Peut-on comprendre le génocide rwandais de 1994 ?
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Louis Jaspers a été administrateur de territoire au Rwanda de 1952 à 1962. Il était sur place au plus fort des tensions qui ont abouti à la révolution sociale de 1959. Il a assisté, de loin, à l’attaque du Rwanda en 1990 par le FPR et à sa prise du pouvoir en 1994. Depuis plus de 20 ans, il suit l’actualité du « nouveau Rwanda ».
Un des rares témoins, encore en vie, de l’évolution des relations entre les Hutu et les Tutsi, Louis Jaspers, dans un document de 26 pages en annexe, et à la veille des commémorations du génocide, se pose la question suivante : « Le génocide rwandais pouvait-il être évité ? » [M.G]

Pourquoi  ces réflexions?

D’avril 1952 à avril 1962, j’ai été administrateur de territoire d’abord au Rwanda, puis au Burundi, nos Territoires sous Tutelle. Je fus donc très concerné par ces événements et l’évolution politique dans ces royaumes du Centre d’Afrique, placés par la Société des Nations sous Mandat Belge puis par l’ONU sous Tutelle Belge. De 1955 a 1956 j’étais administrateur du territoire de Kibuyé aux bords du lac Kivu.

J’avais à cette époque comme collègue et Assistant Jacques Guffens, docteur en droit qui passa deux ans plus tard à la magistrature d’abord au Ruanda ensuite au Burundi. En 1959 nous étions heureux de nous retrouver, chacun dans d’autres fonctions, au Tribunal de Résidence du Ruanda à Kigali où nous avons travaillé ensemble pour le bien  des Rwandais.

Jacques Guffens avait la fibre sociale et, en tant que magistrat, était conscient de sa mission qui consistait aussi a protéger les indigènes contre les éventuels  abus de pouvoir de l’autorité administrative belge.

Notre amitié perdura jusqu’à son décès en mai 2002 à Anvers où il termina sa belle carrière comme Président de Chambre à la Cour d’Appel d’Anvers. A chacune de nos retrouvailles, nous échangions nos informations et avis sur les événements en Afrique, tragiques au Rwanda. Par les articles de presse, la plupart du temps orientés anti-Hutu, nous savions que la démocratie que nous avions encouragé souffrait d’abus, notamment l’oppression des Tutsi, leur entourage et sympathisants qui n’avaient pas voulu ou pu fuir leur pays.


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Avec regret mais sans surprise car nous savions que la dictature était omni- présente en Afrique et dans les traditions de ces pays de récente indépendance. Mais nous pensions que la politique réaliste et prudente  des leaders Hutu avait quand même, au cours de ces trente ans, produit un réel progrès économique et social. Ceci grâce à une gestion intelligente, économique et parcimonieuse des maigres moyens et de l’aide au développement extérieure, dont celle de la Belgique. Nous connaissions les attaques, depuis l’Uganda  comme   du   Burundi,   des   « inyenzi »   milices terroristes qui visaient à  déstabiliser le pays et la jeune république hutu.

Dans les années 1960 et 1961, Attaché Colonial dans l’Est Africain Britannique posté à Kampala, j’avais eu à faire aux activistes politiques ruandais de l’UNAR, préparant l’invasion de leur pays pour « rentrer chez eux » et y restaurer le pouvoir Tutsi d’antan. Ils coopéraient activement avec l’Association « Abadahemuka », organisation politique poursuivant le même but. Lors du Jubilé des 25 ans de règne du Mwami Mutara III, administrateur  de Nyanza, j’avais fait la connaissance de  et sympathisé avec son président Higiro, étudiant à Makerere College. Leur activisme anti-belge a fait que les Hutu, nombreux en Ouganda, s’en sont séparés et ont créé leur propre Association, la « Bahutu Association », ce qu’ils ont du payer très cher hélas !

Leur courage ne leur a apporté ni reconnaissance de la Belgique ni bien ou avantages, hélas ! seulement de la persécution parce que : « valets des Belges  et traîtres à leur Mwami et pays »

P-H Spaak notre ministre des Affaires Étrangères, répondant à la pression de l’ONU et après la débâcle congolaise voulait « être débarrassé » de nos Territoires sous Tutelle. Le slogan : « puisqu’ils la veulent, donnons leur l’Indépendance.

Alors que nous de la Tutelle estimions que ces peuples, avec leurs conflits ethniques, n’étaient pas prêts et et leur élite comptait encore sur nous .Le ministre plaça ses hommes de confiance auprès des hauts responsables tant à Kigali qu’à Usumbura… pour veiller.. »à ce qu’ils marchent droit » !

Il fallait « abandonner » ceux qui comptaient encore sur nous sans cependant les en prévenir.

Au Ruanda le colonel Logiest était solidement installé et soutenu par le gouvernement pour y résister.

Par contre, au Burundi le Résident Reisdorff refusant « cette trahison » a préféré donner sa démission plutôt que d’appliquer cette politique d’abandon.

De mon coté, je reçus l’ordre du Consul Général de Nairobi, dont je dépendais sur le plan diplomatique, de cesser tout contact avec mes interlocuteurs ruandais : « restez dans votre bureau et attendez mes instructions ».C’était trahir ceux qui nous faisaient confiance. Je ne pouvais m’y résoudre.

La solution trouvée par le VGG Harroy : mon rappel et ma mutation comme Résident Adjoint du Burundi.

Mes efforts et propositions d’aide pour l’installation des réfugiés sur des terres vacantes en Uganda n’avaient connu aucun succès. Bien au contraire, les meneurs me firent savoir qu’ils n’avaient qu’un objectif: retourner de force au Ruanda pour y reprendre leurs biens, et leur position, qu’ils avaient du abandonner…. »parce que les Belges avaient excité les Hutu contre les Tutsi ».

Ma tête y a été mise a prix! Nous savions qu’ils préparaient activement leur retour et l’invasion du Ruanda démocratique. C’est pourquoi, quand en octobre 1990 le FPR (Front Patriotique Rwandais) , fortement armé et équipé par l’armée de l’Uganda, attaqua le Ruanda, Jacques et moi étions d’avis que le gouvernement légal rwandais devait obtenir l’appui de la Belgique, ancien Pouvoir Tutélaire. Tout au moins appui politique et diplomatique protestant contre cette agression de l’extérieur par une armée bien mieux équipée et organisée. Appui diplomatique. surtout auprès de l’ONU mais aussi en Belgique ou les agresseurs avaient une cellule de propagande très active…et écoutée.

La France du Président Mitterrand pratiquait cette politique et soutenait le gouvernement légal.

Après l’effondrement de celui-ci, le génocide et la prise du pouvoir par les agresseurs du FPR ceux-ci accuseront la France de complicité dans le génocide.

Et, une fois solidement installé au pouvoir n’hésiteront pas à porter la même accusation contre la Belgique…..! Sans scrupules, pour les vainqueurs c’était de bonne guerre.

Louis Jaspers, mars 2017

Texte intégral :  Peut-on comprendre le génocide rwandais?

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