Les Rwandais et leurs origines ethnisées
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Si la communauté internationale ne cesse de s’interroger sur l’histoire (ancienne et récente) du Rwanda, il n’en demeure pas moins que les Rwandais eux-mêmes se questionnent sur leur propre histoire, sur leur propre identité.

Peu d’écrits ont traité la question identitaire des Rwandais qui est pourtant une des causes de conflits récurrents de ce pays. S’appuyant sur des éléments précis, cet article apporte des pistes de réflexions sur les origines des Rwandais (hutu-tutsi-twa), sujets soumis à polémiques et dont on sait à quel niveau il alimente les crises rwando-rwandaises et même régionales.

Introduction

Le XXe siècle a été certainement le pire des siècles qu’a connus le Rwanda depuis son existence. On a vu une haine sans nom opposer deux camps nommés « ethnies » jusqu’à aboutir aux tragédies les plus sanglantes de l’histoire.

Le XXe siècle correspond, en effet, à la colonisation des pays africains par les Occidentaux. Rappelons pour le cas du Rwanda que celui-ci a été occupé d’abord par les Allemands (du début du XXe siècle à la première guerre mondiale) puis par les Belges jusqu’en 1962. Cette période d’une soixantaine d’années a beaucoup transformé le pays, par rapport aux modes de vie des Rwandais, aux mœurs et à la culture en général.

Si, au cours de cette période, le Rwanda a vu naître l’école, les hôpitaux, les routes, l’habillement moderne, la voiture, etc., il a aussi vu mourir sa religion traditionnelle, son organisation politique et sociétale, ses références symboliques, etc. Mon objectif n’est pas bien entendu, de comparer les pertes par rapport aux gains acquis grâce à la présence occidentale, mais de souligner la dégradation outrancière des relations qui existaient entre les Hutus et les Tutsis.

Personne ne peut oser dire que ces deux groupes sociaux n’existaient pas avant l’arrivée des Occidentaux et que les relations entre eux n’étaient pas déjà tendues. Néanmoins, tous les témoignages concordent en affirmant le rôle des colonisateurs dans l’attribution de critères naturels pour identifier ces deux groupes. En formalisant les différences naturelles, entre les Hutus et les Tutsis (et les Twas par ailleurs), les autorités coloniales appuyées par quelques anthropologues ont donc irréversiblement tranché. Les politiques coloniales et postcoloniales toutes confondues, en ont largement profité pour légitimer et consolider leur pouvoir, parfois au prix du sang du peuple rwandais.

Je voudrais revenir sur les erreurs qui ont été commises au début du XXe siècle, et sur l’une d’elles en particulier. En attribuant arbitrairement des origines géographiques différentes à ces deux groupes sociaux : hutu et tutsi, les classificateurs de l’époque venaient confirmer fatalement les différences et creuser le fossé au sein du peuple rwandais.

A l’heure actuelle, l’ethnisation des consciences ainsi que les événements vécus par les uns et les autres ont fini par catégoriser tout le monde, sans scrupule, fermant ainsi la parenthèse sur le vrai débat concernant nos questions identitaires, sources des tragédies cycliques qui ne cessent d’endeuiller le Rwanda.

Linguiste de formation, je voudrais, en m’appuyant sur les données linguistiques et sociolinguistiques fustiger l’idée aberrante selon laquelle les Hutus seraient seuls d’origine bantoue tandis que les Tutsis seraient d’origine chamito-nilotique.

Le but n’est pas, comprenez-moi bien, d’emprunter le sens inverse en établissant des liens fictifs entre les deux groupes ou plus encore de justifier les comportements actuels ou passés des uns vis-à-vis des autres. Tout simplement, je voudrais qu’on ne continue pas à être prisonniers des erreurs du passé, et que l’on cherche à comprendre l’histoire des Rwandais sans poser de critères discriminatoires au préalable.

Que lit-on sur le peuplement du Rwanda ?

