Faire face à la réalité, choisir la raison et parier sur l’avenir
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Il y a quelques jours, Colette Braeckman a publié dans "Le Soir" et posté sur son blog un texte intitulé "RDC : L’échec-aussi- de la Communauté Internationale".
(http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2008/10/09/
lechec-aussi-de-la-communaute-internationale/
).
Dans ce texte, elle pose le problème de la guerre qui fait rage dans la Province du Nord-Kivu et en propose la solution. Sommairement, elle le pose comme ceci:

Le problème :

"Après que le régime Mobutu, sous la pression internationale, ait accepté d’héberger les auteurs du génocide et leurs suivants, le Rwanda se sentit en droit d’attaquer le Kivu et d’y poursuivre ses adversaires acharnés."

La solution :

"Traquer les Hutus génocidaires et les envoyer chez eux ou ailleurs, neutraliser Nkunda, verrouiller la frontière, bloquer le commerce des minerais."

Mon avis est qu’elle se trompe. Et sur la cause… et évidemment sur la solution.

Sur la cause

La présence de ce qu’elle appelle les "Hutus génocidaires" est une conséquence directe de la prise du pouvoir par la force par le FPR. Le FPR a justifié (et justifie encore) la prise du pouvoir par la force par le génocide de 1994. On sait que ce crime n’est pas la cause de la guerre mais sa conséquence. Il a été rendu possible par l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais. Cet attentat en est le détonateur. On sait également qu’il a été commis par le FPR. Parce qu’il souhaitait la reprise de la guerre. Il la souhaitait parce que l’application de l’Accord d’Arusha allait déboucher, en 22 mois seulement, sur des élections démocratique et qu’il était convaincu qu’il allait les perdre.

Le FPR redoutait en particulier une coalition pré et/ou post-électorale MRND, MDR & PSD. D’autant plus qu’au Burundi voisin, l’Uprona de Buyoya venait de perdre le pouvoir et que sa base arrière au Burundi, la deuxième en importance au niveau politique et militaire, était menacée de disparition et qu’au contraire, calculait-on, au Rwanda, le MRND, le MDR et le PSD, gagnaient du coup des alliés au Burundi.

C’est pourquoi le FPR a pris l’initiative de stopper l’application de l’Accord d’Arusha en déclenchant la reprise des hostilités. L’attentat du 6 avril 1994 par lequel il a abattu de deux tirs missiles sol-air le Falcon 50 présidentiel rwandais lui a permis d’atteindre un double but. Premièrement, en tuant le Président burundais Cyprien Ntaryamira, il a stoppé, provisoirement du moins, le processus démocratique au Burundi et stabilisé ainsi sa base arrière dans ce pays. Deuxièmement, en tuant le Président Habyarimana, il a déclenché la reprise de la guerre et stoppé du même coup le processus d’Arusha. Car longtemps avant l’attentat, le FPR avait repris les recrutements de combattants. C’est ainsi qu’une nouvelle promotion, recrutée après la signature de l’Accord de Paix, a été enrôlée dans l’APR fin mars 1994. En totale violation de l’Accord de cessez-le-feu, partie intégrante de l’Accord de paix d’Arusha.

On connait la suite: crimes de génocide, chute du gouvernement intérimaire, exode de 2.5 millions de Rwandais vers la Tanzanie d’abord, le Burundi ensuite et enfin la RDC, qui abrita 1.5 millions de réfugiés dans ses deux Provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu aujourd’hui mises à feu et à sang.

Ensuite, de 1996 à 1997, le FPR a poursuivi les ex-FAR jusqu’en RDC, pour "les achever" et placer à Kinshasa un gouvernement aux ordres. Dans ce processus, il a massacré en RDC au moins 200.000 réfugiés rwandais. Plan mis en échec l’arrivée au pouvoir à Kinshasa, d’un révolutionnaire congolais, feu Laurent-Désiré Kabila, décidé à faire de son pays, une Nation indépendante. En Août 1998, le FPR a déclenché une nouvelle guerre, en partie pour achever l’installation à Kinshasa d’un gouvernement aux ordres, en partie pour empêcher que la justice internationale de s’enclenche à son encontre au vu de l’étendue des crimes contre l’humanité commis  précédemment, qui venaient d’être documentés par une Equipe d’Investigation du Secrétaire Général de l’ONU. C’est cette nouvelle guerre qui a créé les conditions d’une mobilisation des rescapés des massacres de réfugiés de 1996-1997. La naissance des FDLR est une conséquence directe de ce plan du FPR. 

