidité et égoïsme

À juste titre, la communauté internationale a qualifié de “génocide” les tueries qui, sans épargner un grand nombre de Bahutu, ont visé principalement les Batutsi du Rwanda en 1994. Par contre, elle fait la sourde oreille, elle ne veut rien voir, ne rien dire quand elle est invitée à s’exprimer sur les tueries auxquelles s’est livrée l’APR sur les Bahutu. Et pourtant, ces tueries ont commencé avant le génocide, elles se sont poursuivies pendant et après le génocide. Elles ont fait plus de victimes que le génocide lui-même et elles en font encore jusqu’aujourd’hui. Sur place au Rwanda, mais aussi dans certains pays du monde, les rescapés de ces tueries et les parents des victimes subissent au quotidien un terrorisme intellectuel, psychologique et moral. S’ils évoquent la fin tragique des leurs, le régime de Kigali et ses suppôts de par le monde les accusent de nier ou de banaliser le seul vrai “ génocide”. Mais en fait, qui est négationniste ? C’est celui qui nie que l’APR a tué plus de Bahutu que les « Interahamwe » n’ont tué de Batutsi, pour le seul motif de leur appartenance ethnique. Contraint par l’évidence à reconnaître la gravité et l’étendue des faits, alors le négationniste se met à les qualifier de cas isolés, de bavures, de légitime vengeance, etc. Il les banalise et s’en réjouit même. Si tu lui montres, preuves à l’appui, que nous sommes en face de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de crimes de génocide, alors il élève la voix, il gesticule, il t’accuse de tous les maux et te menace. Il te terrorise. Quelle paix, quelle cohabitation peut-il y avoir entre compatriotes dont les uns ignorent la profonde douleur des autres ?

Aucun Munyarwanda n’a nié le génocide rwandais de 1994. Par contre, beaucoup de Rwandais et de non Rwandais se dissocient des rescapés tutsi de ce génocide sur un point très important : la gestion de l’après-génocide ou l’usage du statut de rescapé comme un fond de commerce ou un chèque en blanc. Cette prise de distance ne signifie nullement banalisation, et encore moins négation du génocide. Elle est plutôt liée à un élément de la sensibilité et de la culture du Munyarwanda, à savoir que : il est indécent et ignoble d’exiger plus qu’il ne faut pour la réparation d’un tort subi, quand bien même ce tort serait un crime de sang.

Cette cupidité est  vilipendée dans la langue et la culture rwandaises sous le nom de “kugira inda nini ”. Au propre, l’expression “kugira inda nini ” signifie “avoir un estomac volumineux”. Au figuré, l’expression renvoie, non plus à la quantité mais, à la qualité. L’“inda nini” engloutit tout et ne dédaigne rien. Très facilement et presque toujours, insensiblement, l’“inda nini” devient aussi un “inda mbi”. C’est pourquoi il porte aussi le nom de “Inda ndende”, c’est-à-dire un estomac long, tellement long qu’il ingurgite toujours et ne se remplit jamais. Au propre, l’expression “inda mbi” signifie : “ un estomac méchant”. Au figuré, cette expression porte à l’esprit l’un des éléments commun à l’anthropologie hébraïque et à celle rwandaise. Chez les Hébreux, les sentiments ont leur siège dans les viscères et non dans le cœur.  Pour le Rwandais, les sentiments proviennent et du cœur et des viscères. Un grand-père ou une grand-mère qui salue son petit-fils (mais aussi son fils ou sa fille s’il ne le voyait plus depuis longtemps) exprime sa tendresse en le dévisageant d’un regard doux de la tête aux pieds, en lui palpant en même temps les deux bras à partir des épaules jusqu’au bout des doigts. À la fin de cet embrassement, il prend la main droite de son cher fils ou petit-fils et se la pose au niveau du nombril. Puis, le cas échéant et très discrètement, il l’appelle : “Bura bwanjye”, ce qui signifie : “Mes intestins (viscères)”.

Toujours au figuré et selon la sagesse rwandaise, le grand défaut de l’ “inda mbi” consiste en ce que “uyiha amata, ikaruka amaraso” : “tu lui donnes du lait ; il vomit du sang”. Pensons d’abord au lait maternel. Tout le monde connaît l’importance du lait maternel pour la croissance physique et psychologique du nourrisson. Il est de notoriété publique que l’allaitement renforce les liens d’affection qui unissent la maman et son enfant. Un enfant qui s’en prendrait violemment au sein qui l’a allaité, voilà un exemple d’“inda mbi”. Cette agression fait de lui, ipso facto, un “igikenya” : un maudit qui ne vivra pas longtemps et mourra d’une mort violente. Passons au lait de vache. Pour le Rwandais, ce liquide d’un blanc immaculé, à la fois nourrissant et désaltérant, est aussi précieux et sacré que la vache dont il provient. Sachant très bien que l’entretien d’une seule vache, pour ne pas dire tout un troupeau, est un travail très fatigant, celui qui reçoit gracieusement  une quantité de lait ne peut pas prétendre avec arrogance et menaces d’en recevoir chaque jour plus. S’il le fait, il devient un “inda mbi. Uyiha amata, ikaruka amaraso ”.

L’éleveur ne calme pas le loup qui rôde dangereusement autour de la ferme en lui jetant des agneaux dans la gueule. “Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent” (Mt 7,6). Et Saint Jacques de renchérir :

D’où viennent les conflits et les querelles parmi vous ? Ils viennent de vos passions qui combattent sans cesse au-dedans de vous. Vous désirez quelque chose, mais vous ne pouvez pas l’avoir, et alors vous êtes prêts à tuer ; vous avez envie de quelque chose, mais vous ne pouvez pas l’obtenir, et alors vous vous lancez dans des querelles et des conflits. Vous n’avez pas ce que vous voulez, parce que vous ne savez pas le demander. Et si vous demandez, vous ne recevez pas, parce que vos intentions sont mauvaises : vous voulez tout gaspiller pour vos plaisirs. Infidèles que vous êtes ! (Jc 4, 1-4).

Force nous est de constater qu’il y a eu et il y a encore de l’“inda nini”, de l’“Inda ndende”et de l’“inda mbi” dans la gestion de l’après-génocide au Rwanda. Dante Alighieri compare cette volupté, cette passion

à une bête cruelle qui ne permet pas aux gens de suivre leur chemin, mais s’acharne contre eux, et les fait tous périr. Par sa nature, elle est si méchante et perverse qu’on ne peut assouvir son affreux appétit, car plus elle dévore, et plus elle a faim[1]

Cela constitue un gros obstacle sur la voie de la réconciliation au Rwanda. Mais l’obstacle est surmontable. De quelle manière ? Nos ancêtres disaient : “Inda mbi, iyo irengeje igihe, ishoborwa n’umuhunda w’icumu”. Ce qui signifie : “L’estomac volumineux, s’il n’a fait que trop durer, il faut le faire crever par un coup de lance”. La violence n’étant plus de mise, les Rwandais devraient lever cet obstacle par d’autres voies par des voies pacifiques. Sans être exhaustifs, nous allons voir où et comment l’“inda mbi” et l’“inda nini” se manifestent dans la gestion de l’après-génocide au Rwanda. (à suivre).

F. RUDAKEMWA
03/09/2010

###google###


[1] ALIGHIERI D., La divine comédie, L’enfer, Chant I, 94-99.

Pas de commentaire

COMMENTS

Repondre

Laisser un commentaire