Je ne sais pourquoi, ce matin même, je me suis réveillé en pensant à la célèbre citation du pasteur allemand Martin Niemoller sur la lâcheté des intellectuels allemands lors des nombreuses purges effectuées par les Nazis sur leurs ennemis, groupe après groupe : »Quand les Nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit ; je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit; je n’étais pas social-démocrate Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit ; je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.
Rapporté au contexte des Grands Lacs, la même réflexion donnerait quelque chose de ce genre: « Quand ils sont allés chercher les ougandais, je n’ai rien dit, je n’étais pas ougandais. Je n’avais d’ailleurs jamais posé le pied dans ce pays, ni dans sa capitale Kampala ou même dans ce fameux Triangle de Luwero.
Ensuite, ils sont allés chercher les gens de Byumba et de Ruhengeri, et je n’ai rien dit; après tout cela ne concernait que les gens du Nord, les Bakiga et je n’étais pas mukiga. Puis ils ont enlevé les gens du centre et du Sud et je n’ai pas du tout protesté ; il ne s’agissait après tout que des gens du Sud, les Banyenduga et je n’étais pas munyenduga.
Quand ils sont venus chercher les Tutsi, je n’ai pas protesté, je n’étais pas du tout tutsi. Puis vint le tour des Hutus et des Twa, je n’ai pas levé le plus petit doigt; je ne suis ni hutu ni twa ! Quand ils ont mitraillé les évêques, les prêtres, les frères et sœurs, je n’ai pas du tout protesté ; je n’avais rien avoir avec le Clergé.
Puis ils sont allés à Kibeho où ils ont tiré dans la masse des réfugiés, là encore je n’ai rien dit. Qu’aurai-je pu faire? Même La Sainte Vierge Marie, Protectrice des lieux, n’a rien pu faire ! Pas plus que les Casques bleus australiens et zambiens qui, pétrifiés, assistaient au carnage sans intervenir !
Ensuite ils sont allés au Zaïre, redevenu depuis lors RD Congo. Partis de Bukavu, ils visitèrent Goma, Mugunga, Katale, Rutschuru, Shabunda,Tingi-Tingi et allèrent même jusqu’à Mbandaka. Là, ils s’en donnèrent à cœur-joie et tirèrent dans la masse des réfugiés et les gens se dispersèrent dans la grande forêt équatoriale, au milieu des serpents venimeux et de féroces bêtes sauvages. Là non plus, je n’ai rien dit, qu’aurai-je pu faire ? Même l’ONU et la soit-disant Communauté Internationale n’ont pas fait le moindre geste. Ne s’agissait-t-il pas encore une fois de guerres tribales entre ces sauvages ?
Ils ont ainsi continué jusqu’au Malawi, Zambie, Mozambique, Zimbabwe et Afrique du Sud. Qui pouvait les en empêcher ???
Ensuite, ils sont venus chercher ce jeune chanteur de Gospel, au demeurant très populaire, du nom de …Kizito Mihigo ! Là encore, transi de peur, je n’ai rien fait.
Enfin, ils sont venus me chercher… Pris de panique, je regardais à droite et à gauche, à la recherche d’un éventuel secours, mais il ne restait plus personne à qui m’adresser ! Alors, je regardais au ciel pour implorer le secours du Très Haut, lorsque j’entendis une voix qui disait:
« Mon fils, as-tu jamais entendu prononcer la phrase suivante : « Car on vous jugera du jugement dont vous jugez et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez ? »
Je compris alors que personne ne bougerait le plus petit doigt pour moi, pas même le bon Dieu ! L’heure était venue d’affronter à mon tour mon triste destin.
Martin Ukobizaba