Introduction
L’Afrique Centrale est le produit de différentes dynamiques régionales complexes au travers desquelles des différends locaux et des conflits nationaux ont débordé des frontières nationales. Dans cette région chaque pays a une situation interne complexe et une histoire récente violente, dans laquelle les antagonismes locaux ont été polarisés et entremêlés à ceux des pays voisins. Suivant la fin de la Guerre Froide et au travers des années 1990, ces dynamiques régionales ont évolué vers une avalanche de mort et de destruction. Pendant les deux guerres en République Démocratique du Congo (RDC), (1996-1997 et 1998-2002) qui suivirent le génocide au Rwanda, le Congo et plus particulièrement ses provinces à l’est devinrent le champ de bataille de “la Première Guerre Mondiale Africaine”.
La richesse en ressources naturelles de la RDC a été un facteur important en alimentant le conflit comme les partis en guerre étaient en compétition pour le contrôle des réseaux parallèles pour le flux illégal des ressources de la RDC vers les marchés internationaux. Le résultat est un Etat en ruines, une crise de l’impunité et en plus de tout, une population martyrisée. Approximativement 6 millions de gens sont morts en tant que conséquence directe ou indirecte du conflit, faisant de cette guerre la plus sanglante depuis la seconde guerre mondiale. Ni la transition ni les élections n’ont réussi à ramener la paix et la sécurité à l’Est du Congo.
- Conflit à plusieurs niveaux ou différents conflits?
Les gens me demandent souvent: quel est le nœud du conflit en Afrique centrale ? Il est très difficile de répondre à cette question. Il n’y a pas un seul conflit. Dans l’Est du Congo, il y a au moins trois niveaux de conflit qui se rejoignent dans un contexte local qui est déjà très compliqué en lui-même. Les trois niveaux se chevauchent et se renforcent mutuellement, mais aucun d’eux ne peut être réduit à l’un des autres.
1. En premier lieu, il y a la lutte pour le pouvoir à Kinshasa après le démantèlement de l’Etat congolais. Dans les semaines qui ont suivi l’indépendance, le Congo a sombré dans une crise constitutionnelle et institutionnelle. Le pays est devenu un pion sur l’échiquier de la guerre froide, l’Etat a été si mal géré que l’on a du inventer le mot kleptocratie pour lui; les institutions étatiques et les mandats publics étaient considérés comme des instruments d’enrichissement personnel. Il en résulte une crise de légitimité, un Etat ruiné qui a besoin d’être réhabilité de presque zéro et l’absence totale des instruments pour un Etat pour imposer la primauté du droit. La réhabilitation de l’Etat congolais est la condition pour une paix durable en Afrique centrale.
2. Puis il y a la guerre Rwandaise et le génocide qui ont été exportés au Congo après la fuite de deux millions de Hutus Rwandais. L’implication du Rwanda dans la chute de Mobutu et, la guerre de 1998-2002 en ont été la conséquence, ainsi que.la présence permanente de l’opposition armée Rwandaise sur le sol congolais (qui, jusqu’à maintenant, est responsable pour la plus grande partie de la souffrance de la population de l’Est du Congo et reste une menace pour le Rwanda).et la présence maintenue de groupes armés dirigés par des Tutsis congolais soutenus par le Rwanda.
3. La course pour les ressources naturelles du Congo, dont l’exploitation a depuis longtemps échappé au contrôle de l’Etat parce que l’exploitation minière et la commercialisation étaient organisées par des réseaux parallèles et illégaux. Les années ‘90 n’ont pas créé l’exploitation parallèle des ressources naturelles mais en ont changé la direction: Kampala et Kigali devinrent les principaux axes pour les minerais, venant du Congo et vendus sur le marché mondial, souvent passant à travers les ports d’Afrique de l’Est, les pays arabes ou le sous- continent indien.
Ces trois niveaux viennent s’ajouter à une situation locale complexe avec des relations compliquées entre communautés et un problème de terre avec une pression démographique forte.
- Des évènements dramatiques en tant que conséquence immédiate de la chute du Mur de Berlin en Afrique Centrale
Le Congo est passé au travers de trente ans de dictature néo-coloniale sous Mobutu soutenue par l’Ouest pour deux raisons (a) pour garantir les intérêts économiques occidentaux dans le secteur minier; et (b) en tant que bastion contre le communisme en Afrique sur l’échiquier géostratégique de la Guerre froide.
1. Mobutu a fait un coup d’Etat et consolidé son pouvoir dans une période ou un nombre de chefs d’état africains se déclarèrent eux-mêmes adeptes d’un socialisme africain, comme Kwameh Nkrumah, Julius Nyerere, Kenneth Kaunda, Milton Obote, Muammar Al Ghadaffi et même des gens comme Léopold Senghor, Jomo Kenyatta, ou Gafar Nimeiry. Au début des années septante, des mouvements armés plus radicaux inspirés du marxisme tel le Frelimo, le MPLA, le PAIGC se sont organisés avec succès en Afrique lusophone, suivis plus tard par la ZANU/ZAPU au Zimbabwe et la SWAPO en Namibie. Mobutu a reçu du soutien occidental parce qu’il était considéré comme une barrière contre de tels développements.
