C’est le samedi 09 mars 2019 à la mi-journée que Victoire Ingabire, présidente des Forces Démocratiques Unifiées Inkingi (FDU-Inkingi), a annoncé sur les réseaux sociaux l’assassinat de son bras droit Anselme Mutuyimana. Son corps a été retrouvé le 09 mars dans la forêt de Gishwati, il aurait été tué dans la nuit du 08 au 09 mars. Dans cet article, Jambonews revient sur la personnalité de ce jeune trentenaire qui entendait contribuer à l’amélioration de la société rwandaise ainsi que sur les dernières actualités relatives à sa disparition.
Qui était Anselme Mutuyimana, opposant politique assassiné au Rwanda ?
Anselme Mutuyimana est né dans le secteur Nyabirasi, dans la commune de Cyivugiza, dans le district de Rutsiro situé dans la province Ouest du Rwanda. Il avait 21 ans quand il a rejoint les FDU-Inkingi en 2010.
A l’époque il était étudiant et était frappé par la misère de la population au quotidien et la dégradation des conditions et de la qualité du système éducatif au Rwanda. C’est la volonté de participer et d’aider à améliorer les choses qui l’ont poussé à s’engager.
Un homme de conviction et dynamique
A 24 ans, un peu plus de deux ans après son engagement, il est arrêté en date du 15 septembre 2012 chez lui, à Rutsiro, par la police pour appartenance à une « organisation politique illégale ».
Considéré comme le chef de la branche de FDU-Inkingi de Rutsiro, Anselme Mutuyimana écopera d’une peine de prison de 6 ans, l’une des sentences de prison les plus longues prononcées contre les membres des FDU-Inkingi au Rwanda.
Selon Victoire Ingabire, « Elles [les autorités du régime du FPR, ndlr] savaient que Anselme Mutuyimana était une personne avec des grandes idées, une personne de conviction, une personne qui ne se laissait pas corrompre. Il était dynamique et avait su mobiliser la jeunesse en très peu de temps. Etudiant, il avait su mobiliser ses anciens camarades de l’école primaire, ceux de l’école secondaire et ses camarades de l’université. Ils [ses camarades] avaient compris l’importance de fonder un parti démocratique au Rwanda qui garantit que les citoyens puissent vivre en toute liberté. »
Dans la prison il a subi beaucoup de pression, allant de tentatives de corruption, de privations diverses à des menaces contre sa famille et à des tortures. A tout cela il a répondu : « Mon âme n’est pas à vendre, allez voir ailleurs », témoignent les membres de son parti. Anselme Mutuyimana a passé 6 ans en prison et a été libéré en 2018 peu avant que Victoire Ingabire ne soit libérée.
En prison il avait perdu sa mère, décédée très peu de temps avant la libération de son fils. Quand Victoire Ingabire a été libérée de prison, Anselme Mutuyimana est allé habiter à Kigali dans la maison où réside une partie des cadres des FDU-Inkingi au Rwanda. Il était là pour pouvoir aider Mme Ingabire dans ses activités, une grande partie des cadres du parti au Rwanda étant en prison. Anselme Mutuyimana était le bras droit de Victoire Ingabire, il l’aidait notamment dans les prises de contact avec la presse, avec les diplomates et ainsi qu’avec membres des FDU-Inkingi.
Il était parti rendre visite à son père…
Le vendredi 08 mars 2019, Anselme Mutuyimana est allé chez lui au village pour rendre visite à son père âgé et à sa famille. Victoire Ingabire lui a parlé pour la dernière fois le même jour à 15h00 quand il lui a demandé si le rendez-vous obligatoire d’Ingabire au RIB (Rwanda Investigation Bureau) s’était bien passé. C’est le samedi 09 mars, à 10h30, qu’un membre des FDU-Inkingi a appelé Victoire Ingabire pour l’informer que le corps sans vie d’Anselme Mutuyimana avait été retrouvé dans la forêt de Gishwati. La mauvaise nouvelle lui a été confirmée par le grand frère d’Anselme Mutuyimana, qui était sur les lieux où le corps a été retrouvé.
Enterrement empêché par le RIB
Le corps d’Anselme Mutuyimana a été transporté à l’hôpital de Gisenyi où une autopsie a été pratiquée. Le corps a été remis à sa famille le samedi et Anselme Mutuyimana aurait dû être enterré le dimanche 10 mars 2019. Le jour prévu pour l’enterrement, Victoire Ingabire et les autres membres du parti se rendaient à l’enterrement quand le grand frère d’Anselme Mutuyimana les a appelés pour leur apprendre que les dirigeants du RIB avaient demandé l’annulation de la cérémonie d’enterrement car ils allaient transporter le corps à Kigali pour l’examiner.