Les premiers Occidentaux arrivés aux Rwanda se sont empressés d’écrire sur les origines des Rwandais. Plusieurs raisons justifient cet empressement :

– Les premiers Européens sont des explorateurs (Oscar Baumann notamment) qui cherchent à expliquer, avec des sources et des moyens bien entendu très limités, ce qu’ils ont découvert ponctuellement.

– D’autres sont des colonisateurs dont la politique « divide et impera diviser pour régner » est la devise (les colonisateurs devaient à tout prix trouver un point de chute pour installer l’autorité coloniale). Dans cette catégorie, ont peut aussi inclure les missionnaires qui adoptent la même politique pour asseoir et consolider l’Eglise.

– Une autre catégorie est constituée d’anthropologues européens de la fin du XIXème siècle et début du XXe siècle. On sait bien que les anthropologues européens étaient préoccupés par les classifications des peuples, notamment dans un rapport de domination « Blancs-Noirs ».


A LIRERWANDA. COMMENT HUTU, TUTSI ET TWA PARTAGENT-ILS LES MÊMES CLANS? TENTATIVES D’EXPLICATION.


Sur le continent africain, les vieilles idéologies manichéennes veulent expliquer que les civilisations noires seraient l’œuvre des Hamites, peuples de race blanche qui seraient venus de la région caucasienne. Ces hypothèses dépourvues de tout fondement ont largement influencé les premiers européens qui ont travaillé sur les origines des Rwandais. S’appuyant surtout sur des aspects morphologiques de la famille dirigeante, ils ont tiré des conclusions généralisantes, comme on peut le lire dans différents écrits :

Le Père Pagès écrit :
« La communauté d’origine des Hamites avec les Sémites (Egyptiens ou Abyssins) semble hors de conteste. Leurs ressemblances physiques, leurs affinités des mœurs pastorales, l’identité de coutume, telles que la division en animaux purs et impurs (imiziro), la loi du lévirat, la mutilation d’un ennemi, leur organisation politique féodale), etc., sont autant de traits qui prouvent leur parenté avec cette race ».

Le Chanoine De Lacger a écrit quant à lui :
« Les Tutsis ont le type caucasique et tiennent du Sémite de l’Asie antérieure. Avant d’être ainsi négricisés, ces hommes étaient bronzés ».

Le Rapport sur l’administration belge du Rwanda-Urundi de 1925 décrit les Tutsis comme suit :
« Le Mututsi de bonne race n’a, à part la couleur, rien du nègre. Ses traits, dans la jeunesse, sont d’une grande pureté ; front droit, nez aquilin, lèvres fines ».

De tels écrits bien simplistes, polémiques et parfois manichéens ont été pourtant pris à la lettre. Les premiers intellectuels rwandais se les sont appropriés et les ont reproduits dans leurs ouvrages en langue locale. Ce sont ces livres qui ont servi à tous les niveaux de l’enseignement rwandais.

Monseigneur Alexis Kagame, un des premiers élèves de l’école européenne (notamment élève des Pères De Decker et Van Overschelde), ne pouvait que reproduire les théories en vogue, d’autant plus que cela ne le desservait pas en tant que membre de la dynastie nyiginya, fonctionnaire de la cour.

Quelle que soit la reconnaissance qui lui est due en tant que pionnier des travaux historiographiques et transcripteur des littératures orales de cour, on ne peut que regretter que les erreurs partagées par les Européens aient été enseignées et transmises de génération en génération par le biais de l’école.

Mgr Alexis Kagame affirme sans vergogne dans notamment « Inganji Kalinga (Tambour Victorieux) » son adhésion aux théories européennes, en localisant les origines géographiques des Hutus et des Tutsis. Ces derniers, Hamites, seraient venus, dit-il, de la région de l’Abyssinie (en Ethiopie). Les Hutus, poursuit-il, seraient arrivés en Afrique centrale en provenance de l’Asie. Mgr Kagame croit et écrit sans hésiter que les Tutsis étaient de couleur blanche (voir Inganji Kalinga, p. 65, p.71) et qu’ils se sont négrifiés par la suite.

