Analyse critique de la lettre du ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Vincent Biruta, à Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union Africaine
Contexte
En ce début mars 2024, l’actualité en région des Grands Lacs d’Afrique est toujours dominée par la poursuite de la guerre de conquête que le dictateur du Rwanda Paul Kagame mène en RDC où son armée et ses supplétifs congolais du M23 occupent de vastes zones de la province du Nord Kivu.
Dans ses efforts pour trouver des alliés qui l’épauleraient pour faire face à cette agression et au mieux bouter l’envahisseur hors de son territoire, le gouvernement de la RDC a fait appel à la SADC dont la RDC est membre et cette organisations a commencé à déployer une force militaire dans le Nord Kivu. Un accord bilatéral a aussi été conclu avec le Burundi voisin qui permet à ce dernier d’envoyer un contingent en RDC pour épauler les FARDC.
C’est dans ce cadre que le 02 mars 2024, s’est tenu à Goma, chef-lieu de la province du Nord Kivu, une réunion regroupant les Chefs d’Etat Major des Armées des pays ayant fourni des troupes dans la Force de la SADC que sont l’Afrique du Sud , la Tanzanie et le Malawi , avec ceux des FARDC et des forces de Défense du Burundi.
Même si, comme il se doit, dans de telles circonstances, le détail de leur entretien n’a pas été rendu public , il est évident qu’ils ont défini des détails d’exécution et des mesures de coordination pour mener à bien la mission que leur ont donnée les chefs d’Etat à savoir: aider les FRDC à reconquérir les zones occupées par le M23/ RDF de Kagame et réinstaller les millions de déplacés entassés autour de Goma dans leurs biens d’où ils ont été chassés par l’envahisseur.
Le lendemain soit le 03 mars, le régime rwandais, sous la plume du ministre des Affaires étrangères Vincent Biruta a publié une lettre incendiaire et de protestation adressée au président de la Commission de l’Union Africaine le tchadien Moussa Faki Mahamat sous prétexte que le Conseil de Paix et Sécurité de l’UA allait se réunir le 04 mars pour parler de la sécurité à l’Est de la RDC , alors que le Rwanda n’a pas été convié ni donné son aval!
Paul Kagame sort son arme ultime et argument imparable : la génocide contre les Tutsi.
Le génocide contre les Tutsi est un argument ultime (regis ultima ratio) que Paul Kagame sort chaque fois qu’il est en difficulté et qui, par magie non seulement le sauve et le sort de l’impasse mais surtout lui assure l’immunité et l’impunité pour tout ce qu’il commet comme crimes. Et ceci lui réussit depuis 1990 quand à la tête des éléments tutsi de l’armé de l’Ouganda, il a envahi le pacifique Rwanda et au passage a massacré toute la population (Hutu comme Tutsi) sur son passage et pour au final crier qu’il était en train “d’ arrêter un génocide contre les Tutsi”.
Même le fait qu’il a commis un attentat terroriste qui a déclenche un génocide le 06 avril 1994 en abattant un avion civil dans lequel se trouvaient deux chefs d’Etats africains en exercice et leurs suites ainsi qu’à trois coopérants français en mission commandée, il a suffi qu’il brandisse le “génocide contre les Tutsi” pour que l’ONU interdise toute enquête sur cet attentat et que les procureurs du Tribunal pénal créé pour poursuivre et juger les cas des crimes commis au Rwanda du 01 janvier au 31 décembre 1994, s’ils ne sont pas limogés, en arrivent à affirmer que la date du 06 avril 1994 ne se trouve pas dans le calendrier de l’année 1994. Donc, que l’attentat du 06 avril n’est pas de leur compétence temporaire!
Même les puissances comme la France, qui ont pourtant perdu leurs citoyens assassinés par Paul Kagame au Rwanda, en arrivent à se mettre à genoux devant lui quand il brandit le “ génocide contre les Tutsi” en ajoutant qu’il va en accuser la France. Ainsi, non seulement les familles des membres de l’équipage du Falcon 50 abattu par Kagame le 06 avril 1994 ne doivent plus réclamer justice mais aussi tout membre du gouvernement de France, à commencer par le président, doit reconnaître que la France a commis des erreurs au Rwanda durant la guerre de conquête de Paul Kagame et donc se prosterner devant lui.
