Belgique-Rwanda. Le procès d’Assises de deux Hutu rwandais continue à Bruxelles. Compte-rendu de la 6è semaine
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Publié le 29 Nov 2023 par Emmanuel Neretse

Dans ce procès-spectacle, les audiences ont repris devant la même Cour d’Assises de Bruxelles lundi le 20 novembre 2023 ( semaine du 20-24/11)).

 

Encore et toujours des témoins à charge

 

Comme auparavant, on a assisté, par vidéo-conférence, à un défilé des témoins à charge choisis et autorisés par le régime de Kigali.

Ils sont tous des prisonniers détenus dans les geôles de Kagame et pour certains depuis 1997 et qui sont aux aveux. Ces témoins sont sélectionnés par le régime de Kigali et envoyés au Procureur de la Cour d’Assises de Bruxelles. Et le Parquet de Kigali leur indique quel témoin devrait être présenté comme incontournable et un Joker qui devrait donner un uppercut  qui mettrait “Knock Out” la défense.

 

Le “Joker’’ Joseph SETIBA

 

C’est ainsi que le public a eu droit au spectacle du fameux SETIBA Joseph aujourd’hui âgé de 73 ans et qui était, en avril-mai 1994, à la tête d’un groupe de jeunes (Interahamwe du MRND, Inkuba du MDR, Abakombozi du PSD ou Jeunes libéraux du PL) qui contrôlaient le passage obligé et nœud routier de Giticyinyoni. Setiba fut à l’époque connu de tous ceux qui vivaient dans la ville de Kigali quand elle était assiégée de toutes parts par le FPR, qui ont tenté de fuir vers le Nord, l’Ouest et le Sud du pays,  car Giticyinyoni était reste un passage obligé.

 

Ce prisonnier, condamné à mort (peine commuée en perpétuité après l’abolition de la peine de mort pour permettre les extraditions vers le Rwanda), s’est présenté comme ayant été le responsable des Interahamwe de la Commune Butamwa, une commune des périphéries de la Ville de Kigali dans laquelle se situe actuellement la grande prison du pays de Mageragere et qui englobait la partie Nord-Ouest du Mont Kigali.

 

Dans la restitution de la leçon apprise dans sa cellule, le prisonnier Setiba se devait de tout faire pour incriminer les accusés, à savoir Séraphin Twahirwa et Pierre Basabose. Mais, dans cet exercice, le chef milicien s’est mêlé les pinceaux. Ainsi il a prétendu que Séraphin Twahirwa était le pourvoyeur en armes et en munitions des Interahamwe et il lui a collé le qualificatif de “responsable militaire”. Or, partout dans le monde, un responsable militaire chargé du ravitaillement en armes et munitions est le chef de la logistique, autrement dit un responsable du service 4 dans les Etats-Majors: G4 ou S4.

 

Or, dans les annales militaires du Rwanda et encore moins en 1990-1994, il n’y a jamais eu un S4 de Bataillon, un G4 de Brigade ou de Division ou un G4 de l’Etat-Major Général … du nom de Séraphin Twahirwa.

 

Comme Setiba devait aussi charger Pierre Basabose , il n’a trouvé mieux que de dire que celui-ci était un homme d’affaires qu’il rencontrait dans des réunions, et pour concrétiser ce fait, il a révélé que même en exil à Bukavu, il a tenu avec lui une réunion dans le cadre des Interahamwe! Delà à affirmer que même du Zaïre, Setiba et ses Interahamwe auraient continué à tenir des barrages au Rwanda, il n’y a qu’un pas que le condamné à mort de 73 ans n’hésite pas à franchir. Après tout, il n’a plus rien à perdre mais quelque chose à gagner: sa pitance quotidienne assurée et l’exemption des bastonnades quotidiennes.