Mgr Kagame Alexis est tombé, par certains de ses écrits, dans l’erreur manichéenne, utilisant des exemples souvent contradictoires et partisans. Toutes les critiques actuelles lui reprochent, à juste titre, de ne pas avoir su prendre de distance entre son travail scientifique et ses sentiments personnels. Il se met dans la mêlée et prend position contre ceux qui ne sont pas de son camp.

Hutu-tutsi : dénominations postérieures aux clans

Beaucoup d’écrits concordent à affirmer la primauté des clans rwandais sur les groupes sociaux hutu-tutsi. Ces appartenances ont été certainement créées après les débuts de la formation du Rwanda, c’est-à-dire après que la dynastie nyiginya, située aux environs de Gasabo, eut commencé à conquérir d’autres royaumes voisins (vers les années 1400). Avant et après cette conquête progressive, les membres des clans se mariaient entre eux, qu’ils soient de royaumes voisins ou lointains. Entre les rois voisins, le mariage interclanique était courant. Les exemples sont nombreux et à titre d’exemple : le roi Mashira[1] a épousé Nyirantobwa, fille de Mibambwe I Mutabazi[2]. Gahindiro, le fils de ce dernier (de la dynastie nyiginya) a peiné pour avoir Bwiza (la miss rwandaise de l’époque !!!), la fille de Mashira, roi de Nduga (du clan banda).

Du fait que les dénominations hutu-tutsi (et twa par ailleurs) n’existaient pas encore à cette époque du début de la formation du Rwanda, Mgr Alexis Kagame est bien confondu. Pour justifier la supériorité de la dynastie nyiginya et s’alignant ainsi sur l’idéologie européenne, il fait une hypothèse assez tendancieuse selon laquelle d’autres clans qui se mariaient avec les nyiginya étaient peut-être aussi des Tutsis. Voici ce qu’il écrit à la page 51 d’« Inganji kalinga » (Tambours victorieux) :
« (…) Qu’est-ce qui peut justifier que d’autres clans puissent se marier avec nos rois, si ce n’est que ces clans sont eux aussi des Tutsis ? S’ils ne sont pas des Tutsis, dis-moi comment un roi (Hinza) du Bushi ou de Buhunde peut-il oser demander une fille du roi du Rwanda et on la lui donne. Quel roi nyiginya peut-il s’acharner à aller demander une fille chez le roi hinza (si lui-même n’est pas de la même lignée) comme l’a fait Gahindiro de Mibambwe I ? »[3].

A cette époque les dénominations hutu-tutsi n’étaient pas créées et Mgr Kagame ne peut que formuler les hypothèses tendancieuses en attribuant ces appartenances aux clans, en fonction de ses propres tendances idéologiques.

On doit donc s’arrêter un instant et s’interroger sur cette présence de mêmes clans dans les trois groupes hutu-tutsi-twa lesquels sont des groupes sociaux et non des ethnies, dénominations postérieures à celles de clans. Sans parti pris, qu’est-ce qui empêcherait concrètement ces clans, partageant les mêmes ancêtres, d’être un même peuple[4] ayant les mêmes origines ?

Apports des éléments linguistiques

Toutes les sources orales dont nous disposons jusqu’à l’heure actuelle témoignent, depuis la nuit des temps, d’une même langue partagée par tous les clans rwandais et donc, par les trois groupes sociaux rwandais. Les éléments du code ésotérique dynastique tels qu’ils ont été intégralement transmis par les fonctionnaires spécialisés désignés de génération en génération par les rois successifs, et transcrits par Mgr Kagame, sont bel et bien en langue rwandaise (notamment le code dynastique « Ubwiru » ou la généalogie des rois nyiginya « Ubucurabwenge »). Or le rwandais (kinyarwanda) est une langue de la famille des langues bantoues, classée par les linguistes qui ont travaillé sur la classification des langues africaines. La dynastie nyiginya, de par l’usage du kinyarwanda et notamment dans son code ésotérique dynastique, est sans conteste de la famille des Bantous et non de celle des Hamites.

