Le FPR pourrait imprimer un bel élan au processus de réconciliation nationale en procédant à une sévère autocritique, à l’abrogation ou à l’amendement de plusieurs lois injustes actuellement en vigueur au Rwanda, ouvrant ainsi les portes au partage et au bon usage du pouvoir. Les crimes du FPR au Rwanda et dans les pays limitrophes sont innommables et innombrables. Ils ont été très bien documentés et continueront à l’être encore. Si le FPR avait l’humilité de les reconnaître, de mettre fin à sa politique de fuite en avant pour écouter les Rwandais et la communauté internationale, le processus de réconciliation accomplirait un grand pas au pays des Mille Collines. “Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est (Il est dans la nature humaine de se tromper, mais persévérer est diabolique)”.
Il y a certainement parmi les cadres du FPR des hommes sages sensibles à ce discours ; mais son président, Paul Kagame, donne l’impression d’y être allergique. Le peuple rwandais lui reproche, entre autres, de porter à l’extrême la néfaste et anachronique tendance de «ceux qui détiennent l’autorité … à la faire servir indûment à leur propre avantage et à l’avantage de leurs proches ou de leurs amis». Les proches de Kagame sont évidemment ses congénères de l’ethnie des Batutsi. Ils sont tous égaux mais, comme le disait Georges Orwell, “certains sont plus égaux que d’autres”. Voici comment ils se suivent par ordre d’importance :
1. les Batutsi anglophones rentrés d’exil en Ouganda en 1994,
2. les Batutsi anglophones rentrés d’exil dans d’autres pays,
3. les Batutsi non anglophones rentrés d’exil dans divers pays,
4. les Batutsi rescapés du génocide d’avril 1994 au Rwanda,
5. les autres Batutsi.
Cette politique d’exclusion est anachronique. Déjà en 1990, l’opposition intérieure non armée s’était assigné l’objectif d’y mettre fin. Le FPR lui-même a séduit bon nombre de Rwandais ainsi qu’une bonne partie de la communauté internationale en1990 en affirmant qu’il prenait les armes pour le même but. Ce n’était qu’un mensonge.
"On croit toujours, lorsqu’on s’engage sur le chemin du mensonge, que le trajet sera court et facile ; on franchit aisément et même avec un certain plaisir les premiers obstacles ; mais bientôt la forêt s’épaissit, la route s’efface, se ramifie en sentiers qui vont se perdre dans des marécages ; chaque pas bute, on s’enfonce ou s’enlise ; on s’irrite ; on se dépense en démarches vaines dont chacune constitue une nouvelle imprudence"[1].
C’est cette expérience que continue à vivre le FPR, mais c’est tout le peuple rwandais qui en souffre. En fait, dès sa naissance, le FPR avait un agenda caché qui prévoyait le maintien de la politique d’exclusion au détriment des Bahutu. Ruzibiza le dit en ces termes :
"Quant aux Hutu qui collaboraient avec le FPR, même si un bon nombre d’entre eux avaient été victimes du régime alors en place, miné par le régionalisme, ils étaient pour le FPR de simples instruments à qui on pouvait donner quelques postes en cas de victoire parce qu’ils nous auraient aidés. C’est en tous cas l’opinion générale que nous avions d’eux…"[2].
La politique d’exclusion va de pair avec la monopolisation du pouvoir. Cette dernière aurait était impossible au Rwanda ave la mise en application des accords de paix d’Arusha faits de divers protocoles sur l’Etat de droit, le partage du pouvoir, la fusion des armées, etc. Les accords n’avaient pas encore été signés que le FPR se procurait déjà quantités d’armes, munitions et bombes. Cet arsenal devait servir : ou à lancer l’offensive finale pour la prise du pouvoir en cas d’échecs des négociations, ou pour saboter le processus de paix qui résulterait du succès de ces négociations[3]. A la fin, il servira à tous les deux. Le processus de paix, fruit des accords d’Arusha, sera étouffé dans l’œuf par l’assassinat du président Juvénal Habyarimana et le lancement de l’offensive finale le soir du 6 avril 1994. La guerre dégénéra en génocide et le pays s’embrasa.
Tous les Rwandais, à part les criminels des deux bords, pousseront un ouf de soulagement à l’occasion de la mise en place du premier gouvernement national de transition à base élargie dirigé par Monsieur Faustin Twangiramungu. Et pour cause, ils se reconnaissaient tous en cet exécutif. La présence au sein de cette équipe de Mrs Pasteur Bizimungu et Alexis Kanyarengwe, respectivement président de la république et ministre de la fonction publique, suffisait pour rassurer les gens du nord. Celle de Mrs Faustin Twagiramungu, Jean Marie Vianney Ndagimana et Alphonse Marie Nkubito, respectivement premier ministre, ministre des affaires étrangères et ministre de la justice, rassurait les populations de Cyangugu et une partie de celles de Gitarama où Mr Faustin a pris femme, et pas n’importe laquelle, mais la fille de l’ancien président Grégoire Kayibanda d’heureuse mémoire. La présence de Mr Seth Sendashonga, ministre de l’intérieur, rassurait les gens de Kibuye, et celle de Mr Jean Baptiste Nkuriyingoma, ministre de l’information et porte-parole du gouvernement, ceux de Byumba. La présence du général Paul Kagame, ministre de la défense et chef d’Etat major de l’armée suffisait pour rassurer plus que suffisamment tous les Batutsi.
