Rwanda. Retour sur l’élection présidentielle du 15 juillet 2024. La honte pour la démocratie.
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Les élections au Rwanda sont toujours marquées par une domination du Front Patriotique Rwandais (FPR) et de Paul Kagame, qui est au pouvoir depuis bientôt 30 ans. Dans les lignes qui suivent nous allons décrypter le processus électoral du 15 juillet 2024 qui a emmené Kagame et le FPR au 4ème mandat.

 

Une commission électorale inféodée au FPR, parti de Paul Kagame

 

Normalement dans un pays démocratique, la commission électorale est censée être un organisme indépendant chargé de superviser les élections pour garantir qu’elles soient libres, justes et transparentes. Pour qu’une commission électorale soit considérée comme indépendante, ses membres ne doivent pas avoir d’affiliations politiques qui pourraient influencer leurs décisions. Ils doivent pouvoir exercer leurs fonctions sans ingérence externe.

 

Au Rwanda, la Commission Électorale n’est pas indépendante : lorsque des membres de la commission électorale ont des liens étroits avec des partis politiques, cela compromet d’office la perception de l’impartialité et de l’équité des élections. Notre affirmation n’est pas le fruit du hasard car il est bien connu que Madame Oda Gasinzirwa, sa présidente, est membre de premier plan du FPR.

 

En tant que membre éminent du FPR, Oda Gasinzirwa a sans nul doute des intérêts alignés avec ceux du parti. Cela pose des problèmes d’objectivité et de conflits d’intérêts dans la supervision des élections où le FPR est un participant clé et les décisions prises sont perçues d’office comme favorisant le parti en question.

 

 

 

Exclusion de Victoire Ingabire, opposant politique de poigne

 

 

 

Les véritables opposants au régime, dont Victoire Ingabire, ont été interdits de participer aux élections. Avant que les élections ne se tiennent, ils avaient demandé au gouvernement de lever les restrictions qui les empêchaient de participer mais leurs requêtes furent rejetées par les tribunaux du régime. Victoire Ingabire est une des figures emblématiques de l’opposition interne au Rwanda. Son interdiction de participer aux élections peut être interprétée comme une mesure de répression pour éviter toute menace sérieuse à la domination du régime. En excluant cette figure populaire et critique, le gouvernement minimise le risque d’une opposition organisée et cohérente qui pourrait mobiliser un soutien populaire.

 

Les soi-disant opposants qui restaient à la course ont été invités à soumettre leurs candidatures à la commission électorale. Tous ceux qui se sont présentés ont été accueillis, mais de manière différente. Kagame a soumis son dossier de candidature, Oda Gasinzirwa l’a reçu sans même l’ouvrir pour vérifier son contenu. Cependant, pour tous les autres candidats, avant d’accepter leurs dossiers, ils devaient d’abord montrer les documents requis qui étaient examinés à la loupe pour s’assurer qu’ils étaient complets. Certains ont dû retourner chercher des documents manquants ou ont vu leurs dossiers rejetés pour cette raison. Au final deux candidats de l’opposition ont été retenus, Frank Habineza et Philippe Mpayimana, les mêmes qu’en 2017 où le président sortant avait gagné avec une majorité stalinienne de 98,79% de voix.

 

Élections budgétivores, sans enjeux

 

Les élections de juillet 2024 au Rwanda représentent une dépense considérable, avec un budget estimé à 8 millions d’euros. Cette somme impressionnante suscite des questions sur son origine et son impact sur la population. Une grande partie de ce budget provient de cotisations forcées, imposées à la population rwandaise.

 

Les citoyens, souvent déjà confrontés à des conditions de vie difficiles, se voient contraints de contribuer financièrement à ces élections. Ces contributions sont obtenues sous la pression, dans un climat d’intimidation où le refus de payer peut entraîner des conséquences graves. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la majorité de Rwandais vivent dans une grande précarité économique, rendant ces cotisations encore plus lourdes à supporter.

 

 

 

En plus de la pression financière, le climat d’intimidation autour de ces cotisations renforce le contrôle du régime sur la population. Les citoyens, craignant des représailles, se sentent obligés de se conformer aux demandes, malgré leurs propres difficultés.

 

Ainsi, le coût élevé des élections rwandaises ne se limite pas à un simple chiffre budgétaire. Il reflète une réalité où une population vulnérable est exploitée et intimidée pour financer un processus électoral qui, en théorie, devrait être libre et démocratique.

 

Campagne électorale sans programme politique, menaces contre Victoire Ingabire

 

Traditionnellement, un programme électoral est un document contenant une série de promesses que les candidats présentent aux électeurs, détaillant leurs plans et leurs politiques sectorielles pour la durée de leur mandat. L’absence de programme électoral concret peut indiquer un manque de transparence et de vision stratégique de la part du candidat. Les discours de Kagame durant cette campagne électorale, au lieu de se concentrer sur des plans de développement ou des réformes politiques, ont été caractérisés par menaces directes contre Victoire Ingabire.