L’usage du kinyarwanda par tous les clans, avant même la naissance du Rwanda est un élément qui ne peut qu’affirmer l’hypothèse des mêmes origines. Les toponymes et les anthroponymes de tous les clans et leurs localisations géographiques tirent également leur source de la langue rwandaise, cela renforce davantage l’hypothèse d’une même communauté, ayant certainement les mêmes cultures.

Comment est-il possible qu’une dynastie d’origine abyssinienne n’ait pas laissé de traces de langues chamito-nilotiques dans son code ésotérique dynastique, qui l’auraient rendu plus ésotérique, plus protégé contre l’extérieur ? Certaines personnes prétendent que les nyiginya et d’autres clans (supposés tutsi) auraient abandonné leur langue pour adopter la langue des clans (supposés hutus et twas) qu’ils venaient de trouver sur place. Or, dès lors que les nyiginya étaient socialement, militairement, politiquement et économiquement plus puissants que d’autres clans, quelle raison auraient-ils eue d’abandonner la langue originelle ? C’est impensable. Supposons même qu’ils aient accepté de perdre leur langue, comment imaginer que ce soit au point de n’en garder aucune trace, ne fût-ce que pour le rituel ésotérique ?

Bref, la colonisation, l’exiguïté du territoire, la pauvreté dans un pays surpeuplé, sont autant de facteurs qui ont joué un rôle important dans la dissension des Rwandais. A chaque époque, le Rwanda a connu des divisions binaires qui consistent à désigner chaque fois les bons et les mauvais, ceux qui doivent être privilégiés ou pas (soi-disant par nature ou en raison de leur nombre minoritaire ou majoritaire). C’est incontestablement dans cette optique que les dénominations hutu-tutsi sont nées pour désigner les deux groupes sociaux à situations socio-économiques opposées.

Toujours dans ce mode de fonctionnement par exclusion, on a toujours assisté à des subdivisions binaires à l’intérieur même du système. Après l’indépendance jusqu’en 1994, on a connu une subdivision Kiga-Nduga avec des enjeux politiques et économiques conséquents. Pendant la période monarchique, on ne peut pas ignorer les querelles Nyiginya-Ega qui ont été la cause du coup d’Etat de Rucuncu.

Que faire des consciences qui ont intégré l’idée de groupes ethniques ?

La question fondamentale est bien celle-là. A l’heure actuelle et après ce que tous les Rwandais ont vécu, est-il nécessaire de leur dire qu’ils sont les descendants d’ancêtres communs et qu’ils sont plus proches les uns les autres qu’il ne le leur a été enseigné ? Certaines politiques ont essayé de tenir ce discours de l’unité originaire des Rwandais mais sans vouloir/pouvoir l’expliciter ni l’accompagner par des actes concrets.

A mon avis, il n’est jamais trop tard pour bien faire et les Rwandais peuvent toujours être accompagnés vers une vraie réconciliation pour le futur du Rwanda et de tous ses enfants, sans exclusion. Cela n’exclut pas en revanche le recours à la justice pour punir ou gracier tous ceux qui ont des comptes à rendre.

Cette réconciliation qui s’appuie sur l’unité originaire des Rwandais n’est peut-être pas la seule possibilité. Aujourd’hui, il y a des Rwandais qui prônent d’assumer leur hutuité ou leur tutséité, et de s’appuyer sur cette base pour se réconcilier et vivre en harmonie. Cela ne paraîtrait pas dérangeant, car de toute façon, les faits sont bien là : ces appartenances ont fini par s’imposer. Cependant, quelles que soient les pistes proposées pour arriver à la paix durable au Rwanda, il me semble judicieux de ne pas rester prisonniers des erreurs de jugement du passé car les éléments dont on dispose montrent plutôt que les Rwandais ne sont pas si différents les uns des autres !

