Les listes du FPR : un fléau
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Pour traquer ses opposants politiques ou ceux dont ils soupçonnent de n’être pas d’accord avec sa politique, le FPR a imaginé un raccourci des listes de « génocidaires ». C’est une arme politique redoutable. Elle fait beaucoup de dégâts dans les rangs des rwandais, ceux de l’intérieur comme ceux de l’extérieur du pays.

L’usage des listes à des fins criminelles date de novembre 1959. Cette année, des extrémistes du parti UNAR (Union Nationale Rwandaise, ancêtre du FPR) y ont eu recours pour désigner les Hutu à abattre. Ceux qui avaient commencé à manifester leur ras-le-bol avec le système féodal en vigueur furent listés et qualifiés d’« abaporosoma », membres du parti APROSOMA (Association pour la Promotion Sociale de la Masse) de Joseph Habyarimana Gitera (Temps Nouveaux, 1/11/1959). Il est vrai que bon nombre des ces avant-gardistes étaient des leaders de ce parti. Ils furent pourchassés et assassinés atrocement.

Le système des listes ayant fait ses preuves, il fut adopté par le FPR durant la préparation de la guerre. Ainsi, parallèlement aux attaques qu’il menait, il élaborait des listes des personnes à abattre. Déjà en mars 1993, en pleine négociation d’Arusha, il avait fourni une liste des autorités administratives et politiques à relever de leurs fonctions. La plupart ont été assassinées. Après la descente de l’avion du Président Habyarimana, tout au début du mois d’avril 1994, le FPR envoya à bon nombre de pays et de chancelleries ce qu’il appela la « CDR list », contenant selon lui les noms de ceux qui sont impliqués dans des massacres. La liste comprend même des personnes inexistantes ou qui ne vivaient pas au pays depuis de longues années.

Après sa prise de pouvoir en 1994, le FPR officialisa le système des listes. En 1995, un projet de loi révisant le code pénal pour y introduire le crime de génocide fut préparé par feu Alphonse Marie Nkubito, alors ministre de la justice. Parallèlement, un autre projet fut initié par les services du FPR. Il proposait la mise sur liste des suspects du génocide, leur catégorisation et le principe de plaidoyer de culpabilité. Pour donner une force à son projet et enterrer celui du ministère de la justice, le FPR organisa à Kigali un symposium international en décembre 1995 dont les recommandations allaient dans le sens de son projet de loi. Après l’éviction de Nkubito, sa remplaçante, Marthe Mukamurenzi, endossa le projet mais au moment d’aller le défendre au Parlement, elle fut remplacée par Charles Muligande, alors Ministre des Transports et Secrétaire Général du FPR.

Sitôt arrivé à Kigali, le FPR lanca une liste de 428 personnes. Elle fut revue et enrichie jusqu’à 1946 personnes et publiée au Journal Officiel la République Rwandaise comme «  Liste n°1 de la première catégorie prescrite par la loi organique n°8/96 du 30/08/1996 ».

La liste du 30/08/1996, comme par ailleurs toutes les précédentes, condamne avant même de juger et pêche contre le principe de la présomption d’innocence. Elle fait des ravages en particulier dans l’intelligentsia hutu. Pourtant, les critiques qui lui sont faites lui ôtent pratiquement toute sa valeur.

En effet, on y retrouve par exemple des personnes mortes avant 1990 et d’autres mortes avant 1994. Parmi celles-ci se retrouvent même des victimes du FPR d’avril 1994 dont notamment Théoneste Mujyanama assassiné à Kigali, ancien ministre de la justice; Sylvestre Baliyanga, ancien Préfet de Kibuye et de Ruhengeri, assassiné par le FPR avec sa famille chez lui à Remera, à Kigali; Jean Hategekimana, ancien Président du Tribunal de Première Instance de Kigali et sa famille assassinés par le FPR à Kigali.