Prétexte avec arguments qui ne résistent pas à la moindre critique
Signe que les temps sont durs pour le général Kagame et que donc il était temps qu’il jette dans la bataille son “regis ultima ratio” que constitue “arrêter le génocide des Tutsi” par cette lettre signée Vincent Biruta. Mais comme nous allons le montrer elle est non seulement vide de sens mais surtout elle ne résiste devant aucune moindre critique. Florilèges.
**Le régime Kagame prétend que la sécurité du Rwanda serait menacée par l’intervention de la force de la SADC en RDC. La force de la SADC est venue en RD-Congo pour l’aider à rétablir la paix et la sécurité dans les zones où cette sécurité est troublée par les forces aux ordres de Kagame. Comment alors l’ordre, la paix et la sécurité établis en RDC signifierait le manque de sécurité au Rwanda? C’est comme pour dire que le Rwanda vit de l’insécurité en RDC. Il est donc pour lui légitime d’aller semer cette insécurité si jamais elle était combattue et bannie dans ce pays.
**Comme toujours, le régime dictatorial fait l’amalgame entre les FARDC, l’armée nationale d’un pays souverain ; les Wazalendo, qui sont des citoyens résolus à tout pour leur auto-défense contre le conquérant; le contingent du Burundi, une force déployée en vertu de l’accord bilatéral entre deux Etats souverains et les FDLR, des enfants des réfugiés hutu rwandais nés dans les forêts de la RDC et qui luttent pour leur survie et pour échapper à la chasse à l’homme Hutu menée depuis 1996 par l’armée de Paul Kagame avec celle de la RDC à travers des opérations conjointes comme Kimia I, Kimia II, Umoja Wetu, Sokola I, Sokola II, Amani Leo, ..:, opérations qui étaient toujours en cours avant la nouvelle invasion du M23/RDF.
**Dans cette lettre signée Vincent Biruta, le régime Kagame prétend pouvoir déterminer les causes de la fuite des Tutsi congolais pour se réfugier au Rwanda. Il affirme qu’il en hébergerait plus de 100 milles dans des camps. Mais il ne dit pas depuis quand ces Tutsi congolais ont été obligés de se replier au Rwanda. Mais même le plus jeune de ces réfugiés Tutsi de RDC au Rwanda sait que c’est après 1998 quand l’armée de Kagame s’est emparée de l’Est de la RDC, que le même Kagame a ordonné aux Tutsi du Nord Kivu (Masisi notamment) et du Sud Kivu (Banyamulenge) de se replier dans son Rwanda pour qu’il forme les plus aptes comme combattants et le reste comme chantage envers l’ONU et autres organisations.
Et effectivement c’est parmi eux qu’il recrute les combattants qu’il met aux ordres des cadres (officiers et sous-officiers ) de son armée pour aller en RDC sous l’appellation M23. Il tient à ces réfugiés tellement qu’il fait taire toute voix pouvant s’élever réclamant leur retour en RDC. Ainsi il y a 3 ans, il en a abattu par balles une douzaine parmi ceux qui osaient dire que si on ne pouvait plus les nourrir dans le camp au lieu de mourir de faim, il faut leur permettre de rentrer en RDC. Et maintenant, il les oblige à sortir des mêmes camps pour manifester en criant que “en RDC il s’y commet un génocide contre les Tutsi”. Mais personne n’est dupe!
**L’autre énormité que le ministre Vincent Biruta a consignée dans sa lettre est d’affirmer que les FDLR commettent le génocide des Tutsi depuis 1994 jusqu’à ce jour…et qu’ils compteraient continuer! Sans s’attarder sur cette absurdité car comme on l’a vu, les résidus des FDLR sont soit des vieux croulants, soit des jeunes nés dans la jungle du Congo, il y a lieu de souligner que le “mythe FDLR” est plus utile au régime Kagame qu’à la RDC.
En effet, depuis 2003 Paul Kagame reçoit les réfugiés Hutu de RDC et parmi ceux-ci des supposés membres des FDLR. Ceux qui sont identifiés comme tels, surtout des anciens des FAR sont largement médiatisés et même sont nommés à des hauts grades ou aux postes politiques bidons et symboliques (généraux, ministres, …) ceci pour montrer au Monde que lui le tutsi Paul Kagame serait tolérant et donc qu’ il pouvait même nommer les hutu vaincus aux grades supérieurs comme des colonels ou généraux ; mais en réalité moins responsables et respectés qu’un caporal ou un planton tutsi.
