par Hervé Cheuzeville
Au Kivu c’est à nouveau l’horreur. Les hommes en armes pillent et terrorisent la population plus que jamais. Pendant ce temps, Olusegun Obansanjo, ancien général et ex-président nigérian, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies, s’en est allé rencontrer le « général » Laurent Nkundabatware dans son fief.
kundabatware n’est ni un « rebelle » ni un libérateur. C’est un officier de l’Armée Patriotique Rwandaise, formé par cette dernière. Il a combattu dans les rangs de l’APR lors de la guerre du Rwanda (1990-94). En 1998, le régime au pouvoir à Kigali l’a versé dans les rangs de l’armée du RCD-Goma, le mouvement « rebelle » qu’il avait monté de toutes pièces afin de pérenniser son occupation et son pillage de l’Est de la République Démocratique du Congo. En 2002, Nkundabatware a dirigé un massacre de masse dans la ville de Kisangani, la troisième ville de RDC, qui était alors occupée par l’armée rwandaise et celle du RCD-Goma[1]. En 2004, il s’est emparé de la ville de Bukavu où ses « soldats » ont commis de multiples exactions à l’encontre de la population civile : exécutions sommaires, viols innombrables et pillage généralisé[2]. Aujourd’hui encore, à Bukavu, le nom de Nkundabatware est synonyme de Satan et il est honni par l’ensemble de la population.
Depuis des mois, Nkundabatware étend son emprise militaire sur la province de Nord-Kivu, avec le soutien direct et indirect du régime de Paul Kagame, président du Rwanda voisin, défiant ainsi un gouvernement congolais légitime issu des élections générales de 2006, et defiant aussi la MONUC[3]. Certes, tout est très loin d’être parfait en RDC. La corruption, la gabegie et l’insécurité sont des réalités que nul ne peut nier. Les rebelles hutu rwandais (les FDLR) sont bel et bien présents dans certaines zones du Kivu. Mais, depuis 1998, ils n’ont jamais attaqué le territoire rwandais. Par contre, ils terrorisent la population civile congolaise des zones où ils opèrent. Aujourd’hui, cette présence des FDLR sert de justification à Nkundabatware pour sa nouvelle guerre. Cette « excuse » ne tient pas. Il ne peut pas accuser le gouvernement de Kinshasa de ne rien faire pour régler le problème de ces rebelles hutu. L’armée rwandaise et celle du RCD-Goma ont occupé la région pendant 6 longues années (jusqu’en 2002). Que n’ont-ils réglé eux-mêmes ce problème, alors qu’ils en avaient les moyens ? En fait, la présence des FDLR au Kivu est bien utile au dictateur de Kigali : elle lui permet de déstabiliser son voisin et de légitimer son intervention, par Nkundabatware interposé, dans les affaires intérieures congolaises. Son réel objectif n’est pas de détruire les FDLR, voire même de chasser le gouvernement en place à Kinshasa. Non, Paul Kagame utilise son homme, Laurent Nkundabatware, pour pérenniser le pillage des multiples ressources du Kivu (coltan, cassitérite, bois, etc.). Le Rwanda est un petit pays pratiquement démuni de ressources naturelles, et il est surpeuplé. Le régime de Kigali est issu de la minorité de la minorité (c’est-à-dire des personnes d’origine rwandaise qui vivaient pour la plupart en Ouganda avant 1990). Ce groupe constitue depuis sa prise de pouvoir de 1994 une caste militaro-mafieuse qui contrôle étroitement le pays. Pour se maintenir au pouvoir, cette caste a besoin d’avoir accès aux ressources congolaises. Cette nouvelle guerre, comme les précédentes, n’a pas d’autres raisons d’être.
Ci-dessous, quelques témoignages de rescapés des massacres commis par les hommes de Laurent Nkundabatware, publiés par le Nouvel Obs com dans son édition du 21 novembre 2008.
Dans la guerre qui ravage l’est du Congo-Kinshasa, un massacre a été commis par les rebelles le 5 novembre dernier à Kiwanjah, une bourgade située à 80 km au nord de Goma. Voici quelques témoignages recueillis sur place*.
Béatrice, assise dans la cour d’une voisine.
