Le Rwanda face à sa crise identitaire
+

[Ce témoignage est émouvant et même poignant. Mukagasana est infirmière responsable d’un dispensaire privé où elle travaille depuis quinze ans. Elle vit paisiblement sur la colline de Nyamirambo avec son mari Joseph et leurs trois enfants Christian (13 ans), Sandrine (12 ans) et Nadine (11 ans). Tout bascule le six avril 1994 lorsque l’avion du président hutu est abattu. Mukagasana et les siens se réfugient dans la brousse près de leur domicile, puis se dispersent pour ne pas être tués en même temps. Durant six semaines, Mukagasana se cache d’abord sous l’évier chez Emmanuelle, sa voisine hutu, ensuite chez les missionnaires catholiques de la paroisse de Nyamirambo et enfin, comble de l’ironie, chez Rucibigango, un colonel des anciennes Forces armées rwandaises (FAR). Cet officier tentera un jour de coucher avec elle, mais celle-ci s’en tirera en le masturbant et en jouant sur sa peur. Sur sa peur, puisque Mukagasana, que le colonel présente à son entourage comme sa tante, a effrayé « le petit colonel » en lui racontant, en présence de ses collaborateurs hutu, qu’elle avait téléphoné au chef d’état-major de l’armée rwandaise pour lui apprendre qu’elle est tutsi et tante paternelle du colonel, ce qui rendait ce dernier tutsi. Pour démentir cette fausse information, Mukagasana exige du colonel qu’il la conduise d’abord  à la paroisse Saint-Paul où il y avait d’autres réfugiés. Tremblant, le colonel l’accompagne jusqu’à la paroisse, où il apprendra que Mukagasana n’avait pas téléphoné au général, que toute cette affaire était le fruit de l’imagination. De la paroisse, Mukagasana gagnera l’Hôtel des Mille Collines, lieu de sa survie. Mukagasana survivra, mais elle ne reverra plus ni son mari ni ses enfants.

Lorsque, trois ans après le génocide rwandais, Mukagasana écrira ce qui lui est arrivé, elle sera amenée à méditer sur le conflit rwandais et sur sa nature. Elle abordera également l’épineuse question des identités ethniques rwandaises. C’est, nous l’avons déjà annoncé, à cette dernière facette de ce conflit sanglant que nous allons consacrer les pages qui suivent. Mais avant d’y arriver, apportons encore quelques précisions.]

[…]

###google###

[Dans son témoignage La mort ne veut pas de moi, Yolande Mukagasana se définit comme étant d’ethnie tutsi, à laquelle elle est fière d’appartenir, mais elle semble affirmer en même temps que cette ethnie n’existe pas, puisqu’il n’y a pas d’ethnies au Rwanda. Cette prise de position qu’un raisonnement rigoureux qualifierait d’absurde est un symptôme d’une crise identitaire dont le Rwanda a encore du mal à se défaire. Comment, sans nier sa propre existence, peut-on dire qu’on appartient à une ethnie qui n’existe pas ? Logiquement, si un élément fait partie d’un ensemble, nier l’existence de l’ensemble entraîne la négation de l’élément. Comment peut-on être et ne pas être en même temps ? En partant du récit de Mukagasana, que nous étendrons à des travaux de spécialistes, nous allons tenter d’examiner les arguments pour et contre l’existence des ethnies au Rwanda. En rassemblant dans un même raisonnement deux discours contradictoires – c’est-à-dire qui ne peuvent être vrais ni faux en même temps[i] – on aboutit à une situation difficilement tenable. Effectivement, pour le cas du Rwanda, c’est à la fragilité identitaire que conduira la contradiction. On assistera à l’émergence des identités mal assumées, ce qui ne va pas sans traîner à sa suite des conséquences néfastes.]

– lire tout le texte

– Le document est également en attaché ci-dessous.

Publications de Maurice Niwese


[i] Commentant le carré logique, le professeur Claude Troisfontaine note, à propos des propositions contradictoires, ce qui suit : « Les propositions contradictoires sont opposées tant du point de vue de la quantité que de la qualité. Ces propositions ne peuvent être vraies ni fausses en même temps. D’où on peut conclure de la vérité de l’une à la fausseté de l’autre et inversement. » (Cl. TROISFONTAINE, Théorie de la connaissance, p. 54.)

Related Files

Pas de commentaire

COMMENTS

Repondre

Laisser un commentaire