Rwanda : l’opposition en exil tend la main au président
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Ce n’est ni un scoop, ni un événement. C’ est un fait divers. L’opposition civile en exil vient d’annoncer, par communiqué interposé, qu’elle participera à l’élection présidentielle de 2010. Il s’agit des « Forces Démocratiques Unies » (FDU), une coalition des partis  RDR, ADR-ISANGANO et FRD. Leur décision d’aller sur le terrain politique et se battre, a un sens politique non négligeable. Les coalisés  répondent positivement  aux offres  maintes fois renouvelées  par le pouvoir de Kigali.

Le choix est politique. Il est aussi tactique. Ce choix est un moyen de ne pas retarder le pays. Il peut  permettre que les problèmes jusque là insolubles soient résolus. Mais ce choix pose aussi d’incalculables questions sur les garanties que cette opposition attend de la part du  président Paul Kagame afin de mener son action telle qu’elle la conçoit. Des questions se posent dans la mesure où la décision tombe quelques jours après l’élection législative organisée par le gouvernement  qui  a fait voter le peuple afin de perpétuer l’illusion selon laquelle l’élection présidentielle  sera une authentique élection. C’est là où l’opposition est dupe et peut se piéger. Et ce sentiment est partagé.

Au vrai, si le pouvoir encourage les partis à  rentrer au pays pour mener leur combat politique sur le terrain et à participer au processus électoral afin de voir réaliser leurs rêves, on sait qu’il faut beaucoup plus  que quelques messages et artifices pour convaincre. Toutes les élections que le pouvoir organise ne sont que des farces  dans lesquelles on attribue à un candidat un rôle précis. Et pour preuve ! Il y a cinq ans déjà, Faustin Twgiramungu, ancien premier Ministre de ce même gouvernement, a joué le rôle de farouche challenger venu de Belgique, tandis que d’autres candidats (présidents ou députés) tendaient et tendent encore de faire croire que le Rwanda  comporte un éventail de partis. Et si les candidats acceptent de jouer le rôle qu’on leur assigne, on les autorise de remporter le nombre de sièges au parlement. Ce calcul politicien est moins visible à l’élection présidentielle où la compétition se joue entre plusieurs candidats pour un seul fauteuil.      

Ce choix relance aussi le débat politique qui n’a rien à faire avec la qualité du portefeuille de la présidence de la République qui est en jeu et l’envergure politique de la femme ou de l’homme, prétendant à la succession. Il faut plutôt faire preuve de stratégie politique, tirer les leçons de ce qui s’est passé, faire de vrais projets d’avenir et agir en conséquence. L’opposition doit savoir que l’autre forme de la réconciliation se trouve dans la démocratie, si réellement l’élection est transparente, si les conditions sont réunies pour que chaque rwandais se trouve en sécurité dans un Etat de droit où on respecte les droits de l’homme. C’est à cela qu’ il faut s’employer, à l’instar d’une idée, d’une rencontre de vérité et de réconciliation avec le président Paul Kagamé ; une idée qui aurait dû faire son chemin sous l’impulsion des hommes et des femmes lucides, habiles et surtout audibles sur le plan international. Si les opposants ont été capables de se prêter aux durs risques de l’exil et du maquis politique, sans nul doute, ils peuvent braver l’adversité, fût-elle extrême, d’une opposition démocratique crédible dans un contexte régional et international  nouveau, telle qu’une telle décision de leur part ne  manquerait  pas de susciter.

Il n y a pas de garantie en politique. C’est une question de rapport de force. Mais il est aussi utile au pouvoir qu’une opposition existe. Le Rwanda, sorti d’une tragédie humaine et soumis à l’arbitraire des forces de sécurité avec la complaisance de certains  pays étrangers, doit être régulièrement rappelé à l’ordre. Ce n’est pas s’opposer pour s’opposer, c’est plutôt aider les dirigeants à prendre en considération le fait que les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. Ils doivent exercer le pouvoir en toute responsabilité. Les dirigeants doivent abandonner les mauvaises habitudes électorales. Sur le terrain de dures batailles politiques, l’opposition doit prendre des risques mesurés. Elle ne doit pas prendre des risques pour les prendre. C’est dommage que l’on n’ait pas pu faire aboutir, par exemple, le processus engagé lors des nombreuses messes de réconciliation en vue de régler les nombreux problèmes communs aux Rwandais. Le pays a connu des convulsions. La magie des élections n’a pas permis de s’arrêter un moment, pour faire le point et un examen de conscience pour voir ce que l’on va faire demain.

Bien sûr qu’il faut savoir parfois tourner la page  et aller sur le terrain politique pour préparer les dures batailles à livrer. La question est de savoir si les instruments existent et si les conditions sont là pour permettre à l’opposition de le faire. Une année suffit-elle pour acquérir l’extrême lucidité, un peu de zèle, de modestie et surtout de posture d’homme ou de femme d’Etat, étant donné les limites de l’opposition pour présenter la personne  qui devra  challenger le président actuel et conquérir le pouvoir suprême des griffes d’une armée dont la couleur monoethnique des officiers n’insuffle pas l’ esprit « armée nationale » ? Le manque de vision politique d’un régime issu des armes, ne peut qu’inspirer et consolider la protection schizophrénique d’ un pouvoir brutal. 

