Le procès des deux hutu rwandais accusés de “génocide” continue devant la Cour d’Assises de Bruxelles. Il était à sa troisième semaine celle du 23 au 27 octobre 2023.
Ainsi lundi le 23/10, la Cour a passé l’avant-midi à plancher sur les doléances et les protestations des avocats de la défense qui estimaient que les droits de la défense tels que garantis par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, pour un procès équitable, étaient bafoués.
Ces avocats estimaient en effet qu’ils ne pouvaient toujours pas contre-interroger les témoins à charge au moment où la partie accusatrice a eu tout le temps qu’elle souhaitait pour s’entretenir et encadrer ces témoins et à chaque étape de la procédure. Après trois heures de débats à huis clos, le procès a repris dans l’après-midi.
TEMOINS A CHARGE
Cette semaine comme la précédente, était consacrée à entendre les témoins à charge tel que cités par le Parquet de Bruxelles en coordination avec le parquet de Kigali à qui le premier avait envoyé une équipe d’une demi-douzaine d’enquêteurs chargés de rencontrer et de briefer les témoins préparés et présentés par le parquet du Rwanda. Mais aussi la partie accusatrice, à savoir le procureur du parquet de Bruxelles, devait coordonner ses actes avec celui du Rwanda dans la recherche d’autres témoins à charge qui résideraient hors du Rwanda.
- Un témoin inclassable
A la reprise des débats, le premier témoin à être entendu par vidéo-conférence fut James Gasana. Rappelons que cet homme de 77 ans fut ministre de la Défense du Rwanda pendant la guerre d’invasion par le Front Patriotique Rwandais (FPR), une frange de l’armée ougandaise. Le ministre James Gasana, après avoir chambardé le Haut Commandement des Forces Armées Rwandaises (FAR) et désorganisé les unités de combat, va déserter du front en pleine guerre en juin 1993.
D’aucuns ont cru qu’il allait rejoindre l’ennemi, mais finalement on l’a retrouvé en exil en Suisse où il vit toujours. C’est donc dire que c’est un témoin-clé dans ce genre de procès politiques.
Cependant, force fut de constater que son témoignage fut une amalgame d’anachronismes, d’approximations et d’incertitudes.
Ainsi l’accusé Séraphin Twahirwa que James Gasana devait charger est accusé de “génocide des Tutsi” autrement dit crimes interethniques ayant eu lieu depuis avril 1994. Mais le témoin James Gasana, pour confirmer cette accusation, évoque les crimes de bandits, et de droit commun qui auraient eu lieu en 1992 et 1993 quand il était encore ministre de la Défense! Et au passage, il affirme que les actes des Interahamwe auraient été l’un des motifs de sa désertion en temps de guerre alors que la défense du pays était entre ses mains. Et certains de se demander : James Gasana a-t-il fui le “génocide de 1992-93” dont il accuse aujourd’hui Séraphin Twahirwa?
Et pour en rajouter à la confusion, le témoin à charge James Gasana a avoué n’avoir entendu le nom de Twahirwa qu’en lisant les rapports de ses services. Enfin, il a quand-même eu l’honnêteté d’avouer qu’il ne connait rien de Pierre Basabose, le co-accusé de Séraphin Twahirwa.
Bref, on ne sait pas quel valeur et quel poids la Cour donnera à ce témoignage d’un ancien ministre hutu chargeant un autre hutu de “génocide” qui aurait été commis deux ans avant le déclenchement du seul génocide reconnu par les juridictions internationales. Il feint d’ignorer que ce “génocide” a commencé le 06 avril 1994 quand l’avion qui transportait les présidents Habyarimana du Rwanda et Ntaryamira du Burundi fut abattu par des missiles sol-air tirés par les hommes de Paul Kagame.
- Témoins venus du Rwanda
Parmi les témoins à charge mandatés par le régime de Kigali, une femme Tutsi a confirmé le constat fait après les jugements des Hutu, que ce soit devant les tribunaux rwandais, ou des cours et tribunaux internationaux. Ce constat est le suivant: avoir protéger les tutsi lors des tueries d’avril à juillet 1994 souvent au risque de sa propre vie, au lieu de constituer une circonstance atténuante en faveur du Hutu jugé, cela constitue une circonstance aggravante et sans appel.
