Harjit Sajjan et Roméo Dallaire devant un hôpital en République démocratique du Congo, le 15 aout 2016. On aperçoit, dans la dernière rangée, à gauche, Marc-André Blanchard, ami personnel de Jean Charest et ancien président du Parti libéral du Québec. M. Blanchard dirigeait la société d’avocats McCarthy Tétrault, jusqu’à ce que Justin Trudeau le nomme ambassadeur du Canada aux Nations Unies, le 16 janvier 2016.
Dallaire, Arbour et Kagame
En mars 1993, des soldats canadiens dépêchés en Somalie pour y « maintenir la paix » battent à mort un Somalien de 16 ans. Ce drame n’est pas le seul à être imputé aux soldats canadiens en Somalie, qui ont tué d’autres civils somaliens et torturé des prisonniers, notamment des enfants âgés de 9 à 13 ans, qu’ils ont attachés les mains dans le dos et laissés en plein soleil. Des soldats, des sous-officiers et des officiers subalternes doivent porter la responsabilité de l’affaire, tandis que les hauts gradés, comme l’ancien chef d’état-major John de Chastelain, s’en tirent indemnes parce que la commission Létourneau ne peut pas terminer son enquête. Elle remet néanmoins son rapport, intitulé Un héritage déshonoré — Les leçons de l’affaire somalienne. Ce sombre épisode révèle la nature inamicale des interventions « militaires humanitaires » du Canada en Afrique.
En 1994, le général canadien Roméo Dallaire dissimule les préparatifs de guerre du Front patriotique rwandais (FPR), qui refuse de participer au gouvernement de transition prévu dans les accords d’Arusha de 1992 et 1993. Dallaire révèle à des officiers du FPR les cartes d’état-major des forces armées rwandaises, dont il garde les armes sous clé, tandis qu’il laisse le FPR infiltrer à Kigali, capitale du Rwanda, des milliers de combattants et de grandes quantités d’armes, y compris les missiles sol-air qui serviront à abattre l’avion présidentiel le 6 avril 1994. Les faits et gestes de Dallaire au Rwanda, qui tranchent nettement avec ses dires et avec la réputation de héros que les médias lui ont fabriquée au Canada, sont abondamment décrits par Jacques-Roger Booh Booh, dans son livre Le patron de Dallaire parle. En outre, l’histoire des tragiques évènements de 1994 que relatent l’officier de renseignement sénégalais de la MINUAR Amadou Deme ainsi que le commandant du secteur Kigali de la MINUAR,le colonel Luc Marchal, est passablement différente de l’histoire racontée par Dallaire et reprise au grand écran.
L’attentat au missile vraisemblablement commis par le FPR, qui entraine la mort des chefs d’État du Rwanda et du Burundi, amorce ce que certains ont convenu d’appeler le génocide des Tutsis, dogme fondateur officiel du régime actuel de Kigali. Au Rwanda, quiconque remet en question ne serait-ce qu’une partie de ce dogme, même en invoquant des faits indéniables, est immédiatement emprisonné et court aussi le risque d’être exécuté. C’est le cas de l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza, incarcérée à Kigali depuis le simulacre de procès que lui a fait subir le FPR.
À l’étranger, ceux qui détiennent de l’information compromettante pour le régime de Kigali et qui, de ce fait, se montrent critiques envers ce régime ou n’adhèrent pas intégralement au dogme du génocide des Tutsis sont systématiquement harcelés et accusés d’être des génocidaires, d’adhérer à des thèses négationnistes ou encore d’attiser la « haine des Tutsis ». Certains sont même assassinés. Ce fut le cas de nombreux anciens membres du FPR partis en exil pour tenter de sauver leur peau, par exemple, Seth Sendashonga et Patrick Karegeya.
Le 7 avril 1994, dix Casques bleus belges se font torturer sous les yeux de Roméo Dallaire, à Kigali. Le bon général fait mine de ne pas les voir et les abandonne à une mort atroce. Il prétextera plus tard qu’il n’y pouvait rien parce qu’en intervenant, il aurait mis en péril le personnel onusien au Rwanda, une explication qui est difficile à avaler.
