Autopsie d’un monde unidimensionnel et parallélisme entre la guerre de conquête du Rwanda par les éléments tutsi de l’Armée régulière de l’Ouganda (1990-1994) et l’intervention militaire de la Russie en Ukraine de février 2022.
L’actualité de ce début de l’année 2022 est dominée et même saturée par l’opération militaire que mène l’armée russe en Ukraine. Mais pour ceux qui ont vécu la guerre de conquête du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée de l’Ouganda de 1990 à 1994, ils peuvent être frappés par la similitude dans la gestion diplomatique, et dans leur interprétation selon le droit international et surtout dans le traitement de l’information concernant ces deux conflits. C’est ce parallélisme que nous tenterons d’établir.
Contexte géopolitique de l’actuel conflit
Ce conflit se situe dans la lignée de la guerre froide de l’après-Seconde Guerre mondiale qui se traduisait par l’existence de deux alliances militaires qui se regardaient en chiens de faïence.
Les alliances militaires OTAN et Pacte de Varsovie
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (en anglais: North Atlantic Treaty Organization) est l’organisation politico-militaire mise en place par les pays signataires du Traité de l’Atlantique Nord afin de pouvoir remplir leurs obligations de sécurité et de défense collectives. Elle est le plus souvent désignée par son acronyme OTAN (en anglais: NATO). Le texte de ce traité fut signé le 4 avril 1949.
L’Alliance voit le jour dans le contexte général des débuts de la guerre froide et plus spécifiquement pendant le blocus de Berlin exercé par les Soviétiques. Elle a pour vocation initiale d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale en instaurant un couplage fort avec les Etats Unis, seul moyen aux yeux des Européens après la Seconde Guerre mondiale, de se prémunir contre toute tentative expansionniste de l’URSS.
Entre 1955 et 1991, l’adversaire désigné de l’OTAN est le Pacte de Varsovie formé par les Soviétiques à la suite de l’adhésion de la République Fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Alliance atlantique et à son réarmement.
Depuis la dissolution de l’URSS et la fin de la guerre froide en 1991, l’ OTAN a perduré malgré la disparition de sa principale raison d’être initiale. Elle a même procédé à son élargissement à d’anciens pays du bloc de l’Est et d’anciennes républiques de l’Union soviétique.
Le pacte de Varsovie est une ancienne alliance militaire groupant les pays d’Europe de l’Est avec l’URSS dans un vaste ensemble économique, politique et militaire. Il est conclu le 14 mai 1955 entre la plupart des pays communistes du bloc soviétique par un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Nikita Kroutchev, qui en fut l’artisan, l’avait conçu dans le cadre de la guerre froide comme un contrepoids à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui avait vu le jour en avril 1949, donc 6 ans avant.
L’alliance issue du pacte de Varsovie a été dissoute en juillet 1991.
Effondrement de l’URSS
Avec la chute du Mur de Berlin en 1989, l’URSS allait s’effondrer et les républiques qui la composaient sont redevenues des Etats indépendants à part entière à la grande satisfaction du camp occidental dominé par les Etats-Unis d’Amérique qui venaient ainsi de gagner la “guerre froide” sans avoir tiré un seul coup de feu. La Russie affaiblie et humiliée se replia sur elle-même et accepta son statut de pays du Tiers Monde exécutant à la lettre la volonté politique et gobant sans se poser de questions la vision du monde selon Washington. Mais cette soumission allait commencer à être mise en cause par certains russes après l’accession au pouvoir d’un certain Vladimir Poutin en 2000.
Sous Vladimir Poutin, la Russie commencera petit à petit à s’émanciper de l’ordre mondial imposé par l’Occident malgré qu’elle s’y était jetée yeux fermés avec la mondialisation. C’est cette prise de conscience de sa puissance (la Russie même affaiblie reste quand-même la 2è puissance nucléaire du monde) doublée de l’arrogance et de la mainmise de l’Occident (USA) sur le monde par le truchement du piège de la mondialisation qui a conduit à la crise actuelle.
