La rencontre annuelle appelée abusivement « Dialogue national » ou « Umushyikirano » en Kinyarwanda a eu lieu à Kigali du 15 au 16/12/2016. Elle a réuni tous les dignitaires du régime jusqu’au plus bas échelon de l’administration et du parti au pouvoir, le FPR. Y sont aussi associés les Rwandais de la diaspora surtout les exilés politiques des années 1994 qui se résolvent, après une campagne assidue de leur recrutement, à aller faire allégeance au président Paul Kagame, les yeux dans les yeux. Leur présence est alors largement médiatisée et constitue le clou de la rencontre.
Cette Grand-messe encadrée et minutée par les idéologues du FPR pour faire dérision aux dialogues nationaux qui, ailleurs dans des pays qui n’ont pas connu de démocratie, placent les jalons vers une vraie démocratie, est devenue, au fil des années, ridicule et budgétivore que seule une dictature implacable peut encore avoir le culot de l’imposer à la population qu’elle a soumise.
Des milliers de participants venant de tous les coins du pays et des pays étrangers à travers le monde sont transportés à Kigali, logés et nourris pendant toute la durée de la rencontre aux frais du contribuable. Comme il est apparu dans la dernière édition de décembre 2016, le seul mot d’ordre était de chanter les louanges au président Paul Kagame. Cette culte de la personnalité poussée à son paroxysme a même gêné le concerné qu’il est intervenu pour demander que cela soit tempéré.
A la même occasion, et pour noyer le poisson, un slogan vide a été lancé. Il s’agit de la « Vision 2050 ». Quand on sait qu’après l’intronisation de Paul Kagamé, un tel slogan avait été lancé au cri de « Vision 2020 » et que actuellement moins de trois ans avant cette échéance, il apparait que cette vision n’était qu’une chimère, on peut s’étonner que le régime ose rééditer cette supercherie pour distraire l’opinion publique.
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Comme si cela ne suffisait pas, cette messe noire qu’est l’ « Umushyikirano » est l’occasion rêvée par les idéologues du FPR d’inoculer leur venin dans les cadres encore sains. A savoir : enseigner la politique discriminatoire consistant à présenter le Hutu comme étant congénitalement « génocidaire » et donc coupable, afin de mieux le soumettre. Ainsi l’Evêque anglican John Rucyahana, censé diriger la Commission de Réconciliation, a prêché, les bras levés au ciel, que : « les enfants hutu nés après 1994 étaient nés avec une idéologie du génocide » et que donc il fallait tout faire pour l’éradiquer en eux ! Le prêtre catholique défroqué Jean Damascène Bizimana qui, en vrai extrémiste à la tête de la redoutable Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG), a abondé dans le même sens et a juré d’y consacrer tous les moyens d’Etat nécessaires. C’est donc une politique inique de culpabilisation collective des Hutu qui est prônée et mise en pratique notamment à l’occasion des séances comme l’« Umushyikirano ».
C’est aussi l’occasion de faire pression sur l’Eglise Catholique en général et celle du Rwanda en particulier pour qu’elle reconnaisse avoir commis le génocide et qu’ensuite elle soit amenée à payer des réparations, notamment la confiscation de ses biens immobiliers. Le rôle d’accusateur public a été confié, à l’occasion, à des « Hutu de service » à qui le FPR a donné quelques postes politiques d’apparat et qui, pour cela, doivent redoubler de zèle pour s’accuser ou pour accuser une personne physique ou morale que le FPR leur désigne. C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter la sortie d’un individu comme JMV Gatabazi et que l’on présente comme un député à l’assemblée nationale. Il est tout sauf un représentant du peuple. Preuve que ce que dit cet individu qui, en toute logique, devrait être considéré comme pas sérieux et commandité par le régime, Paul Kagame lui-même a approuvée son attaque injuste contre l’Eglise catholique. Cette solidarité négative entre Paul Kagame et le député Gatabazi montre bien qu’une concertation avait eu lieu préalablement et elle se justifie car le contentieux entre le FPR et l’Eglise catholique est loin d’être résolu.