Dans le cas présent, la femme tutsi a affirmé avoir été sauvée et cachée par Séraphin Twahirwa car elle était une copine de l’épouse de l’accusé. Mais elle a aussitôt ajouté spontanément, comme elle l’a apprise, que: “Ce fait constitue une preuve que Séraphin Twahirwa avait le droit de vie ou de mort sur les Tutsi puisqu’il m’a sauvée!”.
Et de fait, selon ce raisonnement, plusieurs accusés hutu jugés devant les tribunaux rwandais ont été lourdement condamnés, même plus que des accusés aux aveux, pour avoir sauvé les tutsi pendant cette période. Et le verdict des juges concluait que : puisqu’il pouvait sauver quelques tutsi, il aurait donc tué beaucoup plus d’autres tutsi.
Devant les tribunaux rwandais, il est fortement déconseillé d’évoquer le fait d’avoir sauvé ou protégé un tutsi car ceci constitue, pour ces tribunaux, la preuve que l’accusé avait droit de vie et de mort sur les tutsi. Ceci ne fait que frustrer l’accusé qui, souvent, avait risqué sa vie pour secourir un être humain en danger de mort et qui se voit lourdement condamné pour cet acte héroïque et humanitaire.
A la fin de ce procès, on verra si ce virus judiciaire apparu au Rwanda de Kagame et répandu à Arusha, à Paris et à La Haye, aura infecté aussi la cour d’Assises de Bruxelles.
Ensuite, durant toute cette semaine, la Cour a assisté au défilé des témoins à charge aussi impressionnants en déclarations qu’en diversité. En effet, il est vite apparu que l’accusation avait ratissé large dans la confection et le formatage des témoins qui allaient comparaître à la cour d’Assises de Bruxelles lors de ce procès-spectacle et politique.
Sans surprise au premiers rangs et comme chefs de file, on retrouve des détenus hutu qui croupissent dans les prisons du régime pour “génocide”. Ils ne reculent devant aucune énormité pour négocier l’allégement des conditions de leur détention et au mieux leur libération. Il suffit qu’ils passent aux aveux même pour les crimes commis en leur absence ou aux endroits où ils n’avaient jamais mis les pieds. D’autres, si pas tous, doivent accepter de charger tout hutu exilé hors du Rwanda quand le régime le souhaiterait.
Le groupe de témoins à charge comprenait aussi des personnes issues d’une nouvelle catégorie sociale promue par le régime et nommée ”Diaspora”. Celle-ci désigne des immigrés rwandais vivant souvent en Occident, ayant souvent obtenu le statut de “réfugiés politiques” après leur demande d’asile, mais toujours membres du parti unique au pouvoir, le FPR, ou alors carrément ses agents chargés de mener la vie dure aux vrais réfugiés politiques. C’est ainsi que l’on en a vu témoigner par vidéo-conférence à partir d’Australie pour charger les accusés Séraphin Twahirwa et Pierre Basabose.
Et comme innovation ou “coup de génie” du régime, certains témoins venus du Rwanda et qui ont déposé en présentielle devant la Cour, se trouvent être des magistrats du Parquet de Kigali ou des agents de ce Parquet, ceux-là même qui ont élaboré et inculqué la leçon aux autres témoins à charge qui viendront la restituer à Buxelles. Ces magistrats ont donc troqué leurs toges à l’écharpe rouge pour aller prendre place sur les bancs des témoins qui chargent les accusés pour lesquels ils avaient confectionné les dossiers. Le cas spectaculaire est celui d’un agent du Parquet de Kigali depuis 1994 et qui a déposé comme témoin et victime le 24 octobre 2023. Une première!
Mais lors de la restitution de la leçon apprise, il est vite apparu que le contenu de celle-ci était lacunaire et non sérieux. Cette faute ne peut donc être imputée aux témoins à charge comme élèves invités à assimiler une leçon élaborée par les Parquets de Kigali et de Bruxelles.
C’est ainsi que presque tous ces témoins à charge ont avoué ne pas connaître Pierre Basabose et encore moins avoir entendu ce qu’il aurait commis comme crime en 1994. Mais ils ajoutaient tous qu’ils savaient que c’était un richissime homme du Rwanda spécialement à Kigali. Comme si le boutiquier-cambiste Pierre Basabose de la place du marché de Kigali-ville aurait été plus riche et connu de Kigali comme tel plus que: Assinapol Rwigara, Rubangura Védaste, Makuza Bertin, Ndamage Eliab, Antoine Sebera ou même Mironko François Xavier.