 

Victoire Ingabire, une figure de l’opposition rwandaise, est devenue une cible particulière du régime de Paul Kagame lors de la campagne électorale. Le 9 juillet 2024, à Mulindi dans la région de Gicumbi, devant une parterre de journaliste et d’influenceurs, il a traité Victoire Ingabire de « petite femme, qui nourrit des ambitions d’être un jour présidente du Rwanda et qui paradoxalement y croit ». Il a récidivé le 14 juillet 2024 en menaçant de mort Victoire Ingabire. Dans une salle de Convention Center, devant des journalistes rwandais et étrangers à Kigali, il a prédit un avenir sombre pour elle, déclarant en substance qu’ « elle finira mal ».

 

Les menaces de Paul Kagame contre Victoire Ingabire pendant la campagne électorale illustrent les méthodes employées par le régime pour étouffer l’opposition et maintenir son pouvoir. L’intimidation, les arrestations arbitraires et les campagnes de dénigrement sont autant de stratégies utilisées pour dissuader et neutraliser les critiques du gouvernement. La situation de Victoire Ingabire est un exemple poignant des défis auxquels sont confrontés les opposants politiques au Rwanda.

 

 

 

Rassemblement forcé et inhumain de la population pour assister à la campagne électorale

 

Pendant la campagne électorale, les autorité se base, sur instruction du Front Patriotique Rwandais (FPR), ont imposé des conditions extrêmement sévères à la population pour assister aux rassemblements politiques :

 

Levée tôt le matin : Les citoyens étaient contraints de se lever trop tôt  souvent vers 1h du matin. Ceci pour maximiser le nombre de participants aux événements politiques tout en minimisant le temps accordé pour se préparer ou se restaurer.

Longs trajets à pied : Après avoir été réveillés, les participants étaient obligés de marcher jusqu’à 20 à 30 kilomètres à pied pour atteindre le site de la campagne malgré les conditions météorologiques difficiles et le manque de moyens de transport adéquats.

 

Attente prolongée : Une fois arrivés sur le site, ils devaient souvent attendre jusqu’à 13h00, soit 12 heures d’affilée, pour voir l’arrivée de Paul Kagame. Cette attente prolongée, parfois sous un soleil ardent ou dans des conditions météorologiques défavorables, aggravait encore leur souffrance.

Parcage de la population : Les participants étaient souvent parqués dans des enclos ou des zones surchargées, créant des conditions de surpeuplement extrême. Cette gestion inefficace a conduit à des mouvements chaotiques et à une incapacité à se déplacer librement.

Cette situation désastreuse a provoqué d’innombrables conséquences néfastes parmi la population présente sur les sites de campagne.

 

Bousculades et écrasements : La densité élevée des foules a provoqué des bousculades violentes, des écrasements et des chutes. Ces incidents étaient exacerbés par un manque d’organisation et de contrôle de la foule.

Déshydratation et faim : Les longues heures de marche et d’attente sans provisions alimentaires adéquates entraînaient des niveaux élevés de déshydratation et de faim parmi les participants. Beaucoup n’avaient pas accès à de l’eau potable ou à de la nourriture pendant toute la durée de l’événement. Ces conditions ont provoqué des vertiges, des évanouissements et, dans certains cas, des crises médicales graves. L’épuisement physique, combiné à la déshydratation et à la malnutrition, a eu des effets néfastes sur la santé des individus.

 

Décès : Les conditions extrêmes ont malheureusement conduit à des décès. Les personnes les plus vulnérables, telles que les personnes âgées, les enfants et ceux déjà en mauvaise santé, étaient particulièrement susceptibles de souffrir de conséquences fatales.

Incidents à Rubavu : À Rubavu, au nord du Rwanda, les conditions de surpeuplement ont conduit à des bousculades fatales. La concentration excessive de personnes dans des espaces restreints a causé des décès parmi les participants. La gestion inadéquate de la foule a contribué à la gravité de la situation.

 

Accident à Huye : Dans le sud du pays, à Huye, un autre incident tragique a eu lieu, entraînant la mort de 10 personnes. Bien que les détails de l’accident restent flous, il est clair que les conditions dangereuses et une gestion déficiente ont joué un rôle dans cette tragédie.

 

Les incidents tragiques ont eu un impact profond sur les familles des victimes et la communauté locale. Les réactions gouvernementales ont souvent été minimales, avec une couverture médiatique limitée due au contrôle ou à l’influence du régime.

 

L’objectif du FPR, en imposant de telles conditions, était de démontrer un soutien massif et coordonné à Paul Kagame et au régime en place. En mobilisant la population de cette manière, le parti espérait créer une impression de popularité et de légitimité, tout en intimidant les opposants potentiels et en dissuadant toute forme de dissidence.