Dans sa folie de conquête de la RDC, les FDLR lui servent éénormément sur le plan opérationnel beaucoup plus que sur le plan médiatique. En effet, les réfugiés rapatriés de la RDC, surtout ayant appartenu aux FDLR, sont vite pris en charge et retournés pour être renvoyés en RDC dont ils connaissent le terrain pour y être nés et y avoir vécu. Ils servent comme “guides et chaires à canon” aux militaires Tutsi du M23/RDF qui sont leurs chefs.
De même, le vocable et mythe “FDLR” sert éénormément à Paul Kagame tellement qu’il ne pourrait jamais s’en passer, En effet, il lui permet, au Rwanda même, de tuer et raser des collines rien qu’en disant que les FDLR étaient là. Ou alors de tuer ou de kidnapper n’importe quel réfugié hutu jugé gênant et se trouvant dans n’importe quel pays d’Afrique, rien qu’en l’accusant d’être un FDLR.
**La lettre signé Vincent Bitura prétend aussi donner les motifs supposés de la guerre en RDC. Le dictateur Kagame n’y va pas par quatre chemins. Il déclare en effet que cette guerre imposée à la RDC aurait pour cause le fait que les exigences des Tutsi congolais restent insatisfaites, depuis qu’il avait pris le pouvoir à Kinshasa en 1997 et quand son aide de camp James Kabarebe était devenu chef d’Etat Major général des Forces armées congolaises.
A l’époque, ces exigences des Tutsi se résumaient dans le domaine de défense et de sécurité à ce que les officiers Tutsi devraient occuper les plus hauts postes de commandement dans les FARDC. Ceci fut fait. Mais aussi que les éléments Tutsi à intégrer dans les FARDC, officiers comme hommes de troupes Tutsi, devraient uniquement être affectés au Nord et Sud Kivu et nulle part ailleurs. Le bon sens montre que dans un pays de plus de 450 ethnies, si chaque ethnie exigeait que seuls les militaires de cette ethnie seraient déployées chez eux, il n’y aurait plus d’armée nationale et même d’Etat tout court. C’est pourtant ce que Paul Kagame exige depuis 1998 à la RDC.
La lettre signée Vincent Biruta exprime aussi la protestation du régime de Kagame comme quoi la SADC ne devrait pas venir au secours de la RDC pourtant pays membre de cette organisation. On se demande de quel droit Paul Kagame peut dicter à un pays souverain quel allié ou ami il devrait demander de l’aide en cas d’agression comme c’est le cas pour la RDC agressée par le même Kagame.
**Enfin, la lettre révèle une mauvaise interprétation de la part du régime de Kagame des résolutions de Nairobi sur les groupes armées. Le processus de Nairobi (encore sur la table), prévoyait le dialogue entre le gouvernement de la RDC et tous les groupes armés actifs à l’Est de la RDC. Mais la condition sine qua non est que chaque groupe armé présent à la table des négociations accepte au préalable qu’elle était prête à déposer les armes. Mais le M23/RDF de Kagame ayant refusé et même lancé une offensive entretemps, il s’est automatiquement exclu de ce processus. Et voilà que Paul Kagame accuse la RDC d’avoir fait échouer ce processus de Nairobi et donc, selon lui, ce qui donnerait droit à son M23/RDF de poursuivre la guerre de conquête en RDC
Interrogations
Face à cette pitoyable et scandaleuse mais non moins meurtrière manœuvre du régime FPR de Paul Kagame, nous, comme simple citoyens et observateurs, nous nous posons des questions sans nous faire d’illusion quant à recevoir des réponses :
**Pourquoi la communauté internationale est toujours tétanisée quand Kagame sort son prétexte de “génocide contre les Tutsi” ?
**Pourquoi il le sort maintenant dans la phase de sa guerre de conquête de l’Est de la RDC ?
**Le gouvernement légitime de la RDC pourra-t-il y répondre pour chaque fois démolir les arguments de Kagame?
**Les cadres politiques de la RDC seront-ils aussi actifs, entreprenants, volubiles … quand il s’agit d’obtenir des postes de pouvoir, maintenant qu’il s’agit de la souveraineté et de l’unité du Congo qui est en jeu et de la survie de sa population subissant un génocide importé?
**Quelle doit être l’attitude du peuple congolais longtemps meurtri dans sa chaire et maintenant accusé de “génocide” par le vrai génocidaire?
Emmanuel Neretse