Un billet d’humeur de Sylvestre Nsengiyumva
Le visage apparemment rajeuni de dix ans, costume impeccable flambant neuf et coupé sur mesure, Rukokoma vient de clôturer un meeting télévisé en trois parties, sur un média qu’il squatte depuis un certain temps. Après avoir (re)développé ses théories fumeuses sur l’inexistence des groupes ethniques au Rwanda, le tribun a encore vociféré : « Kuki ushaka ko nitwa Umuhutu? Nongere mbisubiremo, NDUMUNYARWANDA KADUNI ! ».
Chacun aura fait le rapprochement entre la copie de Rukokoma et l’original NDUMUNYARWANDA, initié par Paul Kagame après avoir, lui aussi, décrété que Hutu, Tutsi et Twa sont des fumisteries empoisonnées, inventées par les Bazungu !
De quoi craindre que cette convergence soudaine d’opinion manipulatrice et démagogique, sur un sujet aussi crucial, cet improbable « fait du hasard » nous réserve un nième rebondissement spectaculaire dans ce qui s’apparente à une alliance objective singulière de plus de 35 ans maintenant, entre ces deux OVNIS de la politique rwandaise. Et nous inciter à en revisiter les étapes historiques les plus marquantes, au regard des « données » fraîches dont nous disposons désormais, dont un certain nombre distillé ces derniers temps, par doses homéopathiques, par Rukokoma lui-même, …
STIR et STRUGGLE !
Vous ne savez rien ni de la CIA ni du MOSSAD, ni même de M7, si vous pensez que du temps où ce dernier faisait son « struggle » pour le contrôle de l’Ouganda, Rwigema et Kagame n’auraient pas été « présentés » à Faustin Twagiramungu, alors patron de la STIR, société chargée, à l’époque, de l’acheminement, via le Rwanda, des armes et munitions… Longtemps après la conquête de Kampala, le désormais puissant Chef du renseignement militaire ougandais vient de mettre la dernière main sur les préparatifs d’invasion du Rwanda, à la tête de l’UNAR, « parti de Papa et Maman », version nineties. Avant de s’envoler aux States pour une formation-diversion vite fait mal fait, il prend soin d’envoyer sine die son « ami intime » Sendashonga, voir Twagiramungu à Kigali. À l’oreille bien disponible de Faustin, Seth glisse alors, l’air de ne pas y toucher, ce message éminemment fondateur : « Tu vas relancer rya shyaka rya Papa na Maman, MDR Parmehutu version retouchée, et tu deviendras grand ! Ça tombe bien t’es le gendre… »
SAGA DE LARMES ET DE SANG !
Commençait alors une saga rocambolesque, celle d’un « remake révolutionnaire » unique en son genre, dramatique dans sa vérité, et qui allait mettre en scène, dans ses premiers actes, trois protagonistes majeurs: Paul Kagame, Juvenal Habyarimana, et Faustin Twagiramungu. Ce dernier allait plus tard devenir Rukokoma, un peu comme Jésus de Nazareth devint un jour Le Christ, et Ernesto Guevara Le Che !
Peu importe la teneur exacte du message de Seth Sendashonga à Faustin Twagiramungu, consécutif à La Baule, toujours est-il que ce dernier en conçut l’interprétation suivante: la guerre va arriver, puis les négociations, ensuite des élections libres et démocratiques dont je sortirai incontestablement vainqueur. J’aurais ainsi fait d’une pierre deux coups : « Kamarampaker » le Mututsi Kagame, et « revencher » le Mukiga Habyarimana ! Le souci c’est que, contrairement à d’autres peuples africains, au Rwanda tout le monde est pétri dans la même argile. J’allais dire dans la même merde, mais je ne veux pas passer pour un garçon mal élevé !
Ainsi donc, les antennes bien dressées des deux autres renards avaient vite fait de capter le « hidden agenda » du Munyanduga. Habyarimana et Kagame fourbirent aussitôt leurs armes « politiques » et, chacun de son côté et à sa manière, noyautèrent activement le nouveau MDR. Celui-ci finit par imploser, ne laissant au désormais Rukokoma que la portion congrue d’une coquille déjà vidée de sa substance par des luttes intestines. La suite, vous la connaissez… Arrêtons-nous tout de même à cette séquence, d’un surréalisme hallucinant, racontée fièrement sur Ikondera par Rukokoma: « Ndagijimana a été malpoli de partir comme un voyou, sans dire au revoir. Moi je suis allé saluer Kagame avant mon départ, et il m’a dit qu’un poste me serait confié à nouveau si je voulais revenir un jour ! » Hmmm !