Faustin Kabanza

 


Références :

– Kagame, A. : Inganji Karinga, Kabgayi, 1959, (2e Ed.).
– Kagame A. : Les organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda, Gembloux, Ed. J. Duculot, 1954.
– Pagès, A. : Un royaume hamite au centre de l’Afrique, Bruxelles, Marcel Hayez, 1933.
– Vansina, J. : L’évolution du royaume rwanda des origines à 1900, Bruxelles, ARSOM, 1962.
– Delmas, L. : Généalogie de la noblesse du Rwanda, Kabgayi, Vicariat Apostolique du Ruanda, 1950

Sites internet :

http://audiovie.org/linguistique/
langues-africaines.htm
http://www.universalis.fr/encyclopedie/
nilotiques/1-origines-des-nilotiques/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ethnisme_
au_Rwanda///Article N° : 11664


Notes

[1] Supposé roi hutu du royaume de Nduga.
[2] Supposé roi tutsi de la dynastie nyiginya.
[3] Texte original en kinyarwanda : (…), ni iki cyatuma imiryango yabo ishyingirana n’abami bacu n’abo hakulya, atari uko n’abo bo hakurya atari abatutsi ? Niba kandi atari abatutsi, mbwira umuhinza wo mu Bushi no mu Buhunde waza gusaba umugeniku Mwami w’U Rwanda bakamumuha. Ni nde se wahihibikanywa no kujya gusaba umukobwa w’umuhinza utali imfura, nk’uko Gahindiro ka Mibambwe wa mbere yabigize ?
[4] peuple, en tant communauté vivant sur un même territoire, unie par des caractéristiques communes notamment la culture, les mœurs, la langue.


Source : http://africultures.com/

5 commentaires

COMMENTS

Shimamungu / 16 mars 2020 à 13 h 12 min

L’appellation de la langue que nous parlons sur le territoire rwandais s’est étendue en même temps que le royaume sindi-nyiginya. Nous savons que notamment dans les régions du Nord on parle le kigoyi, le kirera etc. Avant les conquêtes sindi-nyiginya cette langue portait des noms différents relatifs à chaque région. Actuellement au Bwishya on parle le kinyabwishya par exemple, si cette région avait été conquise par les Monarques rwandais aujourd’hui les Banyabwishya parleraient le kinyarwanda.