C’est cela l’origine du problème de la guerre dans la Province du Nord-Kivu. Clairement, l’origine de ce problème se situe à Kigali. C’est là, et non à Goma ou à Kinshasa, qu’il doit être réglé.

Il est le résultat du refus par le FPR d’affronter le suffrage universel direct. Il est le résultat de l’incapacité du FPR à gérer la question ethnique rwandaise. Il y a 85% de Hutus et 14% de Tutsis au Rwanda. Une élection démocratique au Rwanda donnerait probablement le pouvoir à un mouvement "hutu". C’est l’analyse que le FPR faisait (et fait toujours), à propos de possibles résultats d’élections démocratiques au Rwanda. Le FPR  appelle cela "une confusion entre majorité ethnique et majorité politique". Il postule (et postulait déjà en 1993) que ces résultats le relèguerait dans l’opposition pour une durée indéterminée.

Comme cela est le cas pour l’Uprona au Burundi depuis les élections de juin 1993 et de 2005. Comme cela est le cas en Afrique du Sud, où les élections démocratiques ont jeté le Nationaal Parteit de De Klerk (aujourd’hui rebaptisé Democratic Alliance) dans l’opposition depuis 1994. C’est cela le problème.

Sur la solution

Il faut un gouvernement démocratique à Kigali. Mon avis est qu’un gouvernement démocratiquement élu à Kigali n’aurait pas besoin de créer des groupes armés dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et n’offrirait évidemment plus de base-arrière à des groupes armés congolais existants, celui de Nkundabatware y compris. Sa rébellion mourrait d’elle-même.

Quant aux groupes armés rwandais, FDLR y compris, un gouvernement démocratiquement élu à Kigali n’aurait pas à craindre de discuter avec eux directement. L’ouverture de discussions directes avec eux leur ôterait toute de raison de recourir à la lutte armée ou de refuser de faire face à la justice rwandaise, pour certains d’entre eux qui auraient à en répondre, comme du reste tout autre Rwandais se trouvant dans la même situation, les membres du FPR accusés de crimes contre l’humanité y compris. Il offrirait une justice non discutable et impartiale. Il n’y aurait aucune raison de chercher à les envoyer "ailleurs". Leur place est au Rwanda et nulle part ailleurs.

Il appartient avant tout aux Rwandais de juger les Rwandais, et non à personne d’autre. La justice internationale ne peut que pallier, avec les incertitudes et les machinations politiques liées à la géopolitique régionale et internationale qui accompagnent ce type de juridictions, à une incapacité du Rwanda à réunir les conditions de procès équitables et impartiaux à ses justiciables.

Même si comparaison n’est pas raison 

Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce que le CNDD-FDD a fait au Burundi. Il a négocié douloureusement mais directement avec le Palipehutu-FNL. Et, malgré ce qu’on peut en dire, l’affaire est sur le point d’être close. Parce que le CNDD-FDD ne craint pas d’affronter le Palipehutu FNL dans une élection démocratique. Le facteur Hutu ne joue et ne jouera aucun rôle, en aucune manière entre le CNDD-FDD et le Palipehutu FNL. Ils sont tous les deux obligés de faire de la politique moderne. Leurs dirigeants, tout comme le FRODEBU et le CNDD de Léonard Nyangoma, sont contraints de proposer aux électeurs hutus autre chose que la longueur de leur nez, au cours des campagnes électorales à venir.

C’est cela la solution. Tout le reste n’est que plâtre sur une jambe de bois. On ne peut résoudre un problème sans le prendre par sa racine. Prétendre neutraliser Nkundabatware sans neutraliser le gouvernement FPR qui l’a créé et qui l’emploie comme couverture, c’est jeter de la poudre aux yeux de l’opinion.