On croit rêver!!
Et comme pour “noyer le poisson” et faire croire que les détenus hutu au Rwanda pouvaient témoigner à décharge pour les hutu accusés vivant à l’étranger et sans être inquiétés, les deux procureurs (celui de Kigali et celui de Bruxelles ont glissé dans la liste des témoins venant du Rwanda un économiste hutu qui travaillait au ministère du Plan en 1994 et qui est aujourd’hui en prison car condamné à la perpétuité. Celui-ci a répété qu’il connaissait Séraphin Twahirwa car son voisin dans le quartier Gikondo à l’époque mais qu’il n’a été témoin d’aucun des crimes dont il est accusé. Et comme pour les autres avant lui, il ne connaissait Pierre Basabose que de nom comme un grand un homme d’affaires.
Un autre témoin emblématique cité par l’accusation et venu de Kigali pour charger les deux accusés fut une femme de 46 ans (donc en 1994 encore une adolescente et mineure de 16 ans). Elle a affirmé que Séraphin Twahirwa fut parmi les Interahamwe qui l’ont violée à plusieurs reprises en 1994. Par décencen, la Cour a ordonné un huis clos pour l’entendre car elle promettait de raconter en détails comment Séraphin Twahirwa consommé son acte de viol des mineures.
Comme toujours et sans surprise, la Cour n’a pas accorde aux avocats de la défense le même temps de parole qu’à l’accusation pour contre-interroger ces étranges témoins qui récitaient la même leçon. Chaque fois des prétextes fallacieux étaient évoqués pour ne pas confondre ces témoins et les placer face à leurs contradictions.
TEMOIN DE CONTEXTE : COLETTE BRAECKMAN
A la même occasion, la célèbre journaliste belge du quotidien “Le Soir” a eu l’occasion de renouveler son admiration et son fanatisme envers Paul Kagame et son parti-Etat le FPR.
Sous couvert de sa notoriété comme journaliste et ayant été sollicitée par l’accusation pour parler comme son Nième témoin de contexte, Colette Braeckman ne s’est pas faite priée. Elle a quasiment monopolisé la parole durant la journée du jeudi 26 octobre 2023. Le motif est qu’elle serait la mieux indiquée pour en parler, pour avoir couvert la conquête militaire du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée de l’Ouganda dès le début de leur expédition en octobre 1990, et pour être venue au Rwanda pour couvrir l’assaut final du FPR pour conquérir l’objectif ultime à savoir le pouvoir. Le signal aux troupes pour monter à l’assaut fut l’abattage aux missiles sol-air par les hommes de Paul Kagame de l’avion qui transportait deux chefs d’Etats hutu le 06 avril 1994.
A ce titre, elle a affirmé devant cette Cour que les événements qui ont suivi l’attentat du 06 avril 1994, désormais qualifies de “génocide” auraient été bien planifiés par le gouvernement de Juvénal Habyarimana, alors que le gouvernement au pouvoir à l’époque était dirigé et dominé par les partis alliés au FPR suite au pacte signé à Bruxelles entre ces entités en juin 1992.
Après son témoignage, il est apparu que Colette Braeckman est toujours emportée par ses sentiments que par le raisonnement cartésien. La passion prime sur la raison chez elle quand il s’agit des Tutsi et particulièrement de Paul Kagame et son FPR. Sinon elle n’aurait pas tenté maladroitement et donc en vain, de prouver l’existence d’un plan du “génocide rwandais de 1994”, alors que les instances de l’ONU comme le TPIR n’ont pas pu le prouver durant plus de deux décennies de recherches.
Après l’audition de trois femmes toutes venues du Rwanda pour charger Séraphin Twahirwa de “viol”, la Cour a annoncé vendredi 27 octobre 2023 que les audiences étaient suspendues et quelles reprendront le 06 novembre en attendant l’arrivée en Belgique d’un autre contingent de témoins à charge qui viendront du Rwanda
Procès à suivre.
Emmanuel Neretse