2. Il a essayé de donner à son régime son propre contenu au travers de la zaïrisation, qui était supposée être une sorte de remise à niveau de l’identité africaine en tant qu’alternative attirante au socialisme africain. Mais son impact principal a été économique, d’une façon fort négative : l’expropriation des industries possédées par les expatriés et d’autres entreprises a été le suicide économique du mobutisme à moyen terme, parce que les moyens de production étaient répartis entre l’élite du régime, souvent les gens sans vision, la compétence ou la volonté de gérer ce qui leur avait été confié d’une façon responsable et durable
Après la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, Mobutu et beaucoup de ses collègues présidents en Afrique ont perdu de leur pertinence pour l’ouest, et soudain (avec le discours du Président Mitterrand au sommet des pays francophones de La Baule en juin 1990 en tant qu’étape importante) les pays occidentaux ont mis leurs alliés africains sous pression afin de démocratiser et de respecter les droits humains fondamentaux.
Le Rwanda, le Burundi et le Congo ont fait face à une situation où l’accélération du processus de démocratisation a mené à l’implosion de l’état et à des conflits qui étaient différents de ceux qui existaient auparavant. Les tensions dans les différents pays se sont polarisées et ont commencé à se chevaucher jusqu’à aboutir à nombre d’alliances ad hoc, souvent très irrationnelles et la plupart du temps basé sur l’adage “l’ennemi de mon ennemi devrait être mon ami”, même s’il s’avère parfois que les ennemis d’aujourd’hui seront les amis de demain. Le résultat est un réseau de coalitions instables entre des groupes armés et des acteurs politiques qui emmêlent géographiquement chaque pays africain entre l’Angola et la Corne d’Afrique
A la fin des années nonante, tous les antagonismes, les conflits et les alliances se cristallisèrent autour du Congo, qui devint ainsi le champ de bataille de ce que l’on a appelé la première guerre mondiale africaine, opposant une alliance Kabila/Mugabe/Dos Santos à une alliance Museveni/Kagame/Buyoya/rebelles congolais
- Profonds changements en Afrique Centrale depuis la moitié des années nonante
a) D’une culture de violence à l’impunité totale
Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1993, le processus de démocratisation qui aurait du ramener la paix et la stabilité au Burundi, après des décennies d’exclusion ethnique et de violence cyclique, prit fin avec l’assassinat du Président nouvellement élu Melchior Ndadaye. Ce fut le début d’une guerre civile ouverte qui a continué pendant plus d’une décennie pendant laquelle des centaines de milliers de gens furent assassinés, et beaucoup plus encore blessés, violés et dépossédés ou déplacés.
En avril 1994, les tensions politiques, ethniques et sociales au Rwanda se sont conjuguées en quatre mois de violence extrême et un génocide provoquant la mort de 700.000 à 1.000.000 de gens, principalement des Tutsis et des Hutus modérés, et a abouti à la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) et à l’exode de deux millions de Hutu dans les pays voisins, spécialement le Congo (alors Zaïre). En 1997, le leader rebelle Laurent-Désiré Kabila a pris le pouvoir à Kinshasa après une insurrection de huit mois contre Mobutu, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, et a changé le nom du pays en République Démocratique du Congo. Quinze mois après avoir conquis le pays, Kabila tomba en disgrâce auprès de ses anciens alliés: le Rwanda et l’Ouganda ont commencé une campagne militaire contre leur voisin le 2 août 1998. La chute attendue de Kinshasa n’eut pas lieu et la guerre a continué pendant de nombreuses années, officiellement jusqu’au retrait des armées Rwandaises et ougandaises en 2002.
Toute la région est entrée dans une décennie de violence, les tensions existantes entre les pays de la région se polarisèrent et aboutirent à de grandes explosions de violence extrême orchestrées, caractérisées par un grand nombre de victimes parmi les civils aussi bien que parmi ceux qui ont eu recours à la violence.
La violence n’a pas été commise en premier lieu par des armées régulières mais par des groupes armés qui étaient parfois difficiles a identifier avec précision, combinant souvent un très vague agenda politique avec un profil ethnique pas toujours très clair non plus, et des intérêts économiques souvent bien précis. La violence n’a pas seulement provoqué des vagues massives de populations déplacées et de réfugiés, mais aussi la destruction totale de l’Etat et de ses instruments, laissant ainsi la population dans un désarroi total, avec la désintégration des réseaux sociaux et institutionnels. Les conditions de vie d’une grande partie de la population ont chuté à un niveau bas jamais vu auparavant.
En ce qui concernait la RDC, très tôt durant la guerre, des enquêtes sur les taux de mortalité ont été effectuées, en premier lieu par l’ONG américaine International Rescue Committee. Différentes études ultérieures ont révélé que le conflit était un des plus meurtriers depuis la seconde guerre mondiale. Bien que la guerre congolaise ait pris officiellement fin en décembre 2002 avec la signature de l’accord de paix, les combats et l’insécurité ont continué dans de grandes zones de l’Est du Congo. Jusqu’en janvier 2008, un total de 5.6 millions de morts a été attribué directement ou indirectement au conflit.
