Le 01 octobre 1990, le Rwanda fut envahi par des troupes ougandaises parmi lesquelles d’anciens réfugiés rwandais sous la houlette du Général Major Fred Gisa Rwigema, qui sera tué au deuxième jour des combats dans des circonstances non encore totalement élucidées.
Dès le départ, le gouvernement rwandais de l’époque qui feint d’être surpris alors que les préparatifs de cette attaque avaient été annoncés par certains journaux et connus des services des renseignements, annonce l’attaque des troupes ougandaises au bout des lèvres, mais ne parvint pas à imposer aux yeux du monde, le caractère étranger de cette invasion. Peu à peu s’imposa l’idée que cette attaque était menée par des Rwandais résolus à rentrer dans leur mère-patrie, les armes à la main.
Qu’en était-il en réalité ? Les éléments qui ont attaqué le Rwanda étaient un détachement de l’armée ougandaise, bien que constitué en majorité par des Ougandais d’origine rwandaise, anciens réfugiés, avant d’acquérir la nationalité ougandaise. Sur le plan du droit international, si le Rwanda n’avait pas été faible, il aurait pu se retourner vers l’OUA (actuellement Union Africaine) ou vers les Nations-Unies pour porter plainte formellement contre l’Ouganda, mais le régime était affaibli par des querelles internes et par des demandes de plus en plus pressantes de l’ouverture au multipartisme, par une opposition interne en gestation.
Le Rwanda rentra donc dans cette guerre imposée par l’Ouganda et présentée comme rwando-rwandaise.
Comment avions-nous vécu cela à l’époque ?
Dès l’attaque du 1er octobre, la société rwandaise éclata en deux camps antagonistes d’abord de façon plus ou moins dissimulée, puis de plus en plus ouvertement. Alors que les Hutus furent pris de panique, les Tutsis jubilent même si c’est d’abord pudiquement. Pour les Hutus, ce sont des descendants d’anciens chefs féodaux Tutsis et de la population acquise à leur cause qui les avait suivis en exil, qui reviennent pour anéantir les acquis de la Révolution de 1959 et rétablir tous les abus de la monarchie d’antan. Pour les Tutsis, par contre, c’est l’heure de la revanche sur cette République rwandaise, toujours perçue comme Hutue et la possibilité pour des milliers de réfugiés Tutsis de rentrer dans leur pays natal.
L’emprisonnement des soutiens ou sympathisants réels ou supposés de ces réfugies regroupés au sein d’un mouvement appelé FPR, appelés Ibyitso, ne fera qu’accroitre la bipolarisation de la société rwandaise. Se greffe à la guerre un autre facteur : l’avènement du multipartisme. Le 10 juin 1991, un amendement constitutionnel légalise le multipartisme et les partis qui avaient déjà commencé à s’organiser, sont enregistrés et commencèrent officiellement leurs activités politiques.
Pendant ce temps, sur le front militaire, les combats font rage dans les régions septentrionales du pays, avec leur lot de déplacés de guerre et d’exactions de toutes sortes. Les années qui suivront seront marquées par les négociations des Accords dites d’Arusha en vue de mettre un terme à la guerre et de mettre en place un gouvernement de transition à base élargie au FPR.
C’était sans compter sur la volonté de ce dernier d’accaparer tout le pouvoir, chose qui sera facilitée par l’assassinat des présidents rwandais et burundais le soir du 06 avril 1994 lors d’un attentat terroriste contre l’avion qui les ramenait avec leurs proches collaborateurs, de Dar-Es-Salam à Kigali. Bien qu’aucun tribunal compétent n’ait encore désigné l’auteur de cet attentant, de fortes suspicions pèsent sur le FPR.
Cet attentat fut le point de départ d’un génocide qui emportera près de 800.000 Tutsis et Hutus modérés selon les Nations-Unies, dans ce qui est connu actuellement comme Génocide des Tutsis. La brutalité et la vitesse de ce génocide contre les Tutsis a fermé les yeux de certains décideurs, au point de faire oublier les massacres commis par le FPR sur des populations hutues, avant, pendant et après le génocide des Tutsis, jusque dans des forêts congolaises où des actes qualifiés de génocide par le Mapping Report du Haut-Commissariat des Nations Unies Pour les Droits de l’Homme et sorti le 01 octobre 2010, ont été commis dans un silence total de la communauté internationale.
Que pouvons-nous alors retenir comme bilan depuis cette date du 1er octobre 1990 à aujourd’hui?
Si nous pouvons admettre l’idée que le droit au retour des réfugiés est compréhensible et que nous pouvons encore tolérer l’idée d’une prise des armes pour forcer le pouvoir aux négociations et aux concessions, nous pouvons regretter que l’issue de cette guerre n’ait pas été la mise en place des Accords d’Arusha qui auraient permis à tous les Rwandais de cohabiter pacifiquement et démocratiquement, mais qu’une des parties au conflit ait privilégié la conquête totale du pouvoir, quitte à sacrifier des milliers de Rwandais, y compris ses partisans. In fine, les seules personnes qui ont bénéficié de cette guerre, ce sont ceux qui vivaient en exil. D’ailleurs, ne se sont-ils pas battus pour eux d’abord ?
Même si certains compatriotes continuent de se leurrer que « leur ethnie » possède le pouvoir et a pris la revanche sur les révolutionnaires de 1959, la triste réalité est que nous sommes tous des perdants et que nous devons penser des nouveaux modes de vie pour des futures générations, si nous voulons leur éviter un « remake ».