La liste contient aussi par des fautes de forme inexcusables dans une matière aussi grave. A certains endroits, la numérotation manque ou les numéros sont repris deux fois. L’identification des personnes est incomplète vu qu’elle ne fait mention, dans la plupart des cas, que des noms et prénoms sans autres coordonnées. Certaines personnes sont même identifiées uniquement par leurs prénoms. A certains numéros, on retrouve les mêmes personnes mais identifiées avec des données différentes. Le professeur Jean Gakwaya (Rwanda : Points de vue, n° 17, novembre-décembre 1996, p.38) souligne que « ce manque d’uniformité, cette diversité des données d’identification et cette omission des données de base pour l’identification des personnes témoignent de la précipitation, du manque de sérieux avec lesquels ces listes ont été dressées et publiées ». L’ex-Président du Conseil d’Etat et Vice-Président de la Cour Suprême, Alype Nkundiyaremye (Plaidoyer pour l’arrêt de l’aide extérieure accordée au Rwanda, Bruxelles, 1999).révèle que la plupart de ces personnes, mortes ou vivantes, ont été listées vaille que vaille « parce qu’on voulait procéder d’une part à la saisie et à la vente aux enchères de leurs biens suivant une justice expéditive, et d’autre part parce qu’on voulait que les anciens juristes et magistrats ne se retrouvent pas dans la nouvelle magistrature. De même on voulait exclure la présence, dans les divers secteurs de la vie publique ou privée de l’Etat, de leurs anciens responsables ».

Appelé à s’expliquer par une certaine opinion nationale choquée par la grossièreté des erreurs de la liste qui dépassaient tout entendement, le Procureur Général Siméon Rwagasore, signataire de la liste, a été obligé d’avouer, dans une interview au journal Intego (n° 25, décembre II, 1996), que la liste n’avait pas la valeur qu’on voulait lui prêter. Pourtant au Rwanda, des centaines de personnes ont été arrêtées et emprisonnées par le fait même qu’elles figuraient sur la liste, malgré des discours officiels rassurants (Amiel Nkuliza, Le Partisan, n° 40, janvier 1997).

Fort heureusement, certains Etats démocratiques se sont aperçus du manque de sérieux de cette liste et ont accordé l’asile politique à certaines personnes qu’elle reprend. Pouvait-il en être autrement puisque même le pouvoir de Kigali a affecté aux hautes fonctions des personnalités figurant sur la liste, telles Boniface Rucagu, Gouverneur le Région du Nord, Justin Munyemana, ex-Conseiller du Ministre de la Santé, Joseph Mporanyi, Sous-Préfet. La liste n’ayant pas de valeur aux yeux du Gouvernement rwandais, la prendre en considération serait ni plus ni moins, vouloir être plus catholique que le Pape.

La liste du 30/08/1996 a été actualisée le 31 décembre 1999. Elle contient les mêmes erreurs que la précédente malgré un vernis qui ne peut tromper personne. Elle pêche toujours contre la présomption d’innocence. Elle condamne avant jugement. Des personnes figurant sur la liste font encore l’objet d’enquêtes par le Parquet. Les personnes dont le FPR a toujours besoin ne figurent plus dans la liste. Par contre, celles qui lui ont faussé compagnie sont reprises et figurent en bonne place dans la liste. C’est notamment le cas du Colonel Léonidas Rusatira. Il a protesté contre cet agissement arbitraire par sa lettre du 08 février 2000 adressée au Procureur Général près la Cour Suprême du Rwanda.

La liste contient beaucoup de noms des militaires. Mais leur identification laisse à désirer. On leur a attribué des grades inexistants dans les anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR). Une autre nouveauté est la mention du nom de Juvénal Habyarimana. Pourtant le FPR est désigné par plusieurs sources comme le commanditaire de son assassinat.

Le 19 mars 2001 la liste fut portée à 2898 noms. 36 noms ont disparu et 801 nouveaux noms y sont apparus ; Pierre Célestin Rwigema qui a été chef du gouvernement du FPR pendant 5 ans, figure au n° 2279 et cela après sa fuite du pays.