En effet, l’on se souviendra qu’avec la guerre déclenchée en octobre 1990, l’Eglise catholique en a payé un lourd tribut. Tout au début des hostilités, les militaires du FPR ont assassiné une religieuse française, Renée Popin et une aspirante rwandaise dans la paroisse de Rushaki, tout près de la frontière ougandaise. Le 10 février 1992, à Rukomo, seize prêtres des quatre paroisses du Mutara, dans leur lettre, dénoncèrent un terrorisme à l’encontre de la population civile par le FPR. L’un des signataires de cet appel, le père espagnol Vallmajo sera assassiné par le FPR en 1994 à Kageyo. Dans le diocèse de Byumba, en pleine zone du FPR, on estime que plus de la moitié des prêtres ont été tués. Dans le diocèse de Nyundo, on déplore plus de 30 prêtres tués sur les 53 présents au moment des massacres. En avril 1994, le FPR a assassiné à Rwesero les abbés hutu : Joseph Hitimana, Athanase Nkundabanyanga, Gaspard Mudashimwa, Christian Nkiliyehe, Alexis Havugimana, Faustin Mulindwa, Fidèle Mulinda, Célestin Havugimana et Augustin Mashyenderi. Dans le diocèse de Kabgayi, le FPR procéda à l’assassinat, le 05 juin 1994, de trois évêques ainsi que de neuf prêtres qui avaient refusé d’être évacués parce qu’ils avaient peur de la sécurité de Tutsi sous leur protection.
Ce jour là en effet, les soldats de Paul Kagame ont fait irruption dans un couvent où s’étaient regroupés l’essentiel du haut clergé du Rwanda. Ils les ont alors alignés comme des condamnés face à un peloton d’exécution et ils ont tiré sur eux. Les hommes d’Eglise se sont alors tous effondrés dans leurs chasubles immaculées de sang. Parmi les morts : l’Archevêque de Kigali, l’Evêque de Byumba, l’Evêque de Kabgayi, leurs vicaires et d’autres prêtres. Au total 13 ecclésiastiques de l’Eglise Catholique Romaine furent assassinés par la soldatesque de Paul Kagame et ce crime reste toujours impuni.
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Le 17 octobre 1994, le FPR a assassiné le père canadien Guy Simard, curé de Ruyenzi à Butare ; le 1er août 1995, il a tué l’Abbé Pie Ntahobari, curé de Kamonyi à Gitarama. En 1996, il a fait disparaître Monseigneur Phocas Nikwigize, Evêque de Ruhengeri, de retour des camps de l’ex-Zaïre. C’est dans le cadre de cette politique qu’il a précipité la mort de Monseigneur André Sibomana, en lui refusant un document de voyage à temps pour aller se faire soigner à l’étranger. Le 11 mai 1997, deux prêtres de la paroisse catholique de Cyahinda (Butare) furent mis à mort. Début août 1997, il y a eu l’assassinat de l’Abbé Ignace Mubashankwaya de la paroisse de Mushaka en préfecture Cyangugu. Toujours en 1977, le père canadien Guy Pinard fut abattu à Ruhengeri dans son église après avoir donné la communion à son assaillant, un ex-militaire du FPR. Le 31/01/1998, le père Croate Vijeko Curic, a été assassiné par un militaire du FPR à Kigali. Le 28 avril 1998, ce fut l’assassinat du Curé de la paroisse Ruhengeri, l’Abbé Boniface Kagabo, un grand ami de Mgr Phocas Nikwigize. Dans la nuit du 7 au 8 janvier 1998, 6 sœurs de la Résurrection du Christ furent assassinées à Busasamana. La liste peut être allongée. Tous ces crimes restent impunis! Paul Kagame a de quoi paniquer.
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Mais comble d’ironie, la même Eglise est sommée, par le même Paul Kagame, de s’auto-accuser de « génocide » et de payer des réparations.
Enfin, comme il fallait s’y attendre, lors de cette dernière édition de la messe noire « Umushyikirano », les grands problèmes du pays n’ont pas été évoqués. Ni la famine devenue endémique et qui fait migrer plusieurs citoyens vers les pays voisins, ni l’insécurité à la quelle la population est soumise de la part des milices du parti FPR dites DASSO, la spoliation des paysans de leurs terres, le manque d’eau et la pénurie en électricité….
Bref, aucun de ces problèmes ne fut abordé. La seule autorité morale qui a tenté d’évoquer un de ces problèmes a été humiliée par un jeune homme, notoirement sans éducation, mais qui curieusement, a été affublé par le régime d’un titre de « Secrétaire d’Etat », de quoi lui donner le feu vert pour insulter les vieux sages et même blasphémer. En effet, rompant la monotonie des interventions qui, toutes, ne faisaient que louer le président Paul Kagame mais sans oser relever les problèmes auxquels fait face le pays, l’Evêque de Byumba, Monseigneur Servilien Nzakamwita, a attiré l’attention de l’assistance sur la problématique de la cellule familiale rwandaise afin de trouver des voies et moyens pour maintenir sa cohésion, ce qui constitue aussi un des volets de la sécurité dans toute société. C’est alors que le bouillant et imprévisible Evode Uwizeyimana s’est levé pour asséner à Monseigneur Servilien Nzakamwita qu’il ne devrait pas parler de famille car il n’en avait pas fondé ! Il ne saurait donc rien des problèmes des couples en famille.
A cette sortie, beaucoup dans la salle ont retenu leur souffle, mais les autres y ont vu un signe des temps. Il n’est pas en effet courant qu’un membre du gouvernement fasse taire une autorité morale qui parle des problèmes touchant son domaine pour lui clouer le bec au prétexte qu’il n’a pas vécu l’expérience ou ne se trouve pas dans la peau de ceux qu’il veut défendre. D’après ce ministre de Paul Kagame qu’est Evode Uwizeyimana, pour évoquer les problèmes des femmes enceintes, il faudrait prouver que l’on a été enceinte au moins une fois. Pour parler des problèmes que rencontrent les vieilles personnes, il faudrait attendre que l’on soit même vieux et le prouver. Pour parler des problèmes des nouveaux nés, il faudrait leur donner la parole ou redevenir nouveau né pour avoir le droit d’en parler. Voilà ce que peut produire un régime dictatorial : un personnage irrévérencieux comme Evode Uwizeyimana élevé au rang de ministre et à qui on confie un sale boulot : faire taire les autorités morales reconnues et respectées par tous, ce que n’importe quel autre homme bien éduqué et normal ne pourrait oser.
De ce qui précède, tout indique que le régime serait bien inspiré de mettre fin à cette comédie que constitue « Umushyikirano » car il n’est qu’un gouffre financier et une messe noire pour louer « l’homme fort du Rwanda ». Les Rwandais n’ont pas besoin, en ce 21è siècle, d’un organe officiel mis en place dans le seul but de manifester le « culte de la personnalité » de Paul Kagame. Le FPR devrait plutôt penser à un vrai « dialogue national » qui devrait réunir autour d’une même table le FPR et les formations politiques qui ne lui sont pas soumises mais qui ne militent que pour le mieux-être et la liberté du peuple rwandais.
Bref, le FPR devrait reconnaître l’existence d’une opposition à son régime et s’engager à la respecter. Tandis que convoquer des assises budgétivores pour chanter et danser devant Paul Kagame et puis se séparer en se congratulant, ne constitue en rien une politique recommandable et ne restera dans l’Histoire que comme une pratique dictatoriale d’un certain Paul Kagame qui était poussée à son paroxysme. Le Rwanda mérite mieux.
Emmanuel Neretse