 

Les protestations et requêtes de la défense toujours ignorées ou ridiculisées

 

La défense, par la voix de Me Jean Flamme, a fait remarquer que les interprètes Kinyarwanda-Français qui étaient censés reproduire les déclarations des témoins à charge fournis par Kigali et qui tous parlaient en Kinyarwanda, ces interprètes étaient aussi ceux choisis par le régime de Kagame et imposés à la Cour. Conséquences: ils ne traduisaient pas fidèlement les déclarations des témoins et souvent les déformaient pour semer le doute ou la confusion. Tout ceci dans le but d’induire la Cour, en premier lieu les jurés, en erreur d’appréciation. Et il en a fourni des exemples. La Cour n’a accordé aucune attention à cette observation des avocats de la défense.

 

Scandale étouffé dans l’œuf

 

Mardi 21/11, la Cour a été confrontée à un scandale retentissant, mais elle est parvenue à l’etouffer dans l’œuf car à lui seul, il était susceptible de faire annuler la procédure et d’innocenter les accusés.

 

En effet, quand un témoin présenté par la Cour comme ayant été cité par la défense déposa, par vidéo conférence à partir de Kigali, a commencé à se présenter, il est vite apparu que celui-ci s’était substitué à celui que la défense avait cité. Le témoin a dit s’appeler Jean Baptiste Bwanakweli alors que celui qu’avait cité la défense s’appelle Kalisa et que ces deux n’avaient aucune ressemblance ni lien. Le représentant du Parquet, qui travaille de concert avec le régime du FPR relayé par les avocats des parties civiles, a prétendu que le témoin Bwanakweli était surnommé, dans sa jeunesse, souvent de Kalisa. Et comme le Kalisa cité par la défense était introuvable au Rwanda, ils ont désigné JB Bwanakweli à sa place.

Plus ridicule, tu meurs!!!

 

Face à ce scandale judiciaire, impensable même dans la plus bananière des républiques, la Cour s’est retirée pour délibérer. Elle est revenue en annonçant que le témoin de Kigali JB Bwanakweli ne doit pas être entendu et que donc il est retiré de la liste des témoins.

 

Acharnement ridicule frisant l’indécence envers certains témoins

 

C’est mercredi le 22 novembre que Madame Primitiva Uwimana, épouse de Séraphin Twahirwa, a comparu devant la Cour d’assises de Bruxelles venant du Kenya où elle vit depuis 2005. Avant sa déposition, la Cour, sur demande des parties civiles et du Procureur, a arrêté que Mme Uwimana ne déposerait pas sous serment car, comme épouse, elle ne peut pas dire la “vérité et toute la vérité” dans le jugement de son mari.

 

Après cette mise au point , la Cour s’est empressée, mais surtout les avocats des parties civiles et du Parquet, de lui exiger qu’elle raconte comment Twahirwa l’aurait épousée par force comme l’affirme tous les témoins à charge choisis et envoyés par le régime de Kigali. En sanglots, Mme Uwimana est parvenue à affirmer à la Cour qu’elle s’était aimée avec Séraphin Twahirwa et donc qu’ils se sont mariés par amour et non pas par force de l’un ou l’autre conjoint.

 

Non satisfaite, la Cour comme les parties civiles, ont insisté pour que Mme Uwimana raconte en détails sa vie intime avec Twahirwa avec qui elle eu trois enfants exactement comment elle l’avait raconté aux enquêteurs du Parquet belge en présence des magistrats de Kigali. Toujours en sanglots et pour calmer ses harceleurs (la Cour et les Avocats de l’Accusation), elle a alors dit qu’elle ne pouvait pas raconter sa vie intime avec Twahirwa en public. Sur ce, la Cour a ordonné le huis-clos. C’est ainsi que la séance de torture morale publique de Madame Primitiva Uwimana s’est provisoirement arrêtée.