Situation de l’Ukraine par rapport à la Russie
L’Ukraine était une des républiques soviétiques qui constituaient l’URSS. Elle est donc devenue un Etat autonome après l’effondrement de l’URSS. Mais l’Ukraine, contrairement à d’autres ex-républiques soviétiques, est accolée à la Russie dans sa partie Est. En plus, elle est habitée par une grande communauté de russophones qui se sentent d’abord comme Russes et pas comme Ukrainiens, une nation qui n’existe pas car créée de toutes pièces. En plus, certaines régions de la Russie (comme la Crimée) avaient été accolées administrativement à l’Ukraine du temps de l’URSS pour des facilités administratives.
Mais le régime de l’Ukraine, qui a pris le pouvoir après l’effondrement de l’URSS pour faire plaisir aux nouveaux maîtres du monde (l’Occident-USA), a annexé ces régions et a relégué les russophones en citoyens de seconde zone et les a persécutés au point que certains analystes osent parler de “génocide” contre les russophones d’Ukraine.
Inquiétudes de la Russie
Et comme si cette persécution des russophones d’Ukraine ne suffisait pas, un comédien et clown devenu président de ce pays, s’est empressé de demander que son pays soit admis dans l’Union Européenne mais surtout à l’OTAN.
Cette dernière demande, et qui allait être exhaussée (membre de l’OTAN) signifierait que des missiles nucléaires américains seraient installés en Ukraine donc à la frontière de la Russie vers laquelle ils seraient pointés. Quand on se souvient qu’en 1961, quand l’URSS a voulu installer des missiles nucléaires à Cuba, pourtant situé à des centaines de kilomètres du premier Etat le plus proche, la Floride, les mêmes Etats-Unis avaient déclaré cet acte un “casus belli” et que tout le monde l’a compris et les sites furent retirés ; l’on comprendra l’émotion de la Russie qui voit les mêmes Etats-Unis venir installer des ogives nucléaires devant sa porte. C’est pour tout russe une menace existentielle et que la ligne rouge venait d’être franchie.
Le conflit en Ukraine une belle illustration des conséquences de la Mondialisation économique et médiatique depuis février 2022
Pour illustrer la situation à la lumière de la mondialisation qui régente le monde depuis trois décennies, nous allons être bref au risque de paraître caricatural, car un long développement nécessiterait des livres entiers.
Sur le plan médiatique
Les médias occidentaux ne disent rien sur les motifs de la guerre telles qu’avancés par les deux parties. Et il semble que la version de la Russie est systématiquement censurée et que même les médias qui pouvaient la relayer sont interdits en Occident : chaîne de télévision RT (Russia Today).
En ce qui concerne le bilan des pertes, tout en affirmant que l’armée russe est supérieure en effectifs et en matériels, les médias occidentaux annoncent seulement des pertes russes en minimisant celles de l’armée ukrainienne.
Le gouvernement de l’Ukraine distribue des armes à la population civile et son armée initie des citoyens ordinaires à la manipulation des engins normalement utilisés par les terroristes comme des cocktails Molotov. La presse occidentale s’extasie en criant au “héroïsme et au patriotisme” des Ukrainiens.
Cette campagne est qualifiée de “mesures d’auto-défense de la population” et est très médiatisée comme une campagne à soutenir.
Bien plus, quand ces combattants meurent au combat les armes à la main, pour les mêmes médias occidentaux, ils redeviennent des “civils, femmes et enfants…” exécutés par l’armée russe!
Des étrangers non ukrainiens (français, suédois, et autres européens…) s’engagent en Ukraine soi-disant comme des combattants des “Brigades internationales” venus pour défendre l’Ukraine. La presse occidentale les présente comme des “héros et combattants de la liberté” alors que légalement ils ne sont que des mercenaires à dénoncer comme ils le font pour le groupe russe Wagner.
Sur le plan économique
Le monde économique, sous la domination des USA par la mondialisation, a infligé de lourdes sanctions à la Russie mais leur justification n’est pas évidente pour qui suit la situation. Mais concernant le système bancaire, étant donné que tous les moyens de paiement ont été centralisés aux mains de la super-puissance par le biais de la mondialisation dans laquelle les pays se sont jetés les yeux fermés après 1989, cette super-puissance brandit et se sert de cette arme à volonté.
Sur le plan diplomatique
Tous les leviers diplomatiques ont été activés pour condamner la Russie. Comme au conseil de Sécurité de l’ONU, aucune résolution condamnant la Russie ne peut passer parce que la Russie dispose du droit de véto, les puissances occidentales eurent recours à l’Assemblée générale de l’ONU (plus de 180 états) pour voter en condamnant la Russie. Même si les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas contraignantes, les puissances occidentales entendaient montrer à l’opinion mondiale que la Russie était isolée et était devenue paria au monde. Alors que certains Etats (des républiques bananières d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine) ont voté la résolution à leur corps défendant, n’osant même pas s’abstenir.