Les événements au Rwanda et au Burundi ont changé une culture de violence dans ces pays en un état d’anarchie et d’impunité totale, où la justice a cessé d’exister, où les milices sont organisées, se désintègrent et échappent à toute forme de contrôle, où les armées régulières deviennent la principale source d’insécurité et où le viol est couramment utilisé comme arme de guerre. Vivre pendant des années dans une violence extrême et l’impunité totale change une personne, une communauté, une nation, une région de l’intérieur. Cela affecte la culture, cela affecte les valeurs.
b) D’une économie informelle vers une économie militarisée
Pendant la seconde guerre au Congo, depuis 1998 jusqu’à sa fin officielle en 2002, les ressources naturelles sont de plus en plus devenues l’enjeu du conflit, aussi bien pour les pays soutenant les rebelles que pour les alliés mobilisés par le gouvernement à Kinshasa. Dans les deux cas, le pillage du Congo était organisé systématiquement avec l’aide des élites congolaises. Entre avril 2000 et octobre 2002, le groupe d’experts spéciaux avec un mandat du Conseil de sécurité a produit trois rapports sur l’exploitation illégale des ressources naturelles. En premier lieu, ils ont travaillé sur l’exploitation des ressources par le Rwanda et l’Ouganda (or, diamant, cassitérite, coltan et bois) dans la partie orientale du Congo, mais aussi sur le pillage par le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie, remboursant leur soutien au gouvernement congolais en se servant eux-mêmes par le biais de concessions minières.
Les provinces orientales étaient officiellement sous le contrôle des rebelles du RCD, qui étaient trop faibles et trop petits pour gouverner. En pratique, le contrôle était fait par l’armée Rwandaise (avec de meilleurs soldats et une meilleure formation) et des fonctionnaires. Au Rwanda même, un bureau Congo a été mis en place pour gérer l’exportation des ressources minérales congolaises, qui en réalité était un canal pour les dirigeants militaires et politiques pour commercialiser une partie des minerais congolais sans passer par les comptes officiels de l’Etat Rwandais. Ainsi les ressources naturelles congolaises générèrent non seulement des fonds pour couvrir les dépenses militaires, elles étaient aussi la source principale d’enrichissement de l’élite Rwandaise. Comme le rapport du groupe d’experts d’octobre 2002 l’indiquait, les activités autour du Bureau Congo ont contribué pour 320 millions de dollars aux dépenses militaires du Rwanda et ont eu un impact énorme sur la politique Rwandaise des affaires étrangères et d’autres décisions officielles. Le groupe d’experts a estimé que 60 à 70% du coltan qui quittait l’Est du Congo était exporté sous la supervision directe des commandants de l’APR, à partir de petits aéroports dans les environs immédiats des mines vers Kigali ou Cyangugu.
Dans les zones minières, les civils congolais ont été forcés de travailler sans paiement, ou obligés de vendre les minerais aux officiers Rwandais à un taux très “préférentiel”. Les ONG internationales spécialisées telles que Global Witness, Raid and Ipis ont produit des enquêtes de haute qualité et des rapports, en plus de l’excellent travail fait par le groupe d’experts.
La conséquence était que l’économie informelle à l’Est du Congo, en tant que le résultat de décennies de kleptocratie et de démantèlement de l’Etat, a été militarisée au point que la continuation de l’état d’anarchie, avec toutes ses conséquences en termes de sécurité et de droits humains, est devenue une condition pour le pillage continu et systématique des ressources naturelles.
Maintenir une économie de guerre après la guerre
Après le retrait officiel des troupes Rwandaises en septembre 2002, le Rwanda a installé une série de mécanismes pour contrôler l’économie dans l’Est du Congo sans la présence officielle de l’armée Rwandaise. Les hommes d’affaires Rwandais ont remplacé les directeurs congolais en charge des entreprises parastatales, un nombre de soldats sont restés en arrière pour continuer à travailler dans le secteur minier, changeant leurs uniformes en costumes. Différentes sources ont rapporté aux experts du groupe d’experts des NU que des officiers RCD, maintenant officiellement parties de l’armée régulière congolaise mais toujours loyaux au Rwanda, ont utilisé les réformes du secteur de la sécurité et l’intégration dans l’armée pour introduire des soldats Rwandais dans les FARDC et les forces de défense locales.
Mais l’instrument Rwandais le plus important pour entretenir un climat d’impunité pendant la transition au Congo et après les élections de 2006, a été le CNDP (Conseil National pour la Démocratie et la Paix) de Laurent Nkunda. L’avant-dernier rapport du groupe d’experts des Nations Unies (décembre 2008) a décrit dans les détails comment cette rébellion recevait un soutien de réseaux commerciaux au Rwanda, et d’autorités politiques et militaires au sein de l’Etat Rwandais, et pour démanteler les FDLR en tant que menace militaire pour le Rwanda.
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