 

Annonce précipitée des résultats

 

Lors de l’annonce de la victoire de Kagame, les responsables électoraux ont déclaré que les élections avaient commencé à 7h00 du matin et s’étaient terminées entre 15h00 et 16h00 dans la plupart des bureaux de vote, avec certains endroits où le vote s’est prolongé jusqu’à 18h00 ou 19h00 en raison de l’affluence. Vers 20h00 ou 21h00, ils ont annoncé que Paul Kagame avait été réélu avec 99,15 % des voix, un pourcentage extrêmement élevé qui a suscité des interrogations. Peu de temps après cette annonce, Kagame a pris la parole pour remercier ses électeurs, exprimant sa gratitude pour leur soutien continu.

 

Tout le Rwanda comptait environ 2500 bureaux de vote répartis sur l’ensemble du territoire. Il semble donc improbable que tous ces bureaux aient pu transmettre leurs résultats de manière aussi rapide pour qu’ils soient rassemblés et comptés au siège central de la Commission électorale nationale. En effet, au Rwanda, les voix sont traditionnellement comptées à la main et inscrites sur des tableaux dans chaque bureau de vote. Compte tenu de ce processus manuel, il paraît difficile de comprendre comment, en seulement quelques heures après la fin des élections, tous les votes auraient déjà été centralisés et les résultats annoncés.

 

Les autorités ont déclaré avoir compté jusqu’à 90% des voix à ce moment-là, mais cette affirmation est également remise en question. Bien qu’ils aient affirmé avoir utilisé des technologies avancées pour accélérer le processus, cela semble peu plausible. En effet, dans de nombreux villages et secteurs ruraux du Rwanda, il n’y a pas d’accès fiable à l’électricité ni à Internet, ce qui rend l’utilisation de technologies sophistiquées pour le comptage des votes improbable. Ainsi, il est quasiment impossible de compter et de vérifier tous les votes en si peu de temps et de déclarer avec certitude que 99% des voix étaient en faveur de Kagame. Beaucoup y voient une manipulation des résultats, une critique qui reflète les préoccupations concernant la transparence et la crédibilité du processus électoral au Rwanda.

 

Ce qu’il convient de se demander ici, c’est pourquoi ils se sont précipités pour annoncer les chiffres alors que c’est leur propre élection et qu’ils auraient pu prendre leur temps. L’objectif était de décourager les gens, tout comme Kagame l’avait dit en 2010, affirmant qu’être élu avec plus de 90 % des voix était son droit.

 

Par ailleurs, l’annonce des résultats successifs a montré que les pourcentages publiés n’étaient pas proportionnels au nombre de votants.

 

Cette incohérence des chiffres de la Commission électorale ayant été relevée par certains médias rwandais notamment les youtubeurs de la diaspora, la page de ces résultats a été mis hors ligne sur le site de la commission.

 

Conclusion

 

Après une analyse approfondie, il est manifeste qu’au Rwanda, les récentes élections n’ont pas été un véritable exercice démocratique, mais plutôt une mascarade électorale orchestrée pour maintenir le régime en place. Depuis 30 ans, le Front Patriotique Rwandais (FPR) exerce un contrôle autoritaire, étouffant les libertés politiques et réprimant l’opposition. Cette situation a engendré un climat de désillusion parmi la population, qui en a assez de cette gouvernance répressive et de cette absence de véritable processus démocratique.

 

Il est impératif que les opposants au régime, qu’ils se trouvent à l’étranger ou au Rwanda, unissent leurs forces pour dénoncer publiquement les résultats frauduleux de ces élections. Leur voix collective est cruciale pour exposer les dérives du régime et mobiliser l’opinion internationale contre cette mascarade.

 

Nous appelons également les pays et les organisations internationales qui soutiennent le Rwanda à reconsidérer leur soutien en lumière de cette fraude électorale. Il est essentiel que ces pays ne reconnaissent pas les résultats de cette élection manipulée. Au contraire, ils doivent exercer des pressions diplomatiques pour exiger la mise en place d’un processus électoral véritablement transparent et équitable. Cela inclut l’organisation de nouvelles élections où tous les partis et candidats, y compris ceux en exil, puissent participer librement et équitablement. De plus, ces élections doivent être supervisées par des observateurs internationaux impartiaux, garantissant ainsi une vérification indépendante et rigoureuse des procédures électorales.

 

Un engagement fort de la communauté internationale est nécessaire pour soutenir la transition vers un système politique inclusif et démocratique au Rwanda. Seule une pression coordonnée et une demande claire pour la transparence électorale permettront de rompre avec le cycle de fraude et de répression, et de favoriser un véritable changement politique dans le pays. Le peuple rwandais mérite de pouvoir exercer ses droits démocratiques dans un environnement libre et juste, et il appartient à la communauté internationale de jouer un rôle clé dans la réalisation de cet objectif.

 

Vestine Mukanoheri

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