Rwanda : le va-tout du président Paul Kagame
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par Alphonse Bazigira

   Le Rwanda est un pays paradoxal. Il vit sous la botte des rois du paradoxe. Il faut être extrêmement attentif, parce que la tentation répétitive d’entraver la justice reste toujours très grande et très efficace. Le pouvoir de Kigali provoque une catastrophe stratégique et diplomatique quand les anciens guérilleros devenus des femmes et  des hommes politiques et d’Etat sont chatouillés par la justice. Et sur ce champs de bataille judiciaire, le président rwandais ira toujours au bout de sa logique et de son pouvoir qu’il pense être en mesure d’exercer sur la diplomatie judiciaire transformée en guérilla judiciaire en vue de défendre sa propre impunité et celle de ses proches collaborateurs. Le régime de Kigali ne tarit pas en éloges, exulte et applaudit lorsque la justice l’arrange. Ce n’est que lorsque les dignitaires du régime sont menacés par cette même justice que tous ses affidés ouvrent tous les registres pour s’y opposer. Ils s’érigent tous en défenseurs impénitents de l’impunité. 

   Au vrai, il ne devrait pas y avoir de confrontation. La manière de répondre fait souvent supposer qu’on cache quelque chose. Soit on accepte de comprendre que le dictateur rwandais est assiégé ou qu’il a peut-être mal compris les intentions des enquêteurs et des juges. Il ne doit par conséquent, réagir de façon plus raisonnée qu’instinctive. Pour mémoire, aux lendemains de l’attentat du 6 avril 1994, parrains,  partisans et sympathisants du chef de guerre, Paul Kagame, ont vite attribué cet acte terroriste aux “extrémistes hutu”, héritiers putatifs du Président Habyarimana assassiné, – le colonel Théoneste Bagosora en tête -, et à leurs « barbouzes blancs », notamment français. Et dans un élan spontané, ces « extrémistes hutu » ont vite accusé les caciques tutsi du FPR, – le major Paul Kagame en tête -, et à leurs barbouses blancs. Sujet  extrêmement sensible, cette affaire reste un mystère.

   Pourtant, l’attentat dont les proches du Président rwandais sont présumés auteurs, est considéré par la Communauté internationale comme un « élément déclencheur du génocide de 1994 ». On oublie cependant que cet attentat a aussi transformé des épouses en veuves, des enfants en orphelins. L’attentat est un crime parfait, sauf que tous les présumés coupables, qu’ils soient "des extrémistes hutu" ou des rebelles tutsi du FPR et leurs complices respectives, s’accusent mutuellement des mêmes forfaits. L’homme fort de Kigali n a cessé d’ironiser sur les revers de fortune de tous ceux qui se croyaient capables de le faire traîner devant la justice. On croit même que le mystère peut expliquer, en grande partie, la longévité politique des anciens guérilleros qui règnent en maîtres absolus sur le Rwanda après y avoir chassé tous leurs rivaux.

  Le lancement des mandats par le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, en novembre 2006, a fait naître un peu d’optimisme chez tous ceux qui luttent pour que la vérité éclate et que la réconciliation aille dans le même sens. Mais le Rwanda des chefs de guerre a réagi comme un gendarme frappé par le déshonneur dont il ne mérite pas. Kigali a rompu ses relations diplomatiques avec Paris. Il a déclaré "personna non grata" l’ambassadeur de France et a rappelé son Ambassadeur á Paris. Le Centre culturel français à Kigali fut fermé. Saisies d’un élan de solidarité, tous les affidés du pouvoir ont occupé la  rue pour protester contre l’ingérence de la justice dans des affaires politiques et contre la violation de la souveraineté nationale. Peut-on croire que ces gesticulations maladroites á la guéguerre diplomatico-judiciaire, soit un schéma crédible ?

   Il aura donc fallu attendre des années pour que la police allemande ose exécuter les mandats d’arrêt du juge antiterroriste français et que la scandaleuse impunité accordée aux sbires de Paul Kagame soit troublée et qu’un jugement des « assassins présumés » des présidents Habyarimana et Ntaryamira se profile à l’horizon. Rose Kabuye, la femme de guerre, est  témoin ou complice d’un attentat qui a emporté les présidents, leurs Suites respectives et tout l’équipage français. L’ouverture d’un procès contre Rose Kabuye, arrêtée en Allemagne pour « son rôle présumé dans l’attentat du 6 avril 1994, peut s’avérer difficile. Il faudra l’expérience de la justice française pour conter la panoplie des recours que va présenter sa défense dans le but de le retarder ou tout simplement de l’empêcher.