Nalwango / 16 mars 2020 à 21 h 34 min

C’est intéressant

Maximin Segasayo / 18 mars 2020 à 6 h 28 min

Pour les différentes composantes d’une nation, avoir des origines géographiques différentes en soi n’est pas un handicap. Partir de cette grille d’analyse pour saisir les réalités du Rwanda contemporain, n’est pas une hérésie. L’Histoire nous apprend que bien de populations d’origines diverses ont pu se retrouver sur une même aire géographique et former des nations fortes et unies. Si tel n’est pas le cas pour le Rwanda, il faut chercher à saisir cette particularité et ne pas balayer les antagonismes apparents sous le tapis de l’impératif de réconciliation nationale. Et là, il y a un travail immense de recherche scientifique encore à faire.
Un bon bout de chemin est aussi en train d’être fait dans la compréhension du fait statistiquement prouvé de la présence des trois ethnies (ou des trois catégories socio-identitaires) dans tous les clans.
Là où, je mets en perspective votre argumentaire, c’est quand vous l’appuyez sur des prémisses socio-linguistiques. En fait, c’est quoi « le rwandais » que vous traduisez, à mon avis abusivement, par « le kinyarwanda ». Est-ce le kinyarwanda de la classification internationale des langues bantoues ou la langue parlée au Rwanda? Dans cette dernière hypothèse, de quel Rwanda parlez-vous? Du Rwanda de l’apogée de la dynastie Nyiginya sous Rwabugili ou du Rwanda contemporain que nous a laissé l’intermède colonial? Vos collègues linguistes ont fait remarquer, à juste titre, que sur le territoire actuel du Rwanda et bien au-delà, il y avait une aire linguistique bantoue avec des dialectes très proches mais différents (Voir, à ce propos, l’article de Laurent Nkusi : « Un problème de glossonymie. Les appellations du Kinyarwanda » publié dans le V.2 de la publications « Eudes Rwandaises »). Pourquoi est-ce que le kinyarwanda de la Cour s’est-il imposé comme le kinyarwanda conventionnel? Dans la même veine, vous vous enfermez dans un syllogisme voulant que si dynastie Nyiginya était le fait d’un groupe venu d’ailleurs, il y aurait nécessairement, dans le kinyarwanda et tout particulièrement dans le Code Ésotérique, des traces « hamitiques »… Quid si, justement ce Code n’était pas un objet culturel « importé » mais l’apanage de cette aire culturelle interlacustre? Quid si, pour utiliser l’expression du Chanoine Louis de Lacger, les Banyiginya « n’ont trouvé rien de mieux que de se coucher dans le lit de leurs prédécesseurs »? Devons-nous accepter sans questionnement, à la suite de Kagame (le Monseigneur!) et des Grands Notables de la Cour (Abatware Bakuru b’Ibwami) que le dynastie Nyiginya s’est imposée uniquement par l’épée? Vous écrivez : « Or, dès lors que les nyiginya étaient socialement, militairement, politiquement et économiquement plus puissants que d’autres clans, quelle raison auraient-ils eue d’abandonner la langue originelle ? C’est impensable. Supposons même qu’ils aient accepté de perdre leur langue, comment imaginer que ce soit au point de n’en garder aucune trace, ne fût-ce que pour le rituel ésotérique ? ». Soit.
Quid si on abandonne cette prémisse de supériorité écrasante multiforme pour envisager que les Sindi-Nyiginya (Voir le commentaire précèdent de Shimamungu), étaient peut-être un groupe d’immigrants qui sont entrés sur un territoire déjà socio-politiquement organisé dans lequel ils se sont fondus pour y établir, par la suite, lentement et progressivement, leur domination? N’oublions pas que, comme nous le raconte Kagame dans les premiers chapitres de son Abrégé d’Ethno-Histoire, avant le Rwanda rwa Gasabo, il y a eu le Rwanda rwa Binaga et même (extra muros!), le Rwanda rwa Gashara. Tout comme après, il y aura le Rwanda rwa Kamonyi.
Notre génération est témoin du phénomène de la disparition des clans en tant que structures d’organisation sociale et politique. Ils sont en train de s’éteindre, non pas par décret mais parce que, essentiellement, ils ont progressivement perdu leur fonctionnalité. Les fonctions qu’ils assuraient naguère (sécurité des personnes et des biens; hospitalité…), sont actuellement assurées par d’autres canaux de l’État moderne. Peut-être que les ethnies, telles que nous les connaissons aujourd’hui, subiront, elles aussi, le même sort historique quand qu’elles cesseront d’être la référence pour accéder au pouvoir et à la richesse…

mbonabucya / 21 mars 2020 à 12 h 41 min

Bonjour.
C’est un débat intéressant.

