Depuis la prise du pouvoir par le FPR en 1994, plus d’une demi-douzaine d’ambassadeurs nommés par ce régime ont fait défection tout simplement en refusant de retourner au Rwanda quand ils étaient rappelés. De Christophe Mfizi, ambassadeur à Paris après 1994 jusqu’au tout dernier Augustin Habimana qui vient de s’exiler à partir de son poste d’affectation de Bujumbura, la liste est longue : Jean Marie Mbonimpa est resté en Suisse après sa mission; Antoine Nyilinkindi a pris le large à partir de Kinshassa où il était en poste. Jean-Pierre Bizimana a « disparu » des Pays Bas où il était ambassadeur pour réapparaître en Irlande comme réfugié politique. L’insaisissable et intriguant Anastase Gasana lui-même a profité de son affectation à New York pour rester aux Etats-Unis, etc.
Comment expliquer cette hémorragie ?
Le dénominateur commun à tous ces « déserteurs » est qu’ils sont tous des Hutu nommés par le régime du FPR non pas pour leurs compétences ou leur affiliation politique mais pour donner le change à ceux qui croiraient que les Hutu n’occupent pas des postes importants dans les rouages de l’Etat. Non seulement ils n’ont aucune autorité même dans le domaine de leur responsabilités théoriques, mais en plus ils sont humiliés et ridiculisés par leurs « subalternes » tutsi qui leur ont été collés pour les doubler et les surveiller. Certaines anecdotes rapportent que certains de ces « ambassadeurs » ont été giflés par leurs 1° ou 2° conseillers ou même des secrétaires, tandis que d’autres étaient publiquement insultés par leurs chauffeurs qui se considéraient en tant que tutsi comme « supérieurs naturels » à l’ambassadeur hutu. Dans ces conditions, le rappel à Kigali est perçu pour ces personnes traumatisées comme une occasion en or de reprendre un peu de leur liberté en rompant le lien avec leurs maîtres surtout qu’elles ne pouvaient même pas démissionner dans les normes sans risque d’être surpris par leurs anges gardiens.
Et les autres ?
Il est clair que tous les « Hutu de service », du Premier Ministre jusqu’au planton en passant par les ministres et députés nommés, ne rêvent qu’au moment où ils pourraient enfin respirer et vivre la tête haute sans plus jamais raser les murs à la rencontre d’un vulgaire tutsi. Hélas ! ils ne sont pas comme les ambassadeurs affectés à l’extérieur d’où ils pourraient prendre le large. Ils sont véritablement « écrasés » par le système du FPR qui a fait du Rwanda un état-policier qui ferait pâlir Staline ! L’humiliation que subissent ces cadres est à la hauteur du joug sous lequel ploie tout le menu peuple rwandais depuis la Restauration de la féodalité (sous une forme républicaine) de 1994. Cette frustration de tout un peuple, si elle perdure, risque hélas! de déboucher sur un ras le bol de celui-ci et à un soulèvement comparable à celui de 1959. Mais le FPR, ivre du pouvoir absolu, est devenu amnésique.
Gaspard Musabyimana et Emmanuel Neretse
09/06/2013