   Le cas Rose Kabuye est un épisode de plus dans ce long feuilleton judiciaire. La femme de guerre n’est ni incriminée et encore moins condamnée. Elle bénéficie encore  de la présomption d’innocence. Mais cette fois encore, la réplique violente  de Kigali ne s’est pas fait attendre. L’Ambassadeur d’Allemagne à Kigali a été  convoqué au Ministère rwandais des Affaires étrangères en signe de protestation. L’appel à manifester dans les rues est une « expression démocratique » d’indignation des foules conditionnées à dénoncer une injustice qui frappe "Rose Kabuye“ arrêtée, selon Kigali, en vertu d’un mandat d’arrêt à caractère politique, basé sur une enquête manipulée par la France. Les foules qui ont manifesté  à Kigali contre l’Allemagne et contre les intérêts allemands (contre la Société allemande des travaux publics, STRABAG, qui refait la route Ruhengeri-Gisenyi), pour condamner l’« intrusion des juges » dans une affaire politique. Seraient-elles conscientes de la gravité des crimes et du poids des crimes pesant contre les accusés 

   Alors que le Président rwandais se trouvait en Allemagne, invité par les milieux d’affaires de Frankfurt, l’Ambassadeur rwandais à Berlin a été rappelé et l’Ambassadeur d’Allemande à Kigali a été sommé de quitter le Rwanda dans quarante huit heures. Une escalade diplomatique de plus que le dictateur rwandais aurait dû, en sportif, éviter est très révélateur. Ce détail est très étonnant sur le plan diplomatique. Le président rwandais a dicté ses décisions alors qu’il se trouvait sur le sol allemand. Et de demander une visite consulaire à sa protégée dans une prison allemande. Il l’a obtenue. Que se sont-ils dits ?

   Pour ceux qui ont encore de la mémoire, en avril 2008, alors que le président rwandais était en visite officielle en Allemagne, Berlin lui avait averti que Rose Kabuye s’exposait à une arrestation en cas de retour en Allemagne. La police allemande s’était alors abstenue d’interpeller cette dignitaire couverte d’immunités diplomatiques par le fait qu’elle accompagnait son patron, invité par les hautes autorités politiques allemandes. Lors du lancement des mandats d’arrêts émis par la justice espagnole, les insultes ont fusé comme des bombes à fragmentation, sauf que le Rwanda n’a pas encore osé rompre ses relations diplomatiques avec l’Espagne. Pourtant les juges espagnols sont allés trop loin accusant quarante hiérarques du FPR, proche du président rwandais, de « génocide » au Rwanda et en République Démocratique du Congo, ancien Zaïre. Les présumés coupables devront aussi répondre du massacre de tous les étrangers en mission humanitaire dans la région.  

   L’arrestation du Lieutenant Colonel Rose Kabuye doit être accueillie avec satisfaction par tous ceux qui ont envie de voir la vérité qui réconcilie, éclater au grand jour. Car, il ne faut pas s’y méprendre. La majorité silencieuse des populations rwandaises,- certes réduites au silence -, accueillent avec un certain scepticisme, ce coup de filet réalisé par la justice allemande, dans la mesure où les plus gros poissons poursuivis pour les mêmes faits sont au pouvoir et  se la coulent belle au Rwanda et ailleurs. Ces populations sont en droit de se demander si l’arrestation de la dignitaire Rose Kabuye qui ne le fut pas lors de ses différentes balades aux Etats-Unis d’Amérique et en Belgique, n’est pas une mise en scène destinée á mettre en avant de l’actualité, une « femme innocente » dont l’arrestation doit susciter l’émotion et dont la relaxe pourrait enterrer tous les mandats d’arrêt européens..Ces populations victimes des affres de la guerre et des excès de la dictature prouvent aussi que la stature de “police de proximité” des intérêts de la puissance occidentale, dont bénéficient les maîtres du Rwanda dans la région des Grands Lacs, peut entrer en jeu, et ce, en faveur de tous les protégés du Président rwandais. A cet égard, ces populations qui savent mieux que quiconque, les vrais auteurs de la tragédie rwandaise, préféreraient que l’Epée de Damoclès reste encore suspendue sur le cou d’un régime qui, au demeurant grabataire, impose la Loi du Talion.  

   L’arrestation de Rose Kabuye est cependant un épisode de plus dans les relations diplomatiques tendues entre le Rwanda et l’Union Européenne. C’est un véritable camouflet infligé au pouvoir. Il intervient après la relaxe, « faute de preuves », de certains Hutu présumés génocidaires arrêtés en France et en Allemagne. Le Journaliste écrivain Pierre Péan qui était poursuivi pour "complicité de diffamation raciale" et "complicité de provocation à la discrimination raciale" à la suite de la publication en 2005, de son livre "Noires fureurs, Blancs menteurs" (Ed. Fayard) sur le génocide rwandais a gagné son procès. Aussi partisans et adversaires de la vérité s’affrontent-ils sur ce terrain judiciaire. Les premiers viennent-ils de marquer des points ? Il est trop tôt pour l’affirmer.

   La justice  est en mouvement. Mais il ne faut pas enterrer trop vite Paul Kagame. Tous ceux qui sont en quête de la vérité et d’une justice équitable doivent se tenir à une certaine réserve. Car un président fragilisé sur le plan diplomatique, par la guerre qu’il mène en République Démocratique du Congo (RDC) et par les mandats d’arrêt internationaux, n’est pas nécessairement une cible plus aisée à viser.

                                 Alphonse Bazigira

Journaliste politique

Le 13/11/2008

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