Dans l’article qui fait l’objet de ces commentaires, il y a quelque chose qui a échappé à son auteur. Il argumente sur les divers clans et leurs nominations, dès qu’il arrive sur les hutu, tutsi ou twa, silence radio ! J’aurai aimé le lire sur ce point dans le champ linguistique, d’où viennent ces appellations ? De que quel verbe, expression émane ce concept ; pourquoi 3 (hutu, twa tutsi) pas 6 ou 15 ?
Un autre point de vue qui me parait être sous-estimé: accuser les uns et les autres du manque de distance scientifique. Oui en introduction, l’auteur indique bien, qu’il s’agit des intérêts divergents (asseoir les politiques coloniales, imposer une croyance religieuses, valider les thèses et analyses anthropologiques)… et c’est à mon avis là le nœud du problème. On oublie souvent de rajouter à tout cela l’état des connaissances et les dynamiques constructivistes de la société dans ces périodes.
Un petit rappel tout de même: pour qu’une chaire académique valide un doctorat en sciences sociales, l’auteur doit choisir une école de pensée, et montrer qu’il l’a comprise et qu’il se range derrière cette école, en apportant une nouvelle dimension de la compréhension de phénomène analysé, mais dans l’esprit de cette école de pensée. Ce qui plus tard avec l’évolution des débats scientifiques, fera polémique entre école de pensées ne partageant pas la vision et la compréhension, pourtant du même phénomène. Voir à ce sujet le phénomène de reproduction chez P. Bourdieu.
Du coup, je me dis que condamner ou accuser Mgr Kagame, comme ces anthropologues occidentaux, c’est ne pas tenir compte de l’élément que je viens de souligner. Mgr A. Kagame peut avoir été sous influence de l’école de pensée (religieuse), mais aussi souffrir de l’appartenance aux groupes sociaux auxquels il faisait partie malgré lui (groupe ethnique, groupe religieux, groupe intellectuel (anthropologues), etc). Il n’en demeure pas moins, qu’il a contribué à passer de la tradition orale à la tradition écrite pour une grande partie de l’Ubwiru.
Qu’il aurait pris partie pour tels groupes de ceux que je viens d’indiquer c’est normal. A écouter bien le feu qu’allume Kabarebe lorsqu’il s’adresse aux jeunes rwandais. Cet officier militaire n’est pas idiot, ni ne parait être moins informé. Loin de là. Il joue de la politique et sait très bien à quel jeu il joue. C’est comme les écrits de T. Ndahiro et consorts. Dans les prochaines 50 années, on se demandera comment un tel homme politique a pu faire de telles « anneries ». Et peut-être qu’en appelant aussi cela annerie, je prends position (que j’assume) peut être sans raison, mais par un esprit de ce que Cl. Vidal appelle « ressentiment ».
Je pense que M. Segasayo a raison d’indiquer à la fin de son commentaire que « Notre génération est témoin du phénomène de la disparition des clans en tant que structures d’organisation sociale et politique. Ils sont en train de s’éteindre, non pas par décret mais parce que, essentiellement, ils ont progressivement perdu leur fonctionnalité. Les fonctions qu’ils assuraient naguère (sécurité des personnes et des biens; hospitalité…), sont actuellement assurées par d’autres canaux de l’État moderne. Peut-être que les ethnies, telles que nous les connaissons aujourd’hui, subiront, elles aussi, le même sort historique quand qu’elles cesseront d’être la référence pour accéder au pouvoir et à la richesse… ».
C’est à mon avis, une observation très pertinente. Elle s’inscrit dans la lignée des théories du constructivisme social que je trouve puissante pour apporter des éléments de compréhension des phénomènes sociaux.
Cela conforte aussi la thèse qui est mienne (j’en conviens), que les groupes sociaux connaissent des dynamiques diverses. Ils naissent, grandissent et meurent à travers les temps. Mais ils ont des fonctionnalités qui peuvent être « progressivement perdues ».
Ce sont ces genres de thématiques qui peuvent contribuer réellement à la réconciliation des Rwandais. Et je demeure convaincue que le drame des rwandais est le manque de cadre pour ce genre de débats, et surtout un mécanisme pour faire fructifier les conclusions, pour en faire des instruments d’éducation des jeunes générations.
Pour plus de lecture au sujet de l’ethnicité, lire mon travail sur cette problématique
https://repositories.lib.utexas.edu/bitstream/handle/2152/5203/2508.pdf?sequence=1
A la fin j’essaye de conceptualiser une « théorie de l’action-raison ethnique » qui explique les dérives dans le conflit des Rwandais dans les années 1990-1998, Mémoire, Université de Genève, 1988.

Jean Baptiste Mbonabucya, Genève, Suisse

Maximin Segasayo / 5 avril 2020 à 19 h 45 min

Merci, Mbonabucya, d’avoir donné les références de votre travail sur l’ethnicité

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