Les « Assises du dialogue national » viennent de s’achever à Kigali. Elles ont réuni des Rwandais de tous bords autour du président Paul Kagame. Les participants, surtout ceux qui sont venus de l’étranger, étaient triés sur le volet, car il fallait faire en sorte qu’il n’y ait pas de voix discordante comme à Bruxelles le 04/12/2010 quand le représentant de la diaspora rwandaise en Belgique a tenu un discours qui n’a pas présentement plu au président. Sur ce point, ce fut une réussite. Tous ceux qui ont pris la parole ont loué le président pour avoir été réélu « démocratiquement » ; pour son « ouverture politique » ; pour l’instauration d’ « un Etat de droit » au Rwanda, etc. Certains ont même félicité le président pour avoir emprisonné les opposants politiques comme Victoire Ingabire ou d’avoir insulté, dans son discours inaugural, ses anciens collaborateurs en exil dont le général Kayumba Nyamwasa et le colonel Patrick Karegeya.
Ce « dialogue national » est une occasion manquée d’aborder les vrais problèmes du pays. Si dialogue il doit y avoir, c’est entre les Hutu et les Tutsi qui s’entretuent sur ce petit territoire depuis des millénaires. Dans un passé récent, en 1994, « des Hutu ont tué des Tutsi » ; en 1996-1997 « des Tutsi ont tué des Hutu », etc. Pourquoi ?
La question hutu-tutsi mérite d’être discutée si le Rwanda veut construire son avenir sur des bases solides. Mais elle est tout le temps éludée. En avril 1958, le roi Mutara Rudahigwa s’en est pris aux Hutu qui réclamaient leurs droits et l’abolition de la féodalité. Il a dit qu’il n’y avait ni Hutu ni Tutsi au Rwanda. Il a fallu la révolution de 1959 pour que ces droits soient obtenus. Les Tutsi exilés depuis lors sont revenus par les armes en octobre1990. Dans les préparatifs des Accords d’Arusha, la question hutu-tutsi fut mise à l’ordre du jour. Le FPR la rejeta. A la prise du pouvoir, il a cimenté son discours de l’inexistence des « ethnies » au Rwanda.
Pourtant Hutu et Tutsi sont des réalités sociales qu’on ne peut pas nier. Le pouvoir du FPR a entrepris de réécrire l’histoire du Rwanda. Or, l’histoire est ce qu’elle est, elle est ce qu’elle a été ; on ne change pas l’histoire (A. Perraudin). Il y a lieu de reconnaître l’existence des « ethnies » sans pour autant faire de l’ethnisme. Il ne faut pas nier les ethnies, mais les assumer et permettre à tout un chacun de se sentir protégé dans un état de droit (Ch. Ntampaka). L’ethnie est une réalité historique et supra-individuelle incontestable étudiée par les sciences sociales alors que l’ethnisme est un simple comportement individuel ou collectif dont l’étude devrait plutôt relever de la psychanalyse ou de la psychologie pathologique (M. Balibutsa).
Qu’on les désigne par « ethnies », « groupes sociaux », etc., ou qu’on nie cette réalité, tout Rwandais connaît son appartenance « ethnique ». En paraphrasant ce professeur belge, les « ethnies » ont tellement fait des dégâts au Rwanda qu’il est inutile de se poser la question de savoir si oui ou non elles existent.
Ils sont sur la bonne voie les initiateurs du « Dialogue Inter-Rwandais » qui rassemblent les Rwandais membres des ethnies Hutu et Tutsi, avec notamment l’appui du Prix Nobel de la Paix Mr. Adolfo Perez-Esquivel.
Au Rwanda, il est temps que cette politique hypocrite cesse car elle conduira tôt ou tard le Rwanda dans l’abîme. Les « Assises » qui viennent de s’achever au Rwanda ont montré la duplicité du discours tenu par les participants au « dialogue national ». Allait-il en être autrement ? Les Rwandais de l’extérieur avaient par exemple des tickets d’avion gratuits. Ils étaient logés et nourris. Ce voyage fut pour eux une occasion de visiter les leurs restés au pays. Qui allait oser dire la vérité au risque de se voir retirer son billet retour ?
Gaspard Musabyimana
23/12/2010