Vous savez le respect que j’éprouve pour le métier de journalisme et vous savez l’admiration que je porte aux personnes intellectuelles, libres, démocrates et cultivées. Combinez tout en un seul individu et vous êtes en face d’un ‘’Homme’’. Et cet homme est le seul et unique, Philibert Ransoni, le célèbre journaliste de Kinyamateka des années 1980 que je dédie ce Vendredi de gratitude. Enfin!
De mon point de vue, Philibert Ransoni est le plus grand journaliste que le Rwanda ait jamais connu. De son temps personne ne lui arrivait à la cheville, certains pouvaient juste ouvrir les lacets de ses souliers seulement. Maintenant, aucun journaliste ne peut même s’approcher de lui pour toucher à ses lacets. Un des ses amis très proches, ami fidèle jusqu’à sa mort ne tarit d’éloges sur lui. Un homme intellectuel, cultivé qui détestait l’ignorance. Et c’est sur ce point que l’homme a capté mon attention dès mon plus jeune âge. Je ne l’ai jamais rencontré, je ne le connais qu’à travers ses écrits dans Kinyamateka. Dès que j’ai su lire, je lisais tout ce qui me tombait dessus sous les yeux et Kinyamateka faisait partie de ces journaux dont j’avalais chaque article. La rubrique ’’Bazumvaryari’’ était ma préférée. Et Philibert Ransoni était mon journaliste favori. Dès que j’avais mon journal en main, je cherchais son nom avant de parcourir tous les articles.
Avec sa plume audacieuse, c’était un journaliste hors pair, cultivant son impertinence, vis-à-vis d’hommes politiques avec lesquels il s’abstenait de copiner pour garder son indépendance. Ni complaisant ni conventionnel, il s’est fait une réputation de flingueur avec sa plume, le jour où il a écrit son article légendaire »Kwamamaza umutegetsi ni ukumuroha’’. Cet article l’a fait entrer au Panthéon des grands journalistes de ce monde, mais en même temps, avec ça, il a signé la fin de sa carrière journalistique.
Dans mon imagination débordante d’une jeune fille admirant la plume de cet homme, je me l’étais imaginé aussi à la radio : les yeux plissés, la voix rocailleuse, le débit lent, incarnant, à travers ses chroniques radiophoniques (inventées par moi-même), un journaliste politique redoutable. J’étais dans une autre planète, c’est le moins qu’on puisse dire.
Qui est cet homme dont les écrits chatouillaient mon imagination pour lui inventer des métiers? Philibert Ransoni est né le 27 décembre 1952 à Ruhango dans l’ancienne préfecture de Gitarama. Il a fait l’école primaire à Mukingi, dans son village natal. Il entama le premier cycle de ses études secondaires à Kabgayi au Petit Séminaire Saint Léon à partir de 1967 et le dernier cycle à Kigali au Petit Séminaire Saint-Paul en 1973. Après ses études, Ransoni a été journaliste du journal Kinyamateka depuis 1974. De là il est allé étudier en Tanzanie à l’Institut de formation sociale Nyegezi à Mwanza, où il a obtenu un diplôme en journalisme en 1979. C’est sur le banc de l’école en Tanzanie qu’il a rencontré sa femme, Helda Payet, qui venait de Seychelles avec qui il a eu un garçon, Ransoni Joshua Dean Mak. Après ses études il est retourné à Kinyamateka. Trois articles ont fait sa réputation d’un journaliste redoutable, droit et sans peur : ’’Spie Batignolles idupfunyikiye amazi’’, ’’Somirwa ironka u Rwanda’’ et l’article qui a fait sa marque en 1983, ’’Kwambaza umutegetsi ni ukumuroha’’. Ce dernier article est la goutte qui a fait déborder la vase, il est expulsé sur-le-champ, après beaucoup de pression sur l’Église catholique, propriétaire de Kinyamateka. Avec l’Abbé Silvio Sindambiwe, son rédacteur en chef, il faisant un duo d’enfer qui dérangeait le pouvoir d’alors.
Forcé de ranger sa plume au placard, il a atterri au BIT (Bureau International du Travail) en 1984 et devient, le Directeur du Projet dénommé « Appui au secteur non-structuré » chargé du développement professionnel dans les préfectures de Kigali, Gisenyi et Ruhengeri. Homme philanthrope, Ransoni a travaillé bénévolement à la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) comme Directeur général adjoint au niveau national de 1974 à 1976, et chef de la JOC du diocèse de Kigali de 1976 à 1986.
Un leader et un démocrate né, Ransoni Philibert a montré par ses écrits qu’il se préoccupait des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté d’expression. Il veut la restauration de la démocratie dans son pays, le Rwanda. Il l’exprime en demandant au Président Habyalimana, en septembre 1990, d’ouvrir l’espace politique pour le multipartisme avec 32 autres intellectuels rwandais courageux.
À part son côté d’homme cultivé connu de tous, ceux qui ont connu Ransoni soulignent ses qualités humaines exceptionnelles. C’était un homme amical, qui aimait les gens et très fidèle en amitié. Il se consacrait complètement aux autres, au point de s’oublier. Partout où il a passé, on reconnaissait en lui, ce désir de changer les choses en mieux. Il détestait la médiocrité. C’était un homme qui avait du cran, qui n’abandonnait jamais surtout pour une bonne cause et qui tenait ses engagements.
De par son caractère d’homme droit, la vie n’a pas été facile pour lui, mais il a pu surmonter à toutes les épreuves, sauf sa dépression. Il avait déménagé aux Seychelles avec sa femme et leur fils, mais la maladie d’est aggravée. Il est revenu au Rwanda et a succombé à cette maladie le 1 mars 2019. Et fidèle à lui-même, il n’a pas eu peur même de la mort, dès qu’il a vu qu’elle pointait à l’horizon. Il l’attendait depuis longtemps. Quelques jours avant sa mort, il avait dit : ‘’je t’attendais depuis un moment, car ma maison n’est plus ici, elle est au paradis’’.
Rendons hommage à cet homme libre, à la plume féroce, l’un des visages les plus familiers du journalisme social et politique de son époque. Philibert Ransoni est mon top des journalistes rwandais jusqu’à maintenant. Qui dit mieux ?
Mon rêve : voir ses articles dans un recueil ou un livre. Je voudrais relire ses articles avec les yeux d’un adulte après plus de 40 ans.
Jean Philibert Ransoni yubahwe!
Ariane Mukundente
Source : Facebook