La perfection n’est pas de ce monde, mais sous le gouvernement de Twagiramungu, il était impossible que la politique d’exclusion resurgisse au Rwanda. Kagame n’était pas content de cette situation. Le fait qu’il y ait eu génocide lui fournissait une belle occasion de culpabiliser tous les Bahutu sans distinction, de justifier une politique de discrimination totale à leur égard, et surtout de s’adonner à une vengeance impitoyable. L’unique obstacle qu’il voyait était l’existence ce gouvernement et le bon fonctionnement dont il commençait déjà à faire preuve. Qu’à cela ne tienne ! Il décida de paralyser son activité de trois manières :
· En imposant par la force l’érection du dicastère de vice-président de la république et en se nommant lui-même à ce poste. Là, il devenait vraiment l’homme fort du pays.
· En nommant députés et sénateurs des officiers encore en actif dans son armée. Leur mission consistait à bloquer par tous les moyens toute loi pouvant créer obstacle à la politique qu’il voulait pratiquer.
· En jouant sa partie en solo, comme si le gouvernement n’existait pas.
La partie en solo consistait à envoyer ses soldats quadriller le territoire national, semer partout la terreur par des enlèvements, des emprisonnements et des exécutions sommaires. Jusqu’aujourd’hui encore, ce climat de terreur va de pair avec des interférences (immixtions, ingérences) dans le fonctionnement de l’administration civile et judiciaire à tous les niveaux, ainsi qu’avec la main mise sur l’économie. Quant à l’équipe gouvernementale en tant que telle, l’homme fort se chargea personnellement de paralyser son action. Il contraignit aux démissions : le ministère de l’intérieur, Mr Seth Sendashonga; le premier ministre, Mr Faustin Twagiramungu et son successeur, Mr Pierre Célestin Rwigema ; le président du parlement, Mr Joseph Sebarenzi et le président de la république, Mr Pasteur Bizimungu. Pour ne citer que ceux-là. En 2000, il assuma les pleins pouvoirs comme Mussolini en 1925, comme Hitler en 1933. Il devint donc président de la république et supprima le poste de vice-président. Tous ces “démis” trouveront le salut dans la fuite à l’étranger. L’ex président Bizimungu qui ne voulut pas s’y résoudre restera en prison pendant de longues années ; tandis que l’ancien ministre de l’intérieur, Mr Seth Sendashonga, sera assassiné le 16 mai 1998 à Nairobi au Kenya, au moment où il s’apprêtait à aller témoigner devant le TPIR basé à Arusha. La question de savoir “qui avait intérêt à l’éliminer” est superflue. Il n’était pas le premier, il n’allait même pas être le dernier. Loin s’en faut !
En 2003, les Rwandais eurent l’occasion de signifier à Kagame qu’ils en avaient ras le bol de sa politique d’exclusion. Ils le firent en votant massivement, aux élections présidentielles de cette année-là, pour l’ex premier ministre, Mr Faustin Twagiramungu. Celui-ci s’était présenté en outsider. A la veille des élections, en effet, l’homme fort de Kigali avait imposé la suppression par voie administrative de son parti, le MDR. Au cours de la campagne électorale, il lui mit tous les bâtons possibles et imaginables dans les roues. A la grande surprise du général, le décompte des voix donna Mr Faustin largement vainqueur. C’est alors, à la dernière minute pratiquement, qu’il y a eu des falsifications, des trucages et des bourrages d’urnes. Kagame se proclama président élu à 95% des suffrages exprimés. L’expérience enseigne.
En 2010, au terme d’un mandat de 7 ans, comme nos l’avons dit dans l’introduction, pour conjurer la mauvaise surprise de 2003, Kagame a recouru à la prévention. Les partis PS-Iberakuri et FDU-Inkingi n’ont pas été agréés. Leurs candidats, Bernard Ntaganda et Madame Ingabire Victoire Umuhoza, ont été mis respectivement en prison et en résidence surveillée, et sous mandats judiciaires. Dans ces conditions, ils ne pouvaient même pas se présenter en outsiders. Mal élu, Kagame va poursuivre jusqu’en 2017 sa politique d’exclusion. Certes, la complicité crée des liens plus forts qu’une simple amitié, mais les faveurs élargies dans le cadre d’une politique erronée et anachronique créent plus d’ennemis que d’obligés. Les Rwandais qui voudraient que la politique d’exclusion disparaisse sont plus nombreux que Kagame ne le pense.
"Le pouvoir, sans le consentement de ceux sur lesquels il est exercé, est une duperie qui jamais ne dure longtemps, un équilibre éminemment fragile entre la peur et la révolte, et qui se rompt d’un coup quand suffisamment d’hommes prennent ensemble conscience de partager le même état d’esprit"[4] .
Rien de tel qu’une réconciliation pour éviter au Rwanda une autre éventuelle transition en bain de sang. Le FPR donnerait un coup de pouce à ce processus de réconciliation en procédant à une profonde autocritique et en abrogeant certaines lois injustes en vigueur au Rwanda comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant.
F. Rudakemwa
08/09/2010