Quant au Rwanda, il y aura  une majorité de Hutus et une minorité de Tutsis pendant des siècles encore. Il en est ainsi depuis plusieurs siècles déjà. Le FPR n’aura pas d’autre peuple que celui-là. C’est donc au FPR de changer. Il faudra qu’il soit moins tutsi et plus rwandais. Ce n’est que cela qui le rendra apte à affronter le suffrage universel direct, comme cela se passe dans tous les pays civilisés. Quant à la composition ethnique du Rwanda et à la conscience politique des électeurs rwandais, elle ne changera pas de si tôt. Il sera toujours habité par une majorité hutu et une minorité tutsi. Il faudra que le FPR ait le courage d’affronter le suffrage universel direct. Et s’il doit perdre, il faudra qu’il s’y prépare, plutôt que de tenter, sans aucune perspective historique de succès, de retarder cette issue. Tôt ou tard, il faudra cela se produira au Rwanda. Le cours de l’Histoire du Rwanda est ainsi tracé et nulle ne pourra l’arrêter.

Regardez l’Afrique du Sud, le régime raciste blanc a tout fait  pour retarder l’issue d’une élection démocratique en refusant le droit de vote aux Noirs. Parce qu’il savait que les Noirs, étant majoritaires et les Blancs minoritaires, allaient probablement voter pour un mouvement principalement composé de Noirs.  Ils ne pouvaient pas changer cela. L’Afrique du Sud est ainsi peuplée. Et cela durera sans aucun doute plusieurs siècles encore. Qu’allaient- ils faire? Continuer à s’entêter, par peur? Continuer à semer la guerre tout autour de l’Afrique du Sud, sous le prétexte de faire la guerre au Communisme, pour se constituer un glassis protecteur, un vaste contre-feu, de la Namibie au Mozambique, en passant par le Zimbabwe et l’Angola? Pendant combien de temps le régime qu’ils ont mis en place allait-il bloquer le cours de l’Histoire de l’Afrique du Sud? C’est ce que Frederieck De Klerk a compris. Et c’est sans doute pour cela qu’il a mérité le Prix Nobel de la Paix qu’il a partagé avec Nelson Mandela, si je ne m’abuse.

C’est aussi pourquoi, l’ANC ne peut plus offrir à ses électeurs noirs l’argument d’avoir combattu l’apartheid seulement. Il doit donner plus. Il doit répondre à leurs préoccupations sociales, offrir des terres, offrir des emplois, des logements, des soins de santé et l’accès à l’éducation. Et non plus, seulement vendre la couleur  de la peau de ses dirigeants.

Au Burundi, c’est également cela que Pierre Buyoya a fini par comprendre au grand dam des caciques de son parti et qu’il mérite, malgré ses premiers errements, le respect de ses concitoyens.

Au Rwanda, on peut reculer la solution au problème. Mais, il n’empêche…L’Histoire du Rwanda passera par la relégation du FPR dans l’opposition politique, pour un moment indéterminé. Il faut qu’il s’y prépare dès à présent et qu’il cesse de lui faire barrage. C’est de là que viendra la stabilité de l’Est de la RDC. Le temps de la guerre est terminé. Il est temps pour le FPR de faire face à ses faiblesses politiques et de changer. Il est temps pour lui faire une cure d’opposition salutaire. Il ne pourra y échapper. Reculer cette issue, en multipliant les fuites en avant, avec leurs cortèges connus et inconnus de crimes culturels et physiques,  relève de la cécité politique et de l’anachronisme et allonge inexorablement la durée de la cure.

Plus le FPR multipliera ses fuites en avant, plus long sera le temps qu’il passera dans l’opposition, tant la mémoire des peuples qui subissent les conséquences des calculs ineptes et criminels de ses dirigeants, est tenace.   

En 2010, le FPR a encore la chance de faire le choix de la raison.

Jean-Baptiste MBERABAHIZI

Posté sur DHR le 21/10/2008

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