Les membres du parti se sont tout de même rendus auprès de la famille pour la soutenir et ont longtemps attendu que le personnel du RIB vienne chercher le corps. Ils sont rentrés à Kigali et ce n’est que dans la soirée que le RIB est venu récupérer le corps. Le lundi 11 mars dans la journée, le RIB a rendu le corps d’Anselme Mutuyimana à sa famille et a exigé qu’il soit enterré le jour même. Le RIB ayant pris tout le monde au dépourvu, très peu des gens ont pu accompagner une dernière fois Anselme Mutuyimana. Victoire Ingabire n’a pas pu assister à l’enterrement de son bras droit.
Un deuil atypique
La famille, les amis, les simples connaissances étaient venus nombreux soutenir la famille d’Anselme Mutuyimana comme il est de coutume dans la tradition rwandaise. Ceux qui étaient là ont informé Victoire Ingabire de la présence de membre des forces de l’ordre à la cérémonie de deuil, certains en tenue civil, d’autres avec des armes à feu. Leur présence laissait penser qu’il s’était passé quelque chose et dénaturait la cérémonie de deuil. « Les gens n’étaient pas bien, ils avaient peur ; » a déclaré Victoire Ingabire. Les gens étaient contents de la voir arriver et elle a prononcé un discours pour les rassurer et leur donner de l’espoir : « L’animosité sera vaincue par la bonté.»
A cette cérémonie, ceux qui avaient vu Anselme Mutuyimana en dernier ont pu raconter ce qui s’était passé. Le vendredi 08 mars 2019 Anselme Mutuyimana est arrivé à la gare de Mahoko dans le district de Rutsiro entre 15h30 et 16h00. Il est descendu du bus et a pris un taxi moto mais une voiture rouge sans plaques d’immatriculation est arrivée et l’a empêché de partir. Deux hommes sont ensuite sortis de la voiture et ont voulu faire entrer de force Anselme Mutuyimana dans la voiture. Il a refusé et s’est débattu et a couru pour sortir de la gare. Les gens se sont amassés et ont commencé à demander aux deux hommes pourquoi ils voulaient s’en prendre à cet homme. L’attroupement des gens a provoqué un désordre et les hommes qui étaient restés dans la voiture, en tenue de police, sont arrivés, ils ont dit qu’ils étaient policiers et qu’ils voulaient amener Anselme Mutuyimana pour l’interroger. Quand il a vu que c’était la police qui voulait l’amener, Anselme Mutuyimana a accepté de les suivre. C’est la dernière fois qu’il a été vu vivant.
Les dernières actualités
Le 12 mars 2019, le porte-parole du RIB Mbabazi Modeste a déclaré auprès du média pro-FPR Igihe : « Après l’assassinat d’Anselme Mutuyimana, la police judiciaire a commencé à faire une enquête et jusqu’à présent un suspect a été arrêté. » Dans le même article le RIB demande à tout éventuel témoin de se manifester.
Human Right Watch a rappelé que « la mort de Mutuyimana s’ajoute à une longue série de meurtres, de disparitions forcées, d’arrestations effectuées pour des motifs politiques et de détentions illégales au Rwanda, en particulier de personnes soupçonnées d’être des opposants au gouvernement, y compris de membres du FDU-Inkingi ». Et de rappeler en plus les disparitions d’Illuminée Iragena et de Boniface Twagirimana, deux autres membres des FDU-Inkingi, et d’exprimer des craintes sur leurs chances d’être toujours vivants : « Il est à craindre qu’Illuminée Iragena et BonifaceTwagirimana soient tous deux morts. »
Enfin l’opposition rwandaise, par les voix de Mme Victoire Ingabire, présidente des FDU-INkingi, Mme Diane Shima Rwigara, fondatrice du mouvement PSM Itabaza, et Me Bernard Ntaganda, president du PS Imberakuri, a condamné l’assassinat d’Anselme Mutuyimana et a demandé l’ouverture d’enquêtes nationale et internationale.
Victoire Ingabire, s’exprimant sur la mort de son bras droit, a envoyé ce message : « Nous devons accepter la mort d’Anselme Mutuyimana, il n’y pas de combat sans martyrs, son assassinat ne va pas nous décourager, les gens doivent comprendre que la lutte pour bénéficier d’un Etat de démocratie et d’un pays où les Rwandais bénéficieront de leur liberté ne peut pas cesser. » Anselme Mutuyimana a marqué ceux qui l’ont côtoyé par « sa jeunesse, une personne qui avait de la conversation, une personne douée pour raconter le quotidien de la population avec une aisance et une simplicité inégalées ».
Que son âme repose en paix.
Constance Mutimukeye