Comme je ne cesse de le marteler, une élection ne fait pas la démocratie même si elle est un passage obligé. Je suis aussi de ceux qui croient qu’il n y a pas de garanties en politique. Par conséquent, il faut aller au Rwanda et faire en sorte qu’il y ait un changement pacifique et qualitatif en matière de démocratisation et de droits de l’homme. La réconciliation dont le  Rwanda a tellement besoin se fera aussi grâce à une vraie démocratie. A cet égard, la décision de l’opposition est opportune. Mais elle est  peu réaliste dans la mesure où les Forces coalisées  doivent admettre, sans complexe, les limites de leur action comme celle des partis qui la composent et qui  rappellent le mariage de raison que l’ex-opposition politique au régime Habyarimana, devenus des opposants au Président Kagame, a contracté  avec l’ ex-rébellion tutsi actuellement aux affaires .

La décision de l’opposition renoue avec cette tactique plutôt mal payée en retour, même si les spécialistes de la vie politique rwandaise avaient parié  sur la longévité d’un « deal léonin » signé avec le FPR dans une sorte de cécité politique et d’amnésie totale. A cette époque, les opposants et leurs gourous étrangers  considéraient que l’alternative face à Juvénal Habyarimana était, non pas le chef de guerre Paul Kagame, mais le président du FPR, un certain Colonel Alexis Kanyarengwe, dinosaure de la vie politique et militaire rwandaise et ses associés  dans l’abjuration qui contribua à pervertir la démocratie et à conduire le Rwanda dans l’ abîme.

L’opposition en exil a déjà raté de nombreux rendez-vous dont celui de la dernière élection législative. Celle-ci devait lui assurer des garde-fous, voir quelques garanties politiques, si minimes soient-elles. Que l’élection législative n’ait pas été transparente, c’est un fait. Il était de toutes les façons difficile d’organiser une consultation en vertu de ce seul principe dans un pays comme le Rwanda qui, meurtri par des années de guerre atroce et qui n’a jamais connu la démocratie participative. On a vu récemment des exemples dans d’autres  pays africains qui ont connu plus de stabilité que le Rwanda, mais malgré tout, on sait ce qu’il en a été. Il  est hors de question d’excuser cela. Mais l’opposition en exil qui a dénoncé avec virulence, les fraudes et d’autres excès du pouvoir, s’installe en confort, dans un paradoxe et dans ses contradictions. Et le président rwandais ne le verrait pas d’un mauvais œil. Mais c’est aussi ce qu’on appelle les chemins tortueux, secrets et insondables de la politique. L’alternative face à Paul Kagame qui, après avoir  éliminé la plupart de ses partenaires politiques, fascine une partie de ses concitoyens, comme un sauveur et un bouclier contre toute velléité de  déstabilisation, n’ est pas  claire.  

Dans le communiqué publié par  les partis coalisés, rien  sur une éventuelle démarche ou une initiative de réconciliation qui devrait s’articuler sur quelques points précis : la personne d’envergure nationale et internationale qui devrait en être la cheville ; la tenue d’une réunion entre les présidents de toutes les factions politiques, candidates à une future  coalition élargie ; l’ouverture de discussions avec le pouvoir, une fois les objectifs fixés et les conditions d’une réconciliation nationale  clarifiées et adoptées par les coalisés ; la signature d’un éventuel compromis politique sous l’égide d’un médiateur international neutre et respecté par les  puissants « amis du pouvoir ».

Toutes proportions gardées, la décision des Forces Démocratiques Unies  est une bonne nouvelle pour le régime du président Paul Kagame qui, ces temps-ci, s’est engagé dans des offensives diplomatiques tous azimuts. Le Rwanda ne vit pas  en paix avec tous ses voisins. Le Rwanda et la République Démocratique du Congo qui s’accusent mutuellement de soutenir les rébellions, ont habitué la communauté internationale aux rencontres au sommet qui n’ont rien produit et qu’on attend encore  de voir si la prochaine sera vraiment la bonne. Du point de vue de la diplomatie et des relations extérieures avec le monde, les offensives diplomatiques tous azimuts du pouvoir contre les mandats d’arrêts internationaux nourrissent des escalades et des suspicions qui sont loin de passer. Ces escalades ne sont pas des signes de la volonté d’une rapide décrispation.

Aussi les prétendants à la magistrature suprême sont-ils attendus au tournant par un Peuple qui a sombré après avoir souffert des années de guerre et souffre encore de l’autisme politique de ses politiciens. Ce peuple ne doit plus se satisfaire de ce strapontin qu’est la présence d’une opposition trop ambitieuse, mais sans ambitions  pour le pays, à la compétition électorale présidentielle. Il y a d’ abord la capacité de ce peuple à aborder tous les problèmes de l’après-guerre et à les régler. Au Rwanda, une élection présidentielle ne doit plus être un mirage pour les populations.

Alphonse Bazigira

Journaliste politique

Le 10/10/2008

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