Le spectre de la guerre de conquête du Rwanda de 1990-1994
Pour qui a vécu la situation du Rwanda depuis 1990, la similitude avec ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie est saisissante et même troublante.
Sur le plan médiatique
Le 01 octobre 1990 quand les éléments tutsi de l’armée régulière de l’Ouganda sous le commandement du vice-ministre de la Défense de ce pays, le général Fred Rwigyema, ont envahi le Rwanda, la presse mondiale, relayant les thèses des puissances incitatrices de cette agression, rivalisait de thèses pour justifier cette agression. La parole d’Evangile à proclamer était que c’étaient des réfugiés qui rentraient dans leur pays d’origine. Même au HCR a été intimé l’ordre d’admettre qu’un membre d’un gouvernement d’un pays ou officier dans son armée jouissait encore du statut de “réfugié” par rapport au pays dont étaient originaires ses parents. Bien plus, le même HCR a admis que dans le cas du Rwanda, un élément tutsi de l’armée de l’Ouganda restait “un réfugié” et qu’il pouvait rentrer dans le pays d’origine de ses parents ou arrière grands-parents, par les armes tout en restant sous la protection du même HCR selon la Convention de 1951!
Lorsqu’en 1992-93 le commandement des FAR, vu les infiltrations du FPR à travers les zones non tenues par les unités militaires, a suggéré de distribuer des armes à quelques habitants pour lancer des alertes en cas d’infiltration ennemie, la presse mondiale et plus tard les accusateurs devant le TPIR, ont présenté ce fait comme une preuve de “planification et de mise en exécution du plan de génocide”! Les mêmes mesures aujourd’hui appliquées en Ukraine sont qualifiées par la même presse et la même justice comme “justes et héroïques” alors qu’au Rwanda, les mêmes mesures d’auto-défense civile furent et sont toujours qualifiées de “génocidaires”.
Sur le plan diplomatique
Dès le premier jour de la guerre en Ukraine, ces mêmes puissances saisissent presque journellement les instances internationales pour que la Russie soit condamnée. Certaines initiatives réussissent (Assemblée Générale de l’ONU) d’autres échouent (Conseil de Sécurité). Par contre, au Rwanda agressé en octobre 1990, des pressions énormes furent exercées par ces mêmes puissances sur le gouvernement légitime du Rwanda pour le dissuader de porter plainte contre l’envahisseur, à savoir l’Ouganda, dont les éléments tutsi de son armée envahissaient le pays souverain et voisin, qu’était le Rwanda. Ces pressions allaient s’intensifier jusqu’aux accords léonins d’Arusha qui accordaient aux envahisseurs presque la totalité du pouvoir politique et militaire du pays.
Actuellement, toutes les puissances occidentales rivalisent d’efforts pour fournir à l’Ukraine des armes et autres matériels militaires. Quand on se rappelle que dès le premier jour de l’invasion du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée régulière de l’Ouganda le 01 octobre 1990, ces mêmes puissances se sont, non seulement empressées de faire imposer un embargo sur les armes au Rwanda agressé, mais même pour refuser de livrer le matériel déjà commandé et payé, on ne peut que s’étonner de la duplicité de ces puissances.
Conclusion
Ce conflit en Ukraine marque, à ne pas douter, la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère qui met fin à l’ordre établi en 1989.
Cette nouvelle ère réserve à l’Afrique en général, et au Rwanda en particulier, des lendemains incertains pour ceux qui furent et sont encore le fruit de cet ordre ancien qui prend fin, dont le FPR de Kagame du Rwanda.
L’ère qui commence sera principalement marquée par la mise en cause de la mondialisation instaurée après la fin de la guerre froide. Les puissances qui s’y sont jetées les yeux fermés commencent à constater ses effets notamment qu’elles sont à la merci de la super-puissance qui peut les asphyxier économiquement et financièrement sans autre effort mais simplement en signant un décret infligeant ses sanctions, assise au Bureau ovale.
Emmanuel Neretse
Source : hungryoftruth