Crise burundaise : la péremption d’une cure
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Rubrique : Actualité
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Publié le 20 Nov 2015 par Cecil Kami

L’inimitié – c’est un euphémisme – que porte le président rwandais Paul Kagame à son homologue burundais Pierre Nkurunziza n’est plus un secret. Par deux fois et deux interrogations cette année en effet, le premier a eu à s’épancher publiquement et longuement sur les « péchés » du second qu’il a ouvertement accusé, d’abord, de responsable de crimes de sang « Comment des dirigeants peuvent-ils s’autoriser à massacrer leur population du matin au soir ? » (Kigali, novembre 2015) ; ensuite, de personnalité au comportement obsessionnel « Comment pouvez-vous alors dire: je reste, que vous vouliez de moi ou non une obstination de rester au pouvoir malgré la volonté des Burundais » (Saint-Gall, Suisse, mai 2015). Que Kagame s’en prenne vulgairement à quelqu’un est devenu, au fil des années, d’une banalité insolite, ce qui l’est par contre moins, ce sont les frustrations derrière pareils dérapages…

Ayant accédé au pouvoir au terme d’une guérilla, le général Kagame a toujours cru être un spécimen de « libérateur », statut qu’il ne voudrait partager avec personne d’autre sur terre. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui l’ont poussé à systématiquement éliminer tout le cadre historique de son mouvement politico-militaire. Seulement, son pays ayant été souvent qualifié de (faux) jumeau du Burundi, ce qui s’y passe a toujours, d’une façon ou d’une autre, influencé les événements dans ce pays. Et vice-versa. Victimes de décennies d’injustice socio-politique, certains Burundais ont organisé (comme les compères de Kagame) une lutte de libération et sont parvenus à chasser un régime aparthéidal dont les pontes ont aujourd’hui du mal à accepter leur relégation. Imaginant une revanche sponsorisée par leur complice dans le meurtre du président Melchior Ndadaye, ils ont jeté des quartiers entiers dans la rue, prétextant un mandat de trop pour le président Nkurunziza. Leur cécité leur fera cependant oublier que Kagame aussi en fait trop en termes de bafouement de sa constitution.

Il n’y a pas de jour en effet, sans que ses opposants (ainsi que certains de ses alliés ; hier encore les Etats-Unis) ne dénoncent ce tour de force visant à pérenniser le séjour de His Excellency au Village Urugwiro. Quant aux massacres dont seraient coupables le gouvernement du président Nkurunziza, il y a lieu de s’étonner que ceux qui en font bruyamment écho n’aient, à ce jour, pas encore rendu le moindre compte par rapport à un accablant rapport de l’Onu (le Mapping report) les rendant explicitement et indubitablement responsables de la « disparition » d’au moins 300 000 de leurs compatriotes. Sans parler des centaines de cadavres du lac Rweru. Alors, lorsque le président Kagame s’en prend à son voisin du sud, s’agit-il d’une fuite en avant, d’un écran de fumée ou d’une simple accusation en miroir ? Manifestement tout cela à la fois, mais surtout, la crise burundaise étale au grand jour, si besoin en était, les limites (si pas la péremption) de la cure Kagame.

Observer une situation, la rendre critique en créant du chaos par techniciens infiltrés, laisser pourrir, prendre à témoin l’opinion internationale et enfin déclarer la guerre… De l’Ouganda au Congo (en passant par le Rwanda), voilà la recette thérapeutique qu’ont appliquée les afande du duo Museveni-Kagame pour « guérir » les pays qu’ils voulaient conquérir. Jusqu’à la débâcle de Chanzu. Sur cette colline congolaise, un jour de novembre 2013, le M23, une milice émanant des Forces rwandaises de défense s’est effectivement vue taillée des croupières. Et dès ce jour, les aventures belliqueuses du président Kagame ont marqué le pas au point de faire dire à certains que son armée souffre désormais d’une affection paralysante, le syndrome de Chanzu. Ils pourront donc invectiver le Burundi, mais l’audace d’attaquer n’est plus ! Ajouter à cela que l’actuelle armée burundaise est elle-même rompue aux techniques de guérilla et l’on comprend parfaitement les frustrations-hésitations du maître de Kigali.

La médication Kagame ne guérit donc plus. Hier Tanzaniens et Sud-africains ont signifié clairement à l’armée d’afande PC que « la mère d’autrui pouvait aussi enfanter un garçon ». Aujourd’hui c’est au tour des Russes et des Chinois de se tenir aux côtés de ce pauvre petit pays africain que le mépris de l’Occident avait déjà voué à une destruction programmée. Plus que ces soutiens extérieurs cependant, c’est le sang-froid du peuple burundais qui semble mettre en échec cette thérapie kagamienne : s’ils continuent de croire en eux-mêmes, de résister aux innombrables provocations (violence) et s’ils évitent les pièges dans lesquels ils sont quotidiennement poussés (la rhétorique d’exclusion), la guerre de Bujumbura n’aura pas lieu. En pleine crise économique et idéologique, l’Occident se cherche entre ses traditionnels balbutiements et la renaissance d’une Russie qu’ils croyaient avoir mis à genoux. Ceci est une brèche historique que ne devraient pas rater tous les assoiffés de liberté sur le continent africain. La lâcheté de ces puissants est tous les jours exposée et ils ne pourront personne sauver, pas même leurs pantins.

Dans son brillant « Après l’empire – Essai sur la décomposition du système américain », l’essayiste Emmanuel Todd expliquait déjà la voie de marginalisation sur laquelle se trouvaient les Usa ainsi que leur déclin inévitable. Les positions russes confirment, jour après jour, cette analyse mettant à nu la puissance américaine. Leurs protégés actuels devraient donc être défiés partout où ils ont établi et consolidé des dictatures arrogantes. Leur cupidité doit être combattue et défaite sur tous les fronts. Les armes sont là depuis fort longtemps : « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits. » (Thomas Sankara)

Cecil Kami
DHR, 19 nov. 2015

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