En effet en 2003, huit ans après seulement, Rukokoma va rempiler : dans ce que des observateurs avisés ont documenté comme une opération de légitimation d’un scrutin bidon et perdu d’avance, sous le parrainage de « milieux » belges et américains (et, dit-on, avec enveloppe sonnante et trébuchante à la clé !), il se présenta, sans équipe de campagne, à l’élection présidentielle contre Kagame, gagné sans surprise par ce dernier à 97%! Entre autres « bizarreries » à son passif, l’histoire retiendra Faustin Twagiramungu comme le seul et unique prétendant à la magistrature suprême contre Kagame qui en revint libre de ses mouvements…!
ALORS AUJOURD’HUI ?
Aujourd’hui Kagame est occupé à ramer péniblement pour se maintenir au pouvoir dans un mandat qu’il a à nouveau volé, et qui est contesté massivement et à très haute voix par la diaspora rwandaise, et massivement mais à très basse voix en interne. Pour y arriver, il doit remobiliser sa « base naturelle » qui s’éloigne chaque jour que Dieu fait, tout en maintenant « en joue » les autres…si vous voyez ce que je veux dire ! Rukokoma quant à lui, il rame aussi, tel un vieux guerrier épuisé, pour essayer de revenir, jusqu’à quémander pathétiquement, sur Ikondera toujours en avril dernier, un (seul) petit mandat présidentiel !
Pour cela, il a lui aussi besoin de reconquérir « la masse » que soif de revanche et ambition démesurée l’avaient poussé à trahir diaboliquement en d’autres temps, lui aussi sans effaroucher les autres…si vous voyez ce que je veux dire ! Pour « performer » dans cette gymnastique de haute voltige, les deux vieux loups ont découvert, bombi nk’uwitsamuye (!), une arme de destruction massive de cerveaux : NDUMUNYARWANDA ! Cela porte un nom, inventé aussi par les soins de Rukokoma : gukina politiki yo hejuru! Alors, on joue… On s’éclate même ! Paul Kagame est capable de te regarder dans les yeux, et affirmer qu’il n’y a pas (ou plus) d’ethnies au Rwanda, et ajouter sans sourciller, quasiment dans la même phrase, que les Hutu ont genocidé les Tutsi, et que leur progéniture doit s’en excuser ! Pendant ce temps, devant caméra, Rukokoma te toise et te dit que les ethnies sont une importation du Mzungu, tout en exhortant les Tutsi à arrêter de gukurura amajosi n’amazuru devant des miroirs, et à se prendre pour les plus beaux et les plus malins ! À donner le tournis !
Ce concept nouveau de NDUMUNYARWANDA, d’un flou artistique à couper au couteau, est apparemment calibré pour alimenter subtilement les deux vases communicants du « mal ethnique » rwandais, incarné depuis 30 ans par Rukokoma et Kagame : le Suppremassisme Gatutsi, et le Populisme Gahutu. Bien malin par exemple qui pourrait décoder le message de Rukokoma lors d’un autre meeting radiophonique récent de deux heures sur Ubumwe, lorsque, sans doute pour « rassurer » la dame à l’autre bout du Skype, il se fendit de cette confidence croustillante : « Quand j’étais jeune j’avais les misaya, j’ai poussé les mabinga avec l’âge ! ». Voulait-il signifier qu’en réalité il est tutsi, et que son apparence hutue n’est que le fait (regrettable) des ravages du temps ?! Ou alors il nous révélait un des secrets de son clan Abasinga, à savoir qu’ils changent de morphologie en vieillissant ?! Mystère…
« UMUHUTSI SE N’IKI »?!
Voilà la goutte d’eau ébouillantée, celle que tout politicien responsable se doit de retenir car, quand elle vient à tomber, elle risque de faire déborder des vases tout aussi bouillants, et inspirer des « billets » coup de gueule carabinés ! J’aurai l’occasion d’expliquer ce que j’entends par Hutsi (biologique et sociologique). Ici je tiens seulement à rappeler un principe de base dans toute société civilisée : si la problématique ethnique se doit légitimement d’occuper l’espace politique, à l’instar d’autres réalités sociologiques de la Cité, il n’en demeure pas moins que l’identité ethnique des individus relève de la sphère exclusivement privée, que nul n’a le droit de nier ou de tourner en dérision.
Sylvestre Nsengiyumva
12/08/2019