Pourquoi, par exemple, Dallaire n’a-t-il pas informé immédiatement le colonel Bagosora, avec lequel il tenait une réunion ce jour-là, du massacre des soldats belges qui était en cours et dont il venait d’être témoin ? En sacrifiant ses hommes, cherchait-il à fournir un prétexte à la Belgique pour retirer ses troupes, qui constituaient le principal contingent de la MINUAR ? Le départ des Casques bleus du Rwanda, réclamé ouvertement par Paul Kagame, et non par l’armée gouvernementale rwandaise, supposément génocidaire, a fourni au potentat en devenir la marge de manoeuvre qu’il souhaitait pour achever sa conquête du pays dans un effroyable bain de sang.
Dallaire racontera aussi qu’il avait tenté de prévenir l’ONU de l’imminence du génocide, notamment au moyen d’un fax. Or, ce fax n’a jamais existé, comme l’a démontré Charles Onana dans Les secrets de la justice internationale. Sans la complicité de Roméo Dallaire, le FPR n’aurait pas pu reprendre la guerre qu’il avait déclenchée en 1990, et le génocide n’aurait pas eu lieu.
Et si le génocide n’avait pas eu lieu, les prêtres québécois Claude Simard et Guy Pinard n’auraient pas été assassinés au Rwanda, le 17 septembre 1994 et le 2 février 1997. Dans les deux cas, Ottawa dispose de preuves attribuant le meurtre au FPR, mais préfère soigner ses relations avec le chef de cette organisation, Paul Kagame, qui dirige le Rwanda d’une main de fer depuis 1994, bien qu’il n’en soit officiellement le président que depuis 2000. Roméo Dallaire n’a jamais caché son admiration pour Paul Kagame, avec lequel il collabore encore aujourd’hui. Mais on ne peut pas dire que ce sentiment fasse l’unanimité.
De l’avis de Willy Claes, ministre des Affaires étrangères de la Belgique de 1992 à 1994 et secrétaire général de l’OTAN en 1994 et 1995, Paul Kagame est « au moins en partie responsable du génocide rwandais ». Selon le professeur Filip Reyntjens, spécialiste réputé de l’histoire du Rwanda, Paul Kagame est « le plus grand criminel en fonction aujourd’hui ». Aux yeux d’une multitude de témoins de premier plan et de nombreux experts, les exterminateurs à la solde de Kagame ont tué des millions de personnes au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC), entre 1990 et aujourd’hui.
Néanmoins, pour Louise Arbour, icône humanitaire, ancienne procureure en chef du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et ex-juge de la Cour suprême du Canada, les crimes de masse de Paul Kagame et du FPR ne méritent pas qu’on s’y intéresse. Lorsqu’en février 1997, l’enquêteur australien Michael Hourigan informe Mme Arbour qu’il a recueilli des témoignages crédibles désignant le FPR et Paul Kagame comme auteurs de l’attentat du 6 avril 1994, Mme Arbour ordonne à M. Hourigan de mettre fin à son enquête.
Roméo Dallaire et Paul Kagame en 2013
Roméo Dallaire s’est rendu au QG des Forces de défense du Rwanda, dans le secteur Kimihurura de Kigali, le 12 mai 2016. Sur la photo, il est accompagné de Shelly Whitman, directrice générale de la Child Soldier Initiative (première à gauche). Il est flanqué, à gauche, du ministre de la Défense du Rwanda, le général James Kabarebe, et à droite, du chef d’état-major de la défense, le général Patrick Nyamvumba. Kabarebe et Nyamvumba sont des criminels de guerre notoires du FPR ayant participé à de nombreux massacres au Rwanda et en RDC, par exemple, à Kibeho (1995), à Tingi-Tingi et aux alentours de Kisangani (1997), où des milliers de civils ont été froidement abattus par leurs soldats. Récemment, les dirigeants militaires du régime du FPR ont recruté des enfants soldats au Rwanda et les ont envoyés combattre dans le M23, un mouvement « rebelle » congolais parrainé par le FPR.