Les militaires sont venus par la route, ils ont vu une porte fermée et une autre ouverte, ils l’ont poussée et ont trouvé un papa marié. Ils lui ont dit : "Dehors, agenouilles-toi !" Il a mis les mains en l’air et a dit : "J’ai de l’argent". Ils l’ont fouillé et pris l’argent, puis ont pointé le fusil. Il a crié : "Non j’ai encore de l’argent". Il en a donné à nouveau et ils l’ont tué. Ils sont entrés dans la maison et ont trouvé mon beau-frère. Il leur a dit : "Voilà tout ce que j’ai, ne me tuez pas !". Ils l’ont tué dehors. C’étaient des militaires du CNDP (Comité national pour la défense du peuple). J’attends le retour de mon mari, il est chauffeur, pour fuir à Goma.
Charlotte, debout, devant la tombe de son fils.
Ils sont entrés dans la maison, ils étaient nombreux. Ils ont vu mon fils, ils lui ont dit : "Tu es un Mai-Mai (une milice tribale). Il a dit non. Ils ont tiré au front et dans les bras. Il avait 22 ans. J’ai encore 5 enfants.
Appoline, devant sa maison en pisé, son bébé enveloppé dans son pagne.Ils ont forcé la porte. On leur a donné de l’argent. Ils ont demandé le téléphone. On leur a dit qu’on en n’avait pas. Ils ont tiré dans la poitrine de mon mari. Ils parlaient en Kinyarwanda et ils disaient : "c’est vous les civils qui êtes nos ennemis". A cause de ça, ils m’ont laissé veuve. Que Dieu voit ce qu’ils ont fait et se venge.JoséphineQuand le CNDP est venu ici, j’ai dit : "Pour nous c’est fini, c’est la mort". Ils ont détruit la fenêtre avec une lance. Un militaire a crié en kinyarwanda : "Sortez dehors". La population s’est cachée. Chez-moi, ils n’ont trouvé que des petits gamins, ils n’ont rien fait. Après je suis sortie et j’ai vu trois corps devant la maison de mon voisin et deux autres plus loin.
DavidA 15 h, le mercredi 5, les Mai-Mai sont partis. Ils étaient à moitié en tenue militaire, à moitié en tenue civile. Ils avaient de la paille de bananier nouée autour de la tête. Le CNDP a commencé à démolir les portes et à faire sortir les gens et les tuer, les jeunes surtout. Moi j’allais aux champs ce jour-là. Quand j’ai entendu les coups de feu, je me suis caché dans une maison. J’étais avec deux mamans et trois petites filles. Elles m’ont prêté un pagne et un foulard. Quand les soldats ont démoli la porte, ils m’ont pris pour une fille. Ils ont demandé : "Y a des garçons ici ?" Dans la maison voisine, ils ont exécuté les deux garçons. On a entendu les garçons crier "Touna Koufa !" (nous mourons en swahili). En deux minutes, c’était fini. Ils sont entrés dans une autre maison. Ils ont demandé de l’argent à un homme. Il n’en avait pas. Ils ont demandé son téléphone. Il n’avait pas de téléphone. Alors ils l’ont exécuté. AlbertLes militaires sont entrés dans la maison où j’étais. C’était vers 13 heures. Ils m’ont agressé et m’ont demandé de l’argent. Ils étaient du CNDP. J’ai expliqué que je n’en avais pas. Mon père a donné un peu de sous. Ils sont sortis. Un moment après, un autre groupe est venu, ils ont tabassé mon père. Moi, je me suis caché, ils ne m’ont pas vu. J’ai entendu les soldats crier : "Sortez des maisons ! Si vous restez, on vous tue". On a fui, on s’est réfugié devant la MONUC (Mission des nations unies pour le Congo). A la MONUC, ils n’ont rien fait. Ils sont restés derrière leur clôture. Ils n’ont pas ouvert la porte. Des gens ont essayé d’entrer dans la base, ils ont tapé à la porte, mais on ne leur a pas ouvert.
Recueilli par Christophe Boltanski
*Les prénoms ont été modifiés
[1] Lire à ce sujet les pages 204 et 205 de mon premier livre « Kadogo, Enfants des Guerres d’Afrique Centrale », publié aux éditions de l’Harmattan en 2003.
[2] Deux expatriées européennes travaillant pour une ONG hollandaise avaient d’ailleurs subi les violences des hommes de Nkundabatware. A ce jour, les auteurs de ces violences n’ont été ni arrêtés ni jugés, alors qu’ils ont été identifiés et localisés, après les faits, en territoire rwandais.
[3] Mission de l’Organisation des Nations Unies en RD Congo.