Appliquant la tactique de projection et pour détourner l’attention de l’opinion publique, le FPR mena une campagne, tambour battant : il accusa ses adversaires d’avoir élaboré des listes de Tutsi à tuer. L’idée fut vendue à un certain nombre de médias. Elle se basait entre autres sur la liste trouvée dans la voiture de feu le Général-Major Déogratias Nsabimana, Chef d’Etat-Major des FAR et qui reprendrait des gens à tuer. Des informations disponibles démontrent qu’elle proviendrait du FPR. C’est l’hypothèse du Général Ndindiliyimana (octobre 1999) qui l’a trouvée et c’est la réponse que lui a donnée son collègue. Les enquêtes menées à ce sujet tendaient elles aussi vers cette hypothèse. Selon toujours Ndindiliyimana, « l’ancien Procureur F.X. Nsanzuwera, qui fut l’un de ceux à avancer l’hypothèse que cette liste présentait des personnes à exécuter, n’a pas pu en apporter la preuve ». (…). Sur « cette liste qui a été présentée comme la preuve de la planification (…) figurent des personnes hutu et tutsi, membres des partis différents y compris le MRND, résidant au Rwanda ou à l’étranger (Canada, Europe, Ouganda)… » (Ndindiliyimana, 1999). L’ex-Premier Ministre Faustin Twagiramungu (Sénat de Belgique, 1997) est lui aussi d’avis que ces listes ne donnent aucune « indication quant à la suppression systématique d’une partie de la population rwandaise ». Il est d’avis qu’ « ’il faut se méfier des documents de diversion qui sont publiés dans certains livres ».

Si le FPR a tenu à faire accepter cette idée de liste par l’opinion internationale, il voulait sans aucun doute cacher que, tout au long des hostilités, il a usé de ce genre de listes dans ses desseins macabres. Colette Braeckman (Histoire d’un génocide, Fayard 1994, p. 226) a fait une révélation intéressante à ce sujet. La nuit, dit-elle, des patrouilles du FPR se glissaient dans la ville. Les jeunes soldats, munis de listes, savaient où se trouvaient leurs sympathisants, leurs partisans.

Au fil des années, le FPR n’a pas désarmé. Il a envoyé des agents de la DMI (Sûreté Extérieure) dans bon nombre de pays africains et européens. Ils ont une couverture d’étudiants ou se présentent eux aussi comme des réfugiés. Leur rôle est de recenser les réfugiés hutu se trouvant dans ces pays. A partir des informations qu’ils transmettent régulièrement, une liste de 93 hutu fut vivant à l’étranger a été élaborée et transmise à bon nombre de pays ainsi qu’à INTERPOL. Certains pays comme les USA et la Grande Bretagne, guidés par des intérêts géostratégiques et politiques, croient malheureusement en cette liste fantaisiste. Des personnes figurant sur cette liste se sont vues refuser l’entrée en Grande Bretagne. Aux Etats-Unis d’Amérique, INTERPOL, instrumentalisé, a arrêté dernièrement Isaac Kamali du seul fait qu’il a été mis par Kigali sur la liste.

Dans le même cadre, le FPR a affecté un diplomate auprès du TPIR à Arusha. Il y avait d’abord Martin Ngoga, qui a été remplacé par Aloys Mutabingwa. Ce diplomate joue le rôle de délateur. Il recense régulièrement les enquêteurs hutu engagés par le TPIR. Il transmet leurs noms à Kigali. Une liste est alors élaborée et transmise au Greffier du Tribunal et au Procureur. Les contrats de ces enquêteurs sont souvent cassés. La dernière liste remonte au 10 mars 2006, date à laquelle Aloys Mutabingwa a transmis, au nom du Gouvernement rwandais, une fameuse liste de 12 enquêteurs aux autorités du TPIR.

Le système de listes continue à faire des dégâts. Il existe actuellement une liste de plus ou moins un million de Hutu qui devront être jugés par les Tribunaux Gacaca. Ce chiffre a été déterminé sans aucune enquête préalable. Il a été fait recours aux membres de la local defence qui quadrillent le territoire. Ils ont recensé, dans leurs ressorts respectifs, des hommes et des femmes encore valides, des leaders d’opinion, des intellectuels (enseignants, agronomes, infirmiers,…) et les noms ont été envoyés à Kigali où tout est centralisé. Voilà comment ce chiffre est sorti. A l’étranger le même travail a été fait et la liste arrêtée contient plus de 40000 personnes.

Le système de listes a fait ses preuves. Le FPR y fait recours pour maintenir et consolider son pouvoir dictatorial et criminel, en tentant d’intimider quiconque est susceptible de porter un jugement sur sa gestion bananière du pouvoir. Comment faire pour endiguer ce fléau que sont les listes avant qu’il ne décime complètement la population rwandaise ? La réponse se trouve dans la détermination de tout rwandais à lutter pour un Etat de droit.

©Gaspard Musabyimana 10/07/2007

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