 

Après cette torture morale est psychologique, Mme Primitive Uwimana, qui devait continuer à être entendue le lendemain, ne s’est pas présentée. On est le jeudi 23 novembre et ce fut coup de théâtre. En effet, Madame Primitiva Uwimana, qui devait revenir à la barre pour continuer son audition, a non seulement été absente à la Cour, mais aussi à l’endroit où elle était logée dans Bruxelles. La Cour a alors émis un mandat d’arrêt pour que la police procède à son son arrestation. Elle fut donc recherchée et fut arrêtée par la Police belge qui l’a amenée “manu-militari” devant la Cour pour qu’elle continue à déposer dans la soirée après le défilé des autres témoins à charge.

 

Lors de sa nouvelle audition, Madame Uwimana a expliqué qu’elle a subi des pressions au cours de l’instruction pour accuser Séraphin Twahirwa à tort et évoque un agent des renseignements rwandais venu l’intimider au Kenya, où elle réside. Face aux jurés, elle assure désormais que son mari ne possédait pas d’arme, n’a pas organisé de meetings de miliciens à leur domicile en 1994. Elle ne sait pas s’il a participé à des violences pendant le génocide.

 

Pendant que le témoin Madame Primitiva Uwimana disait clairement avoir été menacée par les agents du régime de Kagame et dont elle a cité quelques noms, le Procureur et les parties civiles ont voulu faire entendre que les menaces proviendraient plutôt de son ex-mari Séraphin Twahirwa et la Cour a ordonné la saisie du téléphone de ce dernier pour vérifier s’il n’avait pas communiqué avec son ancienne épouse. Mais toute personne douée de bon sens peut se demander comment un homme privé de liberté et sous contrôle judiciaire depuis des années (avec un bracelet électronique) peut menacer une personne en liberté au Kenya et quelle serait le genre de ces menaces. Mais ni la Cour ni encore moins le procureur et les avocats des parties civiles, ne veulent et donc ne peuvent pas se poser cette question dans le cas de Séraphin Twahirwa et son épouse Primitiva Uwimana.

 

Obsession maladive pour trouver de quoi accuser Pierre Basabose

 

Dès le début de ce procès, la presque totalité des témoins à charge, même les plus zélés à  accuser tout Hutu de tout et de rien dès lors que le régime de Kagame le décrète, ont déclaré ou bien ne pas connaître Basabose ou mieux d’avoir entendu parlé de lui seulement comme un homme d’affaires. Mais rares sont ceux qui l’ont associé au dit génocide. Mais dans ses dernières séances, la Cour a de plus en plus droit à entendre des témoins de l’accusation qui racontent des histoires invraisemblables ou interprètent à volonté les actes et faits usuels du quotidien pourvu qu’ils associent Pierre Basabose au génocide.

 

C’est ainsi qu’un témoin de l’accusation, qui est supposé avoir été voisin de Pierre Basabose dans Kigali, affirme que ce dernier fournissait des véhicules aux Interahamwe. La Cour ne lui a pas demandé quel était le volume du charroi de Basabose (10 ou 20 camions 50 ou 100 camionnettes…) pour qu’il fournisse à chaque groupe d’Interahamwe au moins un véhicule.

 

Prié par les avocats des parties civiles de dire si Pierre Basabose aurait tué des Tutsi, le témoin a répondu que comme dans le quartier qu’il habitait près de chez Basabose il n’y avait que deux Tutsi et que tous les deux furent tués, il faudrait les mettre sur compte de Basabose.

 

Le même témoin, dans son devoir de satisfaire ceux qui l’ont recruté (le Parquet belge et le régime Kagame), a prétendu avoir la preuve comme quoi Pierre Basabose commandait les Interahamwe. Il a affimé à ce sujet que son voisin Basabose avait établi un barrage devant sa résidence  et que donc c’est la preuve qu’il était Interahamwe car les barrages étaient érigés et contrôlés par ces miliciens. Seulement, ce que le zélé témoin qualifie de “barrage devant la résidence de Basabose” n’est en fait que le portail ordinaire, partie intégrante de la clôture de la maison et située à l’entrée et ouvert par les seuls résidents ou sur leur autorisation.

 

Procès à suivre.

 

Emmanuel Neretse

 

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