En septembre 1990, l’attaché militaire américain a informé le col. Serubuga qu’après la visite du Pape, l’attaque du Rwanda par le FPR allait être inévitablement déclenchée
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Les mémoires du colonel Serubuga, ex-chef d’Etat-major des Forces Armées rwandaises, sont pleins d’informations secrètes inédites. En témoigne l’extrait ci-dessous, pp. 132-135 :

A l’approche du sommet de l’enfance aux États-Unis où le président Habyarimana est invité, les services de renseignement dont ceux de l’Armée rwandaise s’efforcent, non sans peine, de le dissuader de ne pas faire le déplacement à cause de la persistance des informations sur l’imminence d’une attaque contre le Rwanda.

Le Président finit par en être sensibilisé mais préfère multiplier des contacts avec le Président ougandais afin que ce dernier encourage  ses protégés à renoncer à cette hasardeuse aventure. En particulier, une délégation de sécurité est envoyée à Kampala le 24 septembre 1990 pour l’informer de la persistance des informations sur les préparatifs d’attaques contre le Rwanda par des membres de la propre armée (la NRA). Malheureusement, sa réponse est encore une fois la fidèle et simple répétition de ce qu’il a déclaré à Butare quelques mois auparavant. Entre-temps les organisateurs de la conférence internationale insistent pour avoir une réponse du Président rwandais et ils la souhaitent positive.

Devant l’hésitation à peine dissimulée du président Habyarimana, les Américains, par le canal de leur ambassadeur à Kigali, déclarent s’investir à leur tour pour faire l’évaluation de la situation. Leur rapport basé sur les informations en provenance de leur ambassade de Kampala ne nous apprend pas plus car il reprend, mot à mot, les éléments de réponses antérieurement connues. De notre côté, c’est justement parce que l’analyse des services de l’ambassade américaine est trop fidèle aux propos du président Museveni que nous devenons davantage méfiants. Cette réponse de la part des services les plus documentés du monde est d’autant plus intrigante qu’elle diffère des propos tenus par un autre officiel américain moins de six mois plus tôt.

C’était au courant du deuxième trimestre 1990 quand j’ai reçu l’attaché militaire américain ayant résidence au Cameroun. A l’époque, l’officier était accompagné de son ambassadeur en poste à Kigali. Notre entretien a porté essentiellement sur les informations persistantes selon lesquelles les réfugiés rwandais membres de la NRA projetaient une attaque contre le Rwanda. Je lui ai demandé de nous aider à confirmer ou à infirmer de telles informations. Non seulement il m’a renvoyé à un rapport de la CIA dont il savait bien que j’avais eu connaissance mais aussi, sa réponse a été on ne peut plus claire :

A la demande  du Vatican, les efforts diplomatiques ont actuellement comme préoccupation de parvenir à dissuader ces réfugiés de ne pas perturber la visite du Pape au Rwanda*. Les empêcher d’attaquer n’est plus la préoccupation actuelle des diplomates. Ces réfugiés  sont si loin dans leur projet qu’ils ont même déclaré qu’ils ont opté de sacrifier les Tutsis de l’intérieur qu’ils ne considèrent point comme des partenaires dans la détresse des réfugiés.
[*Le Pape est arrivé au Rwanda le 07 septembre 1990].

L’ambassadeur présent n’avait fait aucun commentaire là-dessus.
Le 26 septembre, c’est sans conviction, et dans tous les cas résigné à l’égard d’une diplomatie dont il tient tant, que le président Habyarimana s’envole finalement pour les États-Unis, non sans avoir mis chacun de nous devant ses responsabilités. Là-bas il va côtoyer le président Museveni qui, apprenant le début de l’offensive le 01 octobre, va comme d’habitude se fondre en excuses en prétendant que ceux qui ont attaqué ont déserté son armée avec armes et équipements.

En aucun moment, Yoweri Museveni n’insinuera l’éventualité de sanctions à l’égard de ses « boys » qu’il connaît bien et pour lesquels il souhaite une prompte victoire. Plus grave encore, Museveni parviendra, au fur des mois, à imposer à l’opinion des différents observateurs également soumis à l’intense lobby anglo-saxon, que la guerre qui sévit au Rwanda n’est pas une guerre dans laquelle deux états sont impliqués, mais bien un conflit interne au Rwanda.

Quant aux hôtes américains, un membre de l’équipe du protocole a indélicatement soufflé au président Habyarimana que si la situation au Rwanda paraissait grave, le département  d’État était prêt à examiner avec intérêt son éventuelle demande d’asile politique. Les assurances qui lui avaient été faites avant son départ de Kigali appartenaient dorénavant à une page déjà